Babylon Berlin, Tom Tykwer, Achim von Borries et Hendrik Handloegten (Sky 1)

Plus chère série jamais produite en Allemagne, Babylon Berlin impose son ambition dès le tout premier épisode. Cette adaptation d’une série de romans de Volker Kutscher se déroule dans la République de Weimar de 1929, l’équivalent de l’Allemagne que l’on connaît aujourd’hui. Une dizaine d’années après la fin de la Première guerre mondiale et la jeune démocratie allemande est menacée de toute part, par les communistes qui espèrent y reproduire la révolution russe, par les nationalistes qui se font de plus en plus entendre et par l’armée qui n’a pas accepté la défaite. Tom Tykwer, Achim von Borries et Hendrik Handloegten ont parfaitement réussi à recréer un Berlin de 1929 crédible et cette époque tumultueuse offre le cadre parfait pour une intrigue policière qui se construit à partir d’un mystérieux train russe. Les deux premières saisons ont été tournées comme un seul grand ensemble de seize épisodes et même s’il y a bien quelques faiblesses ici ou là, notamment une fin un peu précipitée, il faut bien reconnaître que c’est une vraie réussite. Babylon Berlin s’impose vite comme une excellente série et on a hâte d’en voir plus !

C’est un train, donc, qui déclenche tout. Un convoi venu d’URSS et qui est censé se rendre jusqu’à la Turquie via l’Allemagne, mais qui est arrêté à Berlin et qui intéresse beaucoup de monde. Les militaires allemands, l’ambassade soviétique, un groupe de révolutionnaires trotskistes et bientôt la police qui vient mettre son nez. Babylon Berlin a le bon sens de ne pas tout dévoiler d’un seul bloc et au contraire de faire monter le suspense doucement. Le héros, Gereon Rath, est un policier des mœurs de Cologne envoyé à Berlin officiellement pour mettre un terme aux affaires d’un pornographe qui échappe à la police depuis quelques mois. On comprend vite que ce n’est qu’une excuse et que ses motivations sont plus complexes. Il cherche surtout à retrouver une bande de film pornographique, on comprend que sa famille est directement impliquée, mais le scénario ne détaille pas pourquoi d’emblée. L’intrigue des seize premiers épisodes est assez complexe quand on y pense, il y a de nombreuses ramifications, un assez grand nombre de personnages et des thématiques très variées qui sont abordées successivement. Tom Tykwer, Achim von Borries et Hendrik Handloegten essaient de reconstituer toute la complexité d’une époque au fond mal connue. L’Allemagne entre 1918 et 1939 ne se résume pas à l’accession au pouvoir de Hitler, ni même au krach de 1929 qui n’est pas encore d’actualité, puisque l’intrigue de Babylon Berlin se déroule au printemps. On connaît assez mal, surtout en France, la République de Weimar et toutes les tensions politiques qui l’entourent et la série essaie de leur offrir un cadre. L’intrigue reste centrée sur quelques personnages et sur une trame policière qui traverse les deux saisons, mais cette trame est suffisamment lâche pour que le contexte politique et économique soit bien recréé. La misère extrême d’une grande partie de la population, les mensonges et arrangements du gouvernement, les méthodes dégueulasses de la police ou encore l’importance de la mafia sont autant de sujets présents et restitués.

