Adapter à la télévision American Gods est un défi assez fou, mais c’est Neil Gaiman lui-même qui l’a lancé. Le romancier a commencé à travailler sur cette version télévisée il y a plusieurs années et comme prévu, le travail n’a pas été simple et il a fallu essuyer plusieurs refus avant de voir un résultat. C’est la chaîne Starz qui a finalement hérité du projet et c’est Bryan Fuller et Michael Green qui sont à la tête de la série, même si Neil Gaiman n’est pas resté loin en tant que producteur exécutif. Le résultat est aussi dingue qu’on pouvait l’espérer et les huit épisodes de la première saison d'American Gods sont complètement barrés. Le scénario part dans tous les sens et on n’a ici qu’une introduction qui laisse présager du meilleur dans la saison suivante, déjà en préparation. En attendant, Starz n’a pas essayé de limiter l’imagination débridée de l’œuvre originale et si vous aimez les récits qui obligent à se laisser porter sans forcément tout comprendre d’emblée, la série est chaudement recommandable !
En huit épisodes, la première saison d'American Gods entend couvrir environ un tiers du roman qui était assez épais. Autant dire que l’on est loin d’une résolution à la fin des huit épisodes, et c’est même tout l’inverse avec ce cliff-hanger énorme à la toute fin. L’histoire principale est ainsi à peine abordée, et ce d’autant que l’adaptation ajoute des personnages et gonfle la partie réservée à des personnages très secondaires chez Neil Gaiman. De fait, résumer la saison n’est pas tâche facile, tant l’intrigue part dans tous les sens et dévie parfois le temps d’un épisode entier. Dans les grandes lignes, Bryan Fuller et Michael Green ont repris l’idée du roman d’une guerre entre dieux anciens et modernes débarqués aux États-Unis en même temps que les émigrés ont occupé le pays au fil des siècles. L’histoire commence avec la sortie de prison d’Ombre et son recrutement par Voyageur, un mystérieux personnage qui lui propose une somme folle pour l’accompagner en tant que garde du corps. Ombre vient de perdre sa femme, tuée dans un accident, et il n’a plus rien à perdre et accepte l’offre. Commence alors une sorte de road-trip pendant lequel Voyageur essaie de rallier à sa cause les dieux anciens contre les modernes. La série essaie un petit peu maladroitement de préserver la véritable identité de Voyageur jusqu’au dernier épisode et d’en faire un véritable moment de surprise. Pourtant, si les spectateurs comprennent bien le principe de la guerre entre dieux, ils comprendront tout aussi bien qu’il s’agit d’Odin. American Gods parvient très bien à moderniser les autres divinités, avec quelques réussites particulièrement brillantes : mention spéciale à Vulcain — qui n’était même pas dans le roman original ! —, transformé en vendeur d’armes à feu prospère. La saison enchaîne ainsi les rencontres et les découvertes de divinités et autres créatures mythiques : on croise un Leprechaun, Anubis, Tchernobog (dieu slave de la nuit), un Djinn (génie arabe) le temps d’une scène de sexe gay extrêmement torride, mais aussi Éostre (déesse anglaise du printemps) ou encore la reine de Saba qui « avale » ses amants par son vagin. Cette diversité extrême est très agréable et on apprécie de voir autant de personnages et d’histoires issus du monde arabe et d’Afrique dans une série américaine. Les créateurs n’ont reculé devant rien, les scènes de sexe et de violence s’enchaînent rapidement, mais avec un traitement soigné, presque artistique, qui fait la différence. Les huit premiers épisodes regorgent de séquences magnifiques, très colorées et contrastées, et la série est aussi un plaisir à regarder. Qu’importe dès lors si l’on se perd parfois dans les méandres du récit, on pardonne volontiers aussi la fin un petit peu décevante qui appelle surtout à une suite.
Ces défauts importent peu, American Gods prouve avec cette première saison que la série n’a rien à envier au roman original. Bryan Fuller et Michael Green ont tenu leur pari jusqu’au bout et on a vraiment hâte que la guerre entre dieux commence vraiment et de découvrir la suite. Dans la catégorie des séries bizarres, elle prend la première place du podium cette année et c’est tant mieux : American Gods mérite le détour si vous n’avez pas peur de vous perdre dans un univers bizarre et bariolé.
