L’Amphitryon à Colomiers

Si on ne sait pas qu’un restaurant gastronomique s’y trouve, impossible de le deviner. Il faut dire que L’Amphitryon est bizarrement situé. À une dizaine de kilomètres de Toulouse, derrière l’aéroport de Blagnac, coincé entre la zone industrielle dédiée à l’aéronautique en contrebas, et une vaste zone résidentielle au-dessus, le long d’une petite route en sens unique qui ne semble desservir que des lotissements. La surprise est préservée, car de la rue, on ne voit que des panneaux qui annoncent la présence d’un restaurant, rien de plus. L’adresse est en fait située un petit peu plus bas, après le parking privé et au cœur de la verdure. Un cadre surprenant, pour une cuisine inventive qui l’est tout autant : Yannick Delpech compose des assiettes qui osent les associations de saveurs, de textures et de couleurs, souvent entre terre et mer. Laissez-vous porter par un menu dégustation avec une découverte de vins tout aussi étonnante, c’est un régal.

Derrière les hautes haies, on découvre une bâtisse assez grande, mais qui reste basse pour ne pas prendre le dessus sur la végétation. De l’extérieur, L’Amphitryon reste discret, mais on découvre à l’intérieur une vaste salle, ou plutôt, plusieurs salles successives. La principale donne sur une grande verrière qui permet d’admirer le jardin et sur une terrasse utilisée les beaux jours. Autour, plusieurs salles permettent de limiter le bruit quand le restaurant est plein, ce qui était le cas en ce dimanche exceptionnellement ouvert pour la fête des mères1. D’ailleurs, on s’installe à des tables bien séparées des autres, ce qui est très agréable, et le niveau sonore est toujours resté contenu. Un point essentiel quand on passe plusieurs à profiter d’un repas et de saveurs originales, et sur ce point, c’est une réussite. On s’installe sur les confortables fauteuils, la carte ne tarde pas à arriver, mais sans attendre les amuses-bouches aussi. C’est toujours un exercice intéressant, ils servent à ouvrir l’appétit et offrent en même temps une première découverte de l’univers du chef. Les deux bouchées proposées ce jour-là mettent en valeur une caractéristique apparemment centrale dans l’univers de Yannick Delpech : les associations terre-mer. Une tartelette au hareng d’un côté, une tuile avec une crevette grise de l’autre : on a beau être à bonne distance de la mer, elle sera présente tout au long du repas. Et en attendant de découvrir le reste, ces amuses-bouches pleins de saveurs sont indéniablement plaisants.

Les midis en semaine, l’adresse offre des menus plus raisonnables, mieux adaptés probablement à tous les employés des entreprises non loin. Les soirs et week-end, L’Amphitryon déploie son menu principal, qui peut se limiter à quatre assiettes, comme servir à une dégustation en dix services. Les tarifs vont crescendo et on peut associer des verres de vin à la découverte, une formule qui a fait ses preuves et qui peut donner un très beau résultat quand c’est fait aussi bien qu’ici. Comptez 79 € pour la formule de base et les tarifs peuvent dépasser les 220 € en optant pour l’intégralité du menu et des vins. Un bon intermédiaire est la « Petite dégustation », en huit services pour 136 € par personne, plus 48 € pour l’association des vins. Ce n’est pas donné, mais la qualité est clairement au rendez-vous et le personnel est aux petits soins, sans être envahissant. Tout le monde bénéficie d’amuses-bouches et de mignardises, mais aussi de pain maison avec des recettes originales (outre un pain de campagne, des petits pains aux grattons de canard ou bien cet étonnant pain au citron et thym, qui ressemblait fort à un kouign amann salé) et du beurre également maison. Si vous ne choisissez pas de vous laisser porter par les associations imaginées par le sommelier, une imposante carte des vins est également proposée : la cave est indéniablement bien remplie, pour les amateurs.