Tout ce contexte est passionnant, mais Babylon Berlin ne serait rien sans ses personnages. Le casting réuni pour le projet est impeccable et les deux saisons offrent aux personnages suffisamment d’opportunités pour bénéficier d’une vraie psychologie. Il y a bien quelques facilités ici où là, en particulier sur les derniers épisodes qui concentrent quelques faux-pas un petit peu gênants et surtout qui semblent vouloir en faire trop en trop peu de temps. Une fin étrange, alors même que les trois créateurs de la série portée par Sky 1 ont justement pris leur temps sur tout le reste des deux premières saisons. Mais ne soyons pas trop dur, on s’intéresse très vite aux personnages et aux enjeux de l’intrigue, et il convient de saluer à la fois le jeu des acteurs et la qualité de la reconstitution. Le budget pharaonique n’a pas été englouti par la série en vain, on le retrouve bien à l’image. Il y a d’abord ces décors, des rues entières reconstituées en studio avec beaucoup de précision et de soin, ce qui renforce le réalisme des séquences. C’est notamment le cas du Moka Efti, un restaurant/club/boîte de nuit de Berlin où l’intrigue se passe en partie. D’autres séquences ont été tournées directement dans la capitale allemande, mais le travail de maquillage numérique est discret et de qualité et le dépaysement est immédiat. La qualité de cet univers historique passe par une multitude de petites choses. Il faut les bâtiments de l’époque qui ont souvent disparu aujourd’hui, les véhicules et habits de l’époque bien sûr, mais aussi la culture de l’époque et notamment sa musique. C’est l’une des plus grandes réussites de Babylon Berlin, la bande-originale a été particulièrement soignée et elle est à la hauteur des meilleures musiques de films. Outre la très bonne partie musicale composée par Johnny Klimek qui avait déjà travaillé avec Tom Tykwer sur la bande-originale de Sense8, un vrai groupe a été créé rien que pour la série pour tous les titres joués dans le Moka Efti. On trouve aussi des morceaux chantés, certains d’époque et deux créations. Bryan Ferry a notamment adapté un titre de Roxy Music à la sauce des années 1920, mais la star de l’album et de la série, c’est toutefois « Zu Asche, Zu Staub » interprétée par Severija Janušauskaitė qui joue aussi la comtesse Sorokina. Montée en puissance, voix singulière et passage à la batterie réjouissant… ce morceau a tout pour plaire et son succès n’a rien d’étonnant.

C’est ce sens du détail qui permet vraiment cette production de la chaîne Sky 1 de sortir du lot. Babylon Berlin aurait pu n’être qu’une série policière sans intérêt, mais elle gagne en profondeur grâce à une reconstitution historique impeccable et surtout grâce à un univers parfaitement maîtrisé et crédible. Tom Tykwer, Achim von Borries et Hendrik Handloegten ont réussi leur pari et leur création s’impose aisément comme incontournable grâce à ces seize premiers épisodes. La troisième saison a commencé à être diffusée en Allemagne et une quatrième est d’ores et déjà prévue. Est-ce que ce bon niveau sera maintenu ? On ne peut que l’espérer, mais dans tous les cas, vous auriez tort de passer à côté de ce que l’on peut voir jusque-là de Babylon Berlin.


Babylon Berlin, saison 3

(26 août 2020)

La deuxième saison de Babylon Berlin accumulait les révélations jusqu’à l’excès, mais concluait l’arc principal des deux premières saisons, éclairant le mystère du train russe. Pour la suite, il fallait partir sur une autre intrigue principale, tout en conservant tous les points forts de la série créée par Sky 1, y compris ses personnages principaux parfaitement écrits. Les trois créateurs l’ont très bien compris et ils offrent une nouvelle saison plus longue, 12 épisodes cette fois, et peut-être plus ambitieuse encore. Elle entremêle toujours aussi adroitement la grande histoire en se calant juste avant le krach de 1929 et en se concentrant plus précisément sur la montée du nazisme en Allemagne, sans oublier les intrigues policières avec une série de meurtres à résoudre, ni les histoires personnelles de ses personnages. Un puzzle qui se déploie avec une aisance et un naturel bluffants, pour une nouvelle saison qui conforte la réussite de Babylon Berlin et donne envie d’en voir encore plus.

