Aviator, Martin Scorsese

Personnage mythique de l’histoire américaine du XXe siècle, Howard Hughes est aussi un personnage parfait pour le cinéma. Ce milliardaire excentrique a été à la fois un concepteur d’avions exceptionnels et de plusieurs avancées technologiques majeures, mais aussi un cinéaste à scandale dans les années 1920 et 1930, mais encore un homme à femmes qui a conquis de nombreuses stars de Hollywood. Martin Scorsese s’attache à raconter ses années de gloire dans Aviator, mais aussi les graves problèmes psychologiques de cet homme qui souffrait de nombreux TOC et d’une peur irrationnelle de la saleté. Avant de terminer sa vie dans les casinos de Las Vegas, le biopic montre le cinéaste et l’ingénieur, mais surtout l’homme obsédé par la perfection et prêt à tout pour atteindre ses rêves. Porté par un Leonardo DiCaprio encore jeune, mais totalement dans son personnage et dans un mimétisme parfait, Aviator est une œuvre très classique, certes, mais maîtrisée et passionnante.

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Dans la longue et tumultueuse vie de Howard Hughes, Martin Scorsese a pioché une vingtaine d’années, de la fin des années 1920 à celle des années 1940. En deux ans, le jeune homme perd ses deux parents et accède ainsi à l’immense fortune léguée par les inventions associées au pétrole de son père. Il n’a pas vingt ans et il n’a que faire de l’exploitation pétrolière qui a enrichi sa famille : il ne pense qu’à ses deux passions, l’aviation et le cinéma et il veut les combiner en tournant un film. Et pas n’importe lequel : à sa sortie en 1930, Les Anges de l’enfer est le long-métrage le plus cher de l’histoire du Septième art avec son budget de 4 millions de dollars. Aviator commence précisément en plein tournage, alors que les désirs de perfection du cinéaste en herbe ne cessent de repousser la sortie et d’augmenter la facture totale. Il veut tourner des combats aériens comme on en a jamais vus, et à cette époque où le numérique n’était même pas un rêve, il n’a pas le choix : Howard Hughes dépense sans compter pour acheter des avions et entraîner des pilotes à réaliser les acrobaties les plus folles. Le biopic donne une excellente idée de ce tournage totalement dingue, même selon nos standards actuels, où des séquences de voltige doivent être réalisées en une seule prise, face à la caméra. Le scénario porté par Martin Scorsese évoque les quatre morts liés au projet et c’est probablement un miracle que les dommages n’étaient pas plus importants, tant l’entreprise semble folle. Ce qu’il fait avec le cinéma, le héros d’Aviator le fait aussi avec les avions. Le jeune homme ne se contente pas de voler et de faire voler, il veut aussi construire des avions plus puissants, plus rapides, plus modernes… Son ambition est sans borne, et dans tous les cas, le film montre bien son obsession de la perfection. Que ce soit pour réaliser le plan parfait comme réalisateur, sans avoir peur d’attendre huit mois sans rien tourner pour avoir le bon nuage à l’arrière-plan, ou que ce soit comme ingénieur, quand il s’agit de limer les rivets de son appareil pour en améliorer les performances. Howard Hughes ne reculait devant rien et ne regardait jamais la dépense, sans se soucier des conséquences : pour créer son Hercules, le plus gros avion jamais créé1, il dépense des dizaines de millions de dollars pendant des années. Pour rien, puisque l’appareil n’a jamais décollé au-delà de son vol original…

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Martin Scorsese présente un personnage fascinant, mais ce qui l’intéresse avant tout, ce ne sont pas nécessairement les succès de Howard Hughes. Une belle place leur est accordée, avec les années de gloire à Hollywood quand Les Anges de l’enfer sort et connait un immense succès, mais aussi quand il se met en couple avec Katharine Hepburn, ou encore quand il bat un record de vitesse aves son propre avion. Derrière ces réussites personnelles et professionnelles se cache toutefois un homme complexé : le personnage principal d’Aviator souffrait d’une phobie vis-à-vis de la saleté, doublée de multiples TOC et d’autres difficultés psychologiques qui pouvaient le conduire dans un état proche de la léthargie. Avant de finir sa vie enfermé dans une chambre d’hôtel pendant plusieurs années, on le voit ici dans une phase où il se referme sur lui-même suite à quelques difficultés liées à des contrats annulés avec l’armée américaine et le travail de la censure à l’encontre de son dernier film, Le Banni, jugé indécent par la mise en avant de la poitrine de son héroïne. Martin Scorsese montre sans détour comment son personnage s’enferme alors dans sa salle de cinéma privée, où il reste cloitré et nu, ne sortant même pas pour ses besoins naturels, qu’il satisfaisait en utilisant ses bouteilles de lait vidées. C’est une séquence qui présente l’homme à son pire moment, délaissé par les femmes et par la société, avec des tendances paranoïaques qui ne viennent rien arranger. Cette scène suffirait à justifier le film et surtout son acteur : déjà extrêmement célèbre, Leonardo DiCaprio justifie encore une fois toute l’étendue de son talent en se fondant littéralement dans son personnage. On ne voit plus l’acteur, on voit et on entend Howard Hughes : c’est déjà impressionnant quand le milliardaire va bien, mais c’est dans les séquences à la limite de la folie que sa prestation explose à l’écran. Il est bluffant et Aviator tient largement sur ses épaules, même si on peut aussi saluer la prestation de Cate Blanchett, méconnaissable en Katharine Hepburn.

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Aviator n’est pas une œuvre fondamentalement originale et on pourrait lui reprocher son classicisme et sa quête de mimétisme qui est allée jusqu’à l’utilisation de filtres numériques pour recréer la pellicule disponible l’époque2. Leonardo DiCaprio est dans la même veine, avec un jeu qui essaie d’imiter autant que possible le personnage historique. Le scénario se contente quant à lui de suivre la chronologie de son sujet, tout simplement. Est-ce pour autant un défaut ? On peut aussi reconnaitre l’excellent travail mené par Martin Scorsese et le cinéaste est parfaitement à son aise avec ce type de projet. Aviator est un film conventionnel, mais il est aussi extrêmement réussi et convaincant.


  1. Les plus gros avions actuels chargent plus de marchandise ou de passagers, mais il n’empêche que le Hughes H-4 Hercules reste le plus grand par certains aspects. Cette photo de comparaison avec l’A380 et d’autres gros appareils est, à cet égard, très impressionnante et on peut saluer le travail de reconstitution, qui donne une bonne idée de la taille de l’engin. 
  2. Toute la première partie d’Aviator, jusqu’à 1935, est ainsi filmé avec des tons bicolors marqués. Ces aplats de bleus et de rouge (bien visibles sur cette image) étaient typiques des films « bipack color », très populaires à l’époque et exploités sur les tournages par Howard Hughes. Après 1935, Martin Scorsese maintient un filtre, mais cette fois pour imiter le Technicolor qui connaît ses heures de gloire dans les années 1930 et 1940.