Quatre ans seulement après sa première réalisation, Tim Burton est mis à la tête d’un énorme projet hollywoodien et de l’une des plus grandes licences de superhéros. Batman est le premier film d’une longue série, jusqu’à la trilogie de Christopher Nolan. C’est la première fois que le justicier ailé apparaît sur les grands écrans, même si Batman avait déjà eu droit à de nombreuses séries pour la télévision. Le choix de Tim Burton pour diriger ce projet n’allait pas de soi et le jeune cinéaste avait déjà développé son propre univers si particulier. Loin de plier face à la pression des studios, il est parvenu à imposer cet univers dans Batman, pour un film très sombre et gothique. Même si Christopher Nolan a depuis réussi à imposer une vision plus réaliste et sombre encore, ce premier épisode ambitieux reste un très bon film.
Quand Batman commence, le superhéros n’est encore qu’une vague rumeur propagée par certains voyous. La police ne veut pas trop y croire, pas plus que les officiels de la ville, ni même les collègues d’Alexandre Knox. Le journaliste aimerait enquêter sur cet homme chauve-souris qui semble tant effrayer ses victimes, mais personne ne le prend vraiment au sérieux, si ce n’est Vicky Vale. Cette jeune photographe accepte de travailler avec lui pour écrire un article sur Batman. Dans le même temps, ce dernier sort en terrain découvert et aide la police au cours d’une opération compliquée pour arrêter la mafia dans une usine chimique. Pendant l’attaque, le meneur côté mafia, Jack, tombe dans une cuve et on le croit mort. Le produit contenu dans la cuve le transforme en fait et lui fait perdre la tête : Jack devient le Joker, un adversaire redoutable que Batman va devoir affronter…
Christopher Nolan a choisi de commencer sa trilogie sur la naissance du héros. Batman Begins commençait sur un Bruce Wayne simple mortel et assistait à sa transformation, jusqu’à devenir Batman. Tim Burton a une idée totalement différente, puisque Batman se déroule juste après la naissance du personnage. Dès le départ, la figure noire et ailée existe, tous ses attributs ont déjà été créés, de la voiture aux multiples gadgets qui servent au superhéros pour se battre. Le processus de création n’intéresse nullement le cinéaste, même si Batman ne devient vraiment Batman qu’en étant connu du public. Batman peut être associé, à cet égard, au Batman Begins de Nolan, mais la comparaison entre les deux films s’arrête vite. Tim Burton a choisi le personnage du Joker pour son premier film, un choix intéressant, tant ce méchant est à la fois éloigné et proche du superhéros. Si le réalisateur n’a pas cherché à expliquer les origines de son héros, il explique en revanche celles du méchant : contrairement cette fois à The Dark Knight, le Joker n’est que Jack quand Batman débute, un homme de main de la mafia et homme de confiance du parrain. C’est pour une histoire de femme qu’il perd cette confiance, ce qui lui vaut d’être trahi par son patron. La transformation vers le Joker est physique, c’est le produit chimique de la cuve qui le contraint à une opération chirurgicale et à ce rire en permanence sur le visage. C’est aussi ce produit qui lui fait perdre la tête et lui permet de devenir ce personnage extrêmement inquiétant, parce que capable de tout. La naissance du héros et de son ennemi sont des passages obligés dans les adaptations de comics, Tim Burton a choisi de manière plus originale de se concentrer uniquement sur le méchant.