American Gods, saison 2
(14 septembre 2019)
L’adaptation d’American Gods s’est décidément avérée bien compliquée. Il avait fallu des années pour que les huit premiers épisodes voient le jour, la deuxième saison n’a pas suivi aussi rapidement que prévu. À l’origine, Starz voulait la diffuser en 2018, mais l’écriture a été particulièrement difficile. Les deux créateurs de la série, Bryan Fuller et Michael Green, ont été poussés vers la porte de sortie après avoir écrit plus de la moitié des épisodes, a priori parce qu’ils voulaient un budget bien plus conséquent que prévu1. Un remplaçant est trouvé pour tout reprendre de zéro, mais la chaîne n’est pas satisfaite du résultat et il est remercié à son tour. Finalement, les huit nouveaux épisodes d’American Gods qui composent cette deuxième saison n’ont pas de « showrunner », l’une des actrices principales de la précédente n’est pas restée et tout cela commençait à ressembler fort à un immense fiasco. Le résultat est meilleur que cela, même si la magie de la première saison n’est plus autant au rendez-vous, et même si cette saison s’étale un petit peu trop pour son propre bien.
La fin de la saison précédente ouvrait officiellement la guerre entre anciens et nouveaux dieux. On s’attendait à une explosion à la hauteur de la montée en puissance des épisodes précédents, mais ce n’est pas tout à fait ce qui se passe. American Gods n’abandonne pas le rythme assez lent de la première saison et le pousse même à un niveau supérieur avec ces épisodes qui privilégient les flashbacks explicatifs à l’intrigue principale. Ce n’est pas un problème en soi et d’ailleurs, ces séquences qui expliquent le passé des personnages sont souvent assez réussies, avec une incursion dans d’autres genres et notamment le fantastique pour le Leprechaun. Le souci, c’est plutôt que les scénaristes essaient de maintenir le mystère sur des éléments assez évidents, un petit peu comme dans la saison précédente. Cette fois, l’enjeu principal est le statut d’Ombre, mais alors qu’il semble assez évident dès le départ, le scénario imagine que c’est un immense mystère pendant toute la saison ou presque. Ce n’est pas une bonne idée et on aurait préféré avancer sur d’autres points plus intéressants, la guerre entre les dieux évidemment, ou même certains arcs narratifs comme celui de Laura qui mériteraient plus de temps. À la fin des huit épisodes, il est bien difficile de résumer ce qui s’est passé… tant il ne s’est pas passé grand-chose. On imagine que cela viendra vraiment avec la troisième saison que Starz a d’ores et déjà commandée, et qui arrivera peut-être plus rapidement, mais cette étape intermédiaire est un petit peu longuette. Et puis l’ambiance très réussie de la première saison n’est plus aussi bonne. On retrouve bien les mêmes inspirations, notamment en termes de photographie, mais on a parfois le sentiment de voir une réalisation « dans l’esprit de » qu’une œuvre vraiment originale, comme les précédents épisodes l’offrait.
À l’arrivée, le renouvellement de la série pour une troisième saison est une excellente nouvelle et on a hâte de voir ce qui va se passer. Neil Gaiman a gardé un pied dans l’entreprise et American Gods reste dans tous les cas une œuvre foncièrement originale et intéressante, son adaptation à la télévision ne peut qu’en bénéficier aussi. Cette deuxième saison est une déception sur certains points, certainement à cause des errements de la production, mais elle se regarde sans déplaisir malgré tout. Ian McShane cabotine comme jamais en Odin, mais il le fait bien et la série lui doit beaucoup, sans pour autant effacer complètement la perte de Gillian Anderson, qui était vraiment parfaite dans le rôle de Média. En espérant que la troisième saison cesse de patiner et avance enfin, American Gods conserve son statut de série à voir.
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- L’air de rien, la première saison d’American Gods a frôlé le niveau de budget d’un Game of Thrones, mais pas avec la même audience, on l’imagine bien. ↩