Mais puisque nous nous laissons porter, nous commençons le repas avec une mise en bouche, du raïta de concombre au yaourt grec, des petits pois et de la menthe pour accompagner deux petits morceaux de daurade crue. C’est une première entrée très fraiche, la sauce au concombre venue d’Inde s’associe très bien aux petits pois encore croquant et le poisson façon sashimi est très frais. On poursuit avec une entrée à plein dans le thème du terre et de la mer : d’un côté, du ris de veau cuit à la perfection dans le beurre, bien doré et fondant ; de l’autre, de la langoustine étonnamment accompagnée d’une mousse de café. C’est la première assiette sophistiquée d’une longue série, le chef aimant les associations originales, et c’est extrêmement bien fait. Les saveurs se complètent harmonieusement, le café est présent tout en restant discret pour ne pas écraser le crustacé, qui est proposé à la fois en mousseline et cru. C’est une très belle entrée et le choix du vin, un Languedoc blanc étonnamment rond, est parfait pour l’accompagner. On poursuit avec du foie gras mi-cuit à la rhubarbe et l’hibiscus, une assiette qui a fait l’unanimité chez les amateurs, surtout en l’accompagnant du vin proposé, un surprenant vin du Sud-Ouest façon vengeances tardives, très moelleux mais qui s’accomode très bien de l’hibiscus. Et pour ceux qui n’aimaient pas le foie gras, l’assiette gentiment proposée en alternative est également excellente : une sardine presque crue, surmontée de cresson et de coquillages. Le cresson est le lien vers la terre, même si on est en plein dans la mer, c’est iodé et frais : impeccable. On reste dans la dominance mer avec le premier plat, du merlu de ligne associé à de la betterave rouge et du riz de Camargue tout aussi rouge. Le poisson est encore bien ferme et cuit comme il faut, le riz est comme un risotto un petit peu et il a du caractère, et le légume rouge apporte une note de sucre à l’ensemble. Les gyozas merlu/betterave relevés de vinaigre sont intéressants et le tout est encore une fois équilibré par le vin, un Riesling allemand qui n’est pas du tout fruité comme la version alsacienne et bien plus dans l’acidité sèche. Ce n’est pas un mélange évident au premier abord, mais cela fonctionne très bien.

Avant de passer à la viande, une pause végétale nous attend : de la glace à la roquette dans un jus de céleris branche. Cela n’a l’air de rien, mais cet équivalent du trou normand est simple et parfait. La glace est onctueuse et sucrée, ce qui casse la force de la roquette, et le jus est bien frais comme on peut l’imaginer. La viande ce jour-là, c’est du filet d’agneau encore très rose, presque cru, de la courgette encore croquante et pour relier le plat à la mer — c’était vraiment la thématique du jour —, de l’anguille fumée. Là aussi, c’est un plat complexe par le nombre de saveurs différentes, avec un bon goût d’agneau d’un côté, l’anguille et son fumé de l’autre, des courgettes qui apportent un peu de croquant et de fraicheur, et des ris d’agneau pour la gourmandise. Une belle assiette, même s’il faut apprécier le goût de fumé très présent, et accepter la viande d’agneau quasiment bleue. Pour ne rien faire de conventionnel, le verre de vin qui accompagne la viande est encore un blanc, du Jura cette fois, avec un profil quasiment de vin jaune, mais moins sucré, une très belle association encore une fois. On terme le repas avec, non pas un, mais deux desserts et tout d’abord un Pavlova à la fraise et au maïs. Ce dessert traditionnel russe est construit autour de la meringue, mais elle a le bon goût d’être fine et discrète ici. Les fraises gariguettes sont en morceau sous la meringue et en sirop, mais l’originalité du plat, c’est bien le maïs qui sert de base avec un biscuit, qui apporte la fraicheur indispensable avec une glace, et qui ajoute un peu de croquant avec du pop-corn. C’est sucré et frais, et le vin moelleux de la Loire est un bon accord pour ajouter la pointe d’acidité supplémentaire qui fait la différence. On termine avec un dessert surprenant, un « Magnum » maison associé à de la framboise. La glace est présentée sur un bâtonnet comme il se doit, elle est correctement entourée de chocolat au lait, mais la surprise est à l’intérieur, puisqu’il y avait en fait du caramel et surtout du macaron. La fraicheur était fournie davantage par le fruit, avec un savoureux granité et quelques framboises entières et pleines de goût. Et pour accompagner le tout, la tuile de sucre bien beurrée ressemblait à un caramel au beurre salé, difficile de ne pas céder. Avant de partir, on accompagne les cafés de mignardises : une pâte de fruits pas excessivement sucrée, un carré de chocolat avec une pointe d’amertume très agréable et une guimauve très acidulée, intéressante, mais peut-être pas adaptée au café.

Huit services, plus amuses-bouches et mignardises, cela pourrait faire peur, mais L’Amphitryon dose admirablement bien les quantités servies. Si vous optez pour un menu plus simple, vous aurez des assiettes plus garnies. Les découvertes sont légères à chaque fois, suffisamment pour sortir de table repus, mais sans avoir trop mangé. C’est très agréable d’avoir ainsi les quantités idéales pour tout goûter sans trop manger, et le rythme d’arrivée des assiettes était également parfaitement orchestré. Nous sommes restés trois heures, sans jamais attendre trop longtemps, sans non plus avoir l’impression d’aller trop vite, c’était juste ce qu’il fallait. Gourmandes, inventives, parfaitement accompagnées par le vin, généreuses et variées : ces assiettes ont formé un excellent repas. Si vous passez dans les environs, cette adresse mérite indéniablement une étape.


  1. Bonne fête, maman !