Comme tous les « métafilms », Ave, César ! pose nécessairement la question du cinéma, de ce qui fait une œuvre de fiction et plus précisément un film. Pendant une heure quarante, les Coen n’ont de cesse d’alterner entre les scènes au premier degré et les séquences de fiction que l’on voit en train d’être tournées. Dans ce long-métrage qui se déroule en grande partie au cœur d’un studio, dans le Hollywood des années 1950, le cinéma est logiquement au cœur des enjeux. Les personnages ont tous un lien direct avec cet univers, qu’ils soient acteurs, réalisateurs, scénaristes ou simplement figurants. Le scénario écrit également par Joel et Ethan Coen est une œuvre originale, mais ils se sont inspirés de figures historiques pour chaque personnage. On retrouve des acteurs américains de cette époque, comme Gene Kelly qui devient ici Burt Gurney (incarné par un Channing Tatum en grande forme et qui pousse même la chansonnette le temps d’une séquence de pure comédie musicale), ou bien encore Esther Williams, renommée DeeAnna Moran (Scarlett Johansson, impeccable). Même les sœurs jumelles journalistes sont inspirées par deux journalistes de l’époque et puis le rôle principal, Eddie Mannix, était aussi à Hollywood à cette époque. Ce « fixer » interprété par un Josh Brolin parfait n’a pas de rôle précis, si ce n’est de faire en sorte que les tournages se fassent correctement et pour cela, il doit répondre aux caprices des stars et des réalisateurs, trouver de l’argent, mettre en place ce qu’il faut, bref, il doit faire en sorte que tout se passe bien. Un choix intéressant pour Ave, César !, puisque cet homme est au cœur de tout ce qui se passe dans un studio de tournage et c’est précisément ce qui intéressait les réalisateurs.
Certes, Joel et Ethan Coen ont imaginé un enrobage scénaristique pour tenir le tout. Une sorte d’intrigue policière se met en place quand la star du film Ave, César ! — qui a donné son nom au long-métrage, mais on parle bien du film que l’on voit en train de se tourner… — est kidnappée par un groupuscule de scénaristes communistes. Mécontents d’être payés au lance-pierre alors même que leurs histoires rapportent des millions de dollars à l’industrie du cinéma, ils demandent une rançon en l’échange de Baird Whitlock. George Clooney s’amuse manifestement beaucoup à interpréter cet excellent acteur, mais qui est aussi un homme un petit peu benêt, alcoolique et coureur de jupons notoire. Une fois kidnappé, il écoute attentivement les théories de ses ravisseurs et finit par adhérer à leur cause, sans que l’on sache très bien pourquoi. Mais au fond, cela n’a pas d’importance et on se fiche assez de cet enlèvement et de la vague enquête menée pour retrouver la star. Il est très vite apparent que l’histoire n’est qu’un prétexte pour les frères Coen, qui peuvent surtout s’amuser avec un jeu : multiplier les clins d’œil au cinéma américain des années 1950 et perdre le spectateur en alternant en permanence entre les séquences « réelles » et les films tournés à l’époque. Parfois, la différence est évidente et c’est l’occasion de scènes totalement folles que l’on ne pensait pas voir chez ces réalisateurs. Ave, César ! passe à la comédie musicale le temps d’un tournage dans un bar rempli de marins qui commencent par se plaindre en chantant de l’absence à venir de femmes, avant de tendre de plus en plus explicitement vers l’homo-érotisme. Et puis à un autre moment, c’est un ballet de nageuses qui est mis en place pour un autre tournage en cours. Ou encore une parodie de western, où le cow-boy réalise les acrobaties les plus folles.
Quel sens donner à cet immense bazar ? L’erreur serait probablement d’en chercher un, justement : Joel et Ethan Coen se sont fait plaisir en concentrant en un seul long-métrage toute une époque et de multiples formes de cinéma qu’ils n’auraient sans doute traitées dans un film dédié. Ave, César ! est un bouillonnement de personnages et de situations où l’intrigue principale n’a pas vraiment d’importance. C’est avant tout une comédie avec des moments très drôles, que ce soit sur la religion ou sur le communisme, une sorte de religion plus envahissante encore. Ce n’est probablement pas un chef-d’œuvre, mais qu’importe : c’est léger et c’est fun, que demander de plus ?