24 octobre 1929, les bourses du monde entier s’écroulent et elles entraînent dans leur chute le système financier dans son ensemble. Le jeudi noir de New York a été rapidement suivi sur toutes les places boursières majeures européennes, dont celle de Berlin le 25 octobre et la troisième saison de Babylon Berlin ouvre sur cet événement hors du commun. Le bâtiment est quasiment vide, c’est le chaos, des papiers sont laissés en vrac partout et plusieurs personnes se suicident sur place… une vision infernale qui est le point d’arrivée de ces nouveaux épisodes. La saison reprend ainsi quelques semaines plus tôt, courant septembre 1929, soit aussi quelques mois après la fin de la saison précédente. Tom Tykwer, Achim von Borries et Hendrik Handloegten choisissent ainsi de prendre un petit peu de recul, sachant qu’ils ne signent pas un documentaire sur la crise et le contexte économique allemand de l’époque. La menace d’une chute financière est dans l’esprit des spectateurs, prévenus par ce flash-forward, mais il ne l’est pas du tout dans la tête des personnages. À part l’un d’entre eux, considéré comme un illuminé ridicule, personne ne se doute que la croissance économique exceptionnelle que l’Allemagne connaît à l’époque va connaître une fin abrupte. L’argent semble couler à flot et même si les violences entre communistes et nazis demeurent, le pays semble être dans une bonne situation. Ce n’est qu’un leurre évidemment, mais comment le deviner du point de vue de l’époque ? Babylon Berlin s’éloigne des clichés faciles sur l’époque et le NSDAP, le parti d’Adolf Hitler, n’est pas encore le nazisme terrifiant qui a provoqué la mort de millions de gens. La crise de 1929 lui a apporté un soutien salutaire, mais juste avant, c’est encore un petit parti marginal qui peine à convaincre la majorité et qui ne menace personne.

Tout ce contexte historique est un cadre qui sert avant tout à poser personnages et intrigues principales. Le sujet de Babylon Berlin n’est ni la crise, ni la montée du nazisme, quand bien même ces deux thématiques traversent la saison, c’est bien une nouvelle enquête policière. En l’occurrence, la mort suspecte d’une actrice pendant le tournage d’un film : un projecteur lui est tombé dessus, et très vite, la police suspecte un meurtre. Gereon Rath est en charge l’enquête, accompagné de Charlotte qui n’a pas réussi à devenir commissaire, mais qui reste une assistante très efficace dans la police. Les scénaristes reprennent la majorité des acteurs des deux premières saisons et ajoutent quelques nouvelles têtes, un dosage parfait pour construire sur les bonnes bases psychologiques établies en amont, sans pour autant tomber dans la redite. Les créateurs de la série parviennent toujours très bien à entremêler les histoires personnelles avec l’intrigue policière et on apprécie au passage l’ouverture, certes timide, sur le plan sexuel pour plusieurs personnages. L’enquête policière sur les multiples meurtres qui ont lieu dans le studio de cinéma n’est peut-être pas des plus passionnantes, mais Babylon Berlin reprend l’excellente idée des saisons précédentes et elle continue de la traiter presque de manière secondaire. Elle est au cœur de la saison, bien sûr, mais elle partage aussi la place avec les vies des personnages et les réminiscences d’événements qui se sont déroulés précédemment. En particulier, l’affaire de l’assassinat de Benda qui avait eu lieu dans la saison 2 est toujours aussi importante et la création de Sky 1 l’utilise astucieusement pour démontrer comment la démocratie allemande a échoué. Sans éclat, sans coup d’état, mais de façon très pernicieuse, en remettant en cause les fondamentaux et en court-circuitant toutes les protections qui devaient exister. C’est très malin, d’autant que c’est bien plus intéressant que les meurtres de quelques actrices.

C’est un sans faute pour Babylon Berlin, qui maintient son excellent niveau sur cette nouvelle saison. Tom Tykwer, Achim von Borries et Hendrik Handloegten rappellent qu’ils savent parfaitement manier la grande histoire et les histoires personnelles, tout en imaginant une nouvelle intrigue policière pour lier le tout. C’est un assemblage complexe et pourtant parfaitement maîtrisé et très simple à suivre. S’il fallait faire un reproche, ce serait peut-être que la bande-originale n’est plus aussi spectaculaire qu’avant. Il n’y a pas de morceau fort comme dans les premières saisons, uniquement des variations de thèmes musicaux déjà entendus. Ces thèmes étaient excellents et les variations ne le sont pas moins, mais Babylon Berlin avait placé la barre si haut que l’on espérait encore mieux…

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