Après la tempête, Hirokazu Kore-eda

La famille est au cœur de la filmographie de Hirokazu Kore-eda, et aussi de ce long-métrage. Après la tempête décrit une famille comme il en existant tant, au Japon et ailleurs. Une famille pleine de problèmes, aux relations compliquées et parfois cassées, mais qui parvient à fonctionner malgré tout et qui contient une bonne dose d’amour, même si ce n’est pas évident au premier abord. C’est un film très simple, avec peu de personnages et un cadre quasiment unique, et c’est en même temps une œuvre riche de personnages parfaitement écrits et de sentiments parfaitement décrits. Après la tempête est aussi une chronique sociale japonaise assez amère et une véritable réussite dans l’ensemble qui mérite le détour.

Plutôt que d’introduire une histoire, Hirokazu Kore-eda se concentre dès le départ sur ses personnages. Une vieille femme et sa fille discutent dans la toute petite cuisine du minuscule appartement de HLM que la mère occupe depuis plus de quarante ans. Elles parlent de tout et de rien et on découvre petit à petit que le père de famille vient de mourir. Yoshiko n’est pas mécontente de ne plus avoir son mari, qui dépensait tout l’argent du ménage dans des jeux et qui a empêché la famille de déménager dans un meilleur logement. Fidèle à ses habitudes, le réalisateur prend son temps pour poser ses personnages et laisser la conversation évoluer tranquillement, alors que les deux personnages vaquent à leurs occupations. Ryōta, le fils, revient régulièrement dans la conversation, et pas de manière très positive. Le ton est parfois carrément cassant, même si on sent aussi que l’amour n’est jamais loin, mais il est vache, une caractéristique centrale d’Après la tempête. On découvre ensuite justement ce fils, qui se rêve écrivain, mais qui n’a rien fait depuis qu’il a connu un succès éphémère avec un premier roman quinze ans auparavant. Pour gagner sa vie, il est obligé de travailler comme détective privé et de mener des filatures un peu minables pour piéger maris ou femmes infidèles. C’est un métier très mal vu par la société, si bien que sa mère ne le présente qu’en tant que romancier. Même lui se ment en soutenant à qui veut bien l’entendre qu’il ne fait ce métier que pour documenter son prochain roman. Mais en fait de roman, il n’a qu’une série de post-it sur un mur, des idées, des phrases qu’il a entendues, pas de quoi obtenir le succès. Et surtout, lui qui a détesté son père pour ses mauvais penchants est tout autant à courir après l’argent et à jouer dès qu’il le peut. Hirokazu Kore-eda le présente sans détour comme un clone du père, un écrivain raté qui semble être passé à côté de sa vie et de sa famille.

Sa famille, c’est Kyōko, son ex-femme, et Shingo, son fils qu’il ne voit plus qu’une fois par mois et encore, un petit peu à contrecœur, puisqu’il est censé payer une pension à la même occasion et qu’il n’a jamais l’argent pour le faire. Même si sa mère nourrit toujours l’espoir de réunir le couple à nouveau, le mal est fait et elle est en train de refaire sa vie avec un autre homme. Après la tempête se concentre sur quelques jours et surtout sur une soirée où la famille se retrouve bloquée dans ce minuscule appartement de HLM à cause d’un typhon. De quoi restaurer la flamme, espère la grand-mère, de quoi en tout cas évoquer les problèmes et peut-être créer un petit peu de lien entre père et fils. Ne vous attendez pas à une intrigue chargée, c’est tout l’inverse : Hirokazu Kore-eda pose des personnages et une situation, et préfère ensuite voir comment la situation avance, sans véritable but. Peut-être qu’un espoir est ouvert à la fin, mais cela reste très flou et au fond, ce n’est pas l’objectif du film. Cette simplicité peut surprendre et effrayer, d’autant que le long-métrage dure près de deux heures, mais on ne s’ennuie jamais. Il n’y a pas d’action spectaculaire comme dans un blockbuster, mais il se passe toujours quelque chose, que l’on suive Ryōta mener ses enquêtes et essayer de faire payer le client original et la victime pour doubler sa mise, ou bien que l’on soit dans les pièces ridiculeusement petites de l’appartement, à parler cuisine et sens de la vie. Après la tempête évoque aussi l’intransigeance de la société japonaise, le poids de la honte, l’importance des apparences et mille sujets tous passionnants. Et puis le réalisateur peut compter sur ses acteurs, tous impeccables : le très grand Hiroshi Abe est visiblement à part, par sa taille et aussi ses traits européens, parfaitement adapté au rôle du père. Son fils, froid et distant, est très bien interprété par le jeune Taiyō Yoshizawa, et tous les personnages féminins sont impeccables, avec une mention spéciale pour Kirin Kiki, excellente dans le rôle de la grand-mère. Hirokazu Kore-eda a écrit en pensant à elle et cela se voit, le rôle lui va comme un gant et c’est un vrai plaisir de la voir à l’écran.

Tendre et cruel à la fois, Après la tempête, est une plongée passionnante dans une famille japonaise assez banale. Hirokazu Kore-eda parvient à extraire de ce contexte sans grande originalité une œuvre de près de deux heures où l’on ne s’ennuie jamais. Les dialogues souvent mordants sont savoureux et en prenant le temps de filmer ses personnages, le cinéaste parvient à leur offrir une véritable personnalité et à laisser transparaitre des émotions complexes et surtout crédibles. Un vrai plaisir.