Malgré son titre, Batman n’est pas vraiment un film sur Batman. Tim Burton n’éprouve qu’un intérêt très relatif pour le superhéros, qui n’est d’ailleurs jamais vraiment le personnage principal du film. Pendant toute la première partie, il est même absent et ce n’est que tardivement qu’on le voit vraiment et que l’on peut faire le lien avec Bruce Wayne. Pour qui ne connaît pas l’histoire originale, ce procédé plutôt astucieux permet d’entretenir une bonne dose de mystère autour du personnage, mais le plus étonnant vient ensuite. Alors que Batman a tout dévoilé de celui qui devrait être son personnage principal, le point de vue reste toujours celui d’un personnage supposé secondaire — souvent Vicky Vale —, très rarement celui de Batman. Dans la scène où Bruce Wayne revient sur le lieu où ses parents ont été tués par exemple, on suit en fait le milliardaire depuis l’appareil photo de Vicky venue espionner en quelque sorte son amant. Le vrai héros du long-métrage n’est pas celui annoncé par le titre, mais plutôt le Joker. Tim Burton semble éprouver une vraie attirance pour ce personnage complexe et c’est lui qui a droit à toutes les attentions du film, lui qui est le plus souvent à l’écran, lui aussi qui concentre toute l’intensité dramatique du scénario. Batman crée un Joker haut en couleur avec son maquillage et son rire sonore. Par bien des aspects, il ressemble à un clown, comme en témoignent certains de ses gadgets (la fleur qui lance de l’acide par exemple) et son entrée en matière entourée de mimes est significative de cet esprit. On est bien loin de l’esprit du personnage imaginé par Christopher Nolan et même si le Joker triste et imprévisible de The Dark Knight est beaucoup plus fort par sa volonté profonde de créer le chaos par plaisir, celui de Tim Burton reste une réussite. Batman illustre parfaitement l’image du clown triste, tandis que l’utilisation de composants chimiques dangereux dans des produits du quotidien est une très bonne idée pour semer la peur.
Tim Burton vient juste de dépasser la trentaine quand son troisième long-métrage sort, mais il impose déjà un univers extrêmement particulier et très marqué. Batman est un projet bien différent des deux précédents films, puisque c’est une grosse production hollywoodienne dotée d’un énorme budget. Le jeune cinéaste ne se laisse pas démonter pour autant et il a réussi à imposer sa vision très gothique dans ce film. D’emblée, la noirceur de Gotham est flagrante et très réussie, avec une grande utilisation d’éléments industriels délabrés qui donnent une touche presque apocalyptique. La ville créée pour Batman ressemble à New York ou une autre grande ville américaine, mais son abandon est sensible, comme si elle avait été construite proprement des années auparavant, puis totalement abandonnée jusqu’au début du film. Tout est sale et gris ou noir et cette vision, quoique moins réaliste que celle de Christopher Nolan, est incontestablement une réussite. On retrouve l’amour de Tim Burton pour le gothique, que ce soit avec le château des Wayne ou l’usine chimique qui est elle aussi une sorte de château, ou bien avec ce final de nuit, dans un clocher. Le réalisateur a aussi réussi à imposer son choix pour la musique, brillamment composée comme toujours par Danny Elfman, mais aussi pour le casting. Jack Nicholson domine l’affiche et compose un Joker effrayant de folie, un thème qui lui convient parfaitement et qui rappelle assez sa prestation dans Shining. À ses côtés, Michael Keaton est un habitué et il interprète assez mollement Batman, une composition à l’image du personnage cela dit. Kim Basinger se débrouille pas trop mal en copine du superhéros, tandis que les personnages secondaires attendus sont à l’écran, sans vraiment s’imposer, à l’image d’Alfred interprété ici par Michael Gough.
Difficile, à dire vrai, de se défaire de la relecture de Christopher Nolan pour retrouver cette première proposition. Batman est un film de Tim Burton avant tout, et cela se voit : l’univers du jeune réalisateur est bien présent et il a même tendance à parfois écraser celui du comics. C’est sa limite pour les fans, mais aussi l’intérêt principal du film, qui dépasse ainsi son statut de simple blockbuster pour devenir une brique de la filmographie de Tim Burton. Batman propose une version visuellement noire du superhéros, mais moins sombre finalement que celle que l’on a vue ces dernières années. Le film reste très intéressant comme mélange de deux univers, mais aussi parce qu’il a imposé une certaine vision du personnage qui est restée par la suite dans l’imaginaire collectif.