Arrested Development, Mitchell Hurwitz (FOX)

Une riche famille américaine qui perd tout du jour au lendemain : voici le point de départ d’Arrested Development, une sitcom aussi drôle que féroce. Tout allait bien chez les Bluth, du moins en apparence, tant que l’entreprise familiale avait du succès et que tout le monde pouvait piocher dans la caisse. Quand les ennuis commencent toutefois, c’est la famille toute entière qui explose. Michael Bluth espérait succéder à son père, mais ses plans sont contrariés quand les autorités s’en mêlent, que George Bluth est envoyé en prison et que toute cette famille doit apprendre à vivre avec trois fois rien, après des années sans problème. Mitchell Hurwitz construit sa série autour de cette idée assez simple et qui aurait pu donner une sitcom très banale, mais ce serait sans compter sur une écriture acérée, une bonne dose d’absurde et un humour noir particulièrement bien mené. Parfaitement maîtrisé pendant trois saisons, ce cocktail est savoureux… sans convaincre suffisamment de spectateurs. La FOX arrête prématurément Arrested Development en 2006 et l’histoire aurait dû s’arrêter là. D’ailleurs, vous savez quoi ? Arrêtez-vous aussi à la fin de la troisième saison et vous verrez une excellente série, drôle et originale. Rien à voir avec la suite, pas drôle, lente et même pénible à regarder.

Trois saisons donc, une cinquantaine d’épisodes de vingt minutes environ, et un humour noir délicieusement décalé. Arrested Development invente ses propres codes pour créer un univers à part, tant sur le fond que sur la forme. Les personnages sont caricaturaux comme souvent dans les sitcoms, mais ils sont surtout attachants et les acteurs s’en donnent à cœur joie pour leurs personnages souvent très méchants. La mère de famille, Lucille, en particulier est une femme aigrie qui aime avant tout l’argent et le pouvoir, mais qui supporte au mieux ses enfants. George, le père, s’est coulé douce toute la vie avec son entreprise qui faisait couler l’argent à flot et les femmes qu’il enchaînait, mais il ne s’est jamais vraiment soucié de sa famille. Gob, Lindsay et Buster n’ont jamais rien fait de leur vie, ils dépendent entièrement de leurs parents et surtout, vous l’aurez deviné, de leur argent. Leurs relations ne reposent que sur des motifs financiers et comme on peut s’en douter, elles ne sont pas au beau fixe. Surtout quand les difficultés arrivent, rien ne va plus et Michael essaie de maintenir la famille Bluth à peu près en forme. Tout cela, c’est le générique d’ouverture et c’est un point de départ assez mince, mais qui suffit à tenir la distance. Au fil des épisodes, on apprend à connaître tous les personnages et à analyser leurs défauts. George-Michael qui est amoureux de sa cousine Maeby, Tobias qui est un psychologique raté qui se lance dans une carrière d’acteurs avec aucun succès. Mitchell Hurwitz n’essaie pas de réinventer la roue, il exploite les ficelles habituelles des sitcoms familiales, tout en trouvant sa propre voie avec un humour décapant. Dans ces premières saisons, l’écriture est d’une finesse assez incroyable, le rythme est élevé et on ne s’ennuie jamais. Et puis Arrested Development s’enrichit avec de nouveaux personnages, parfois qui ne restent qu’un épisode ou deux, parfois qui font presque partie de la famille. L’opposition entre les deux Lucille, l’avocate aveugle, l’affrontement des magiciens… l’air de rien, la série de la FOX construit un univers riche et cohérent, sans jamais perdre son esprit original.

Les personnages entretiennent entre eux des relations presque toujours fausses et souvent vaches, ils se mentent constamment, n’ont jamais un mot gentil et ne sont jamais là pour aider, en général pour enfoncer davantage. Arrested Development construit son intrigue sur ces principes, mais la série se distingue aussi par sa forme, et notamment par le choix audacieux du narrateur, incarné par Ron Howard. Omniprésent, il commente en permanence ce qui se passe et en général, ce n’est pas très utile. Il peut apporter une explication supplémentaire, certes, mais bien souvent, il se contente de dire ce que l’image montrait déjà. C’est assez troublant au début, mais on s’y fait très vite et le commentaire malicieux est peut-être la meilleure idée de Mitchell Hurwitz. Ce n’est pas la seule toutefois et il y a plein de petites astuces, comme la fin de chaque épisode qui est censée résumer le suivant, alors qu’elle contient quasiment à chaque fois une séquence inédite qui n’apporte pas grand-chose, si ce n’est un gag de plus. C’est tout un univers que la série de la Fox propose, un univers que vous adorerez ou détesterez. C’est bien le souci qui s’est posé lors de la première diffusion de la série, il y avait des fans, mais pas assez pour la maintenir en place et la chaîne a arrêté les frais, sans même offrir à Arrested Development une troisième saison complète. C’était une déception, mais la suite s’est finalement avérée bien pire. Quand Netflix s’est lancé dans les productions originales, l’entreprise a pu acheter les droits sur la série pour une bouchée de pain, avec l’idée de lui offrir une suite. Toute l’équipe originale s’est rassemblée autour de Mitchell Hurwitz et la quatrième saison aurait pu donner quelque chose de bien… mais cela n’a pas été le cas. Lancée plusieurs années après la fin de la première vague, cette suite a tout faux. C’est en partie parce que les acteurs n’ont pas joué ensemble et que chaque épisode est associé à quelques personnages seulement. Mais c’est surtout parce que l’écriture a perdu de son mordant et tout l’univers si atypique des débuts devient un défaut. Le narrateur, par exemple, devient trop présent et on a le sentiment que chaque épisode est un résumé de tout ce qui précède. Et puis les idées nouvelles, George Michael à l’université et Michael à Hollywood, ne fonctionnent pas, elles tombent à l’eau et l’ennui s’installe vite.

La quatrième saison d’Arrested Development est médiocre, mais c’est encore bien pire pour la cinquième, qui est encore en cours de diffusion. Ce n’est plus drôle du tout, on s’ennuie tellement que chaque épisode semble durer une heure et c’est même très souvent embarrassant. La série s’attaque à Trump tout en ayant un personnage qui est censé l’imiter et elle se perd dans ces questions politiques sans intérêt, sans jamais retrouver l’esprit original. Les acteurs autrefois si bons semblent perdus, ils ne retrouvent pas le bon ton ni leurs anciens personnages. Mais comment leur en vouloir après tout, la série est apparue en 2003, quinze ans avant la cinquième ! Bref, c’est un désastre qu’il vaut mieux éviter. Les trois premières saisons constituent une excellente série, quoi qu’un peu trop courte. Arrested Development aurait mérité plus d’amour de la part de la FOX à l’époque, mais Netflix devrait enfin la laisser en paix aujourd’hui. Restent, malgré tout, ces trois saisons initiales qui méritent vraiment le détour.