Au début de sa carrière, Tim Burton s’est déjà frotté aux blockbusters hollywoodiens avec sa propre version du superhéros ailé de Gotham City. Batman proposait une version sombre très fortement marquée par l’univers gothique du jeune cinéaste. Deux ans après seulement, une suite sort et Tim Burton se donne encore plus de libertés : Batman, le défi est plus que jamais un film marqué par l’univers du réalisateur, alors que celui du comics original est un peu en retrait. Les amateurs de Batman seront peut-être un peu déçus, mais c’est aussi ce qui fait l’intérêt du long-métrage…
Comme son prédécesseur, Batman, le défi ne questionne pas la naissance du superhéros. Quand le film commence, Batman existe déjà et il agit régulièrement pour défendre Gotham contre ses agresseurs, ce qui est déjà une évolution par rapport à Batman qui s’intéressait à la première action du justicier volant et masqué. Cette fois, Tim Burton introduit un nouvel ennemi, reprenant un schéma traditionnel dans le genre : après le Joker, place au Pingouin. Si le cinéaste ne s’intéresse pas à l’origine de son héros annoncé, il commence son film en expliquant la naissance de son antihéros : on découvre ainsi l’abandon d’Osward Cobblepot, fils ainé d’un couple extrêmement riche qui n’apprécie pas les bizarreries physiques de leur fils, bossu et avec des sortes d’ailes de manchots à la place des mains. Ces appendices ainsi que sa vie passée dans les égouts et avec les pingouins du zoo de Gotham lui ont donné ce nom et Batman, le défi repose sur un scénario assez original autour de ce personnage. Max Shreck, un milliardaire qui a beaucoup fait pour Gotham, espère imposer ses idées en sortant le pingouin de l’ombre et en en faisant le maire de la ville. Un pari un peu fou tant le personnage est monstrueux, mais qui aurait pu réussir s’il n’y avait pas eu, on s’en doute, l’intervention de Batman.
Dans Batman, le défi, Tim Burton ne s’est pas contenté d’un seul ennemi, comme c’était le cas dans son premier film, mais aussi dans la plupart des adaptations de superhéros. Le cinéaste a choisi au contraire de multiplier les opposants à Batman. Outre le Pingouin qui occupe le devant de la scène, le justicier masqué de Gotham doit affronter Max Shreck, mais aussi Catwoman. Ces deux derniers personnages s’allient à un moment ou à un autre au premier et ils donnent le sentiment que Batman, le défi est envahi par les ennemis. C’était déjà le cas avec Batman, mais c’est encore plus vrai cette fois et le film est très sombre, beaucoup plus que son prédécesseur. La noirceur chez Tim Burton n’a rien à voir avec celle de Christopher Nolan dans sa propre trilogie, mais le méchant n’a plus rien du clown qu’était le Joker interprété par Jack Nicholson. Ce Pingouin est beaucoup plus monstrueux avec sa bosse, ses mains difformes et surtout cette dentition aiguisée et sa bouche sale. On peut dire que le cinéaste n’est pas passé à côté de ce personnage haut en couleur, assez grotesque surtout quand il se déplace dans un canard jaune façon canard de baignoire, mais pas moins dangereux pour autant. Paradoxalement, ce méchant utilise l’univers du cirque pour arriver à ses fins, mais c’est un personnage extrêmement sérieux et un monstre plutôt triste. On retrouve bien là un personnage parfaitement burtonien, ce qui trahit encore une fois la prise de pouvoir de Tim Burton sur la licence.
Cette prise de pouvoir est encore plus sensible quand on observe le traitement réservé à Batman. Dans le précédent film déjà, ce personnage censé être le héros était traité comme un personnage secondaire, tandis que le Joker était le garai héros du long-métrage. Ce procédé est poussé à son paroxysme dans Batman, le défi, puisque cette suite marginalise encore plus le justicier. Insignifiant sur le plan psychologique, il n’existe que le temps de donner un coup ou deux et repart aussi vite qu’il est arrivé. Tout est trop facile pour lui, même s’il prend quelques coups, il n’est jamais mis en difficulté et au total, il n’est jamais un personnage intéressant. Tim Burton lui préfère la galerie de méchants réunie pour le film et surtout le Pingouin et Catwoman. Cette dernière est peut-être le personnage le plus intéressant du film, parce qu’elle est à la fois opposée à Batman et un autre superhéros. Batman, le défi montre là aussi sa naissance, avec une opposition classique, mais très bien réalisée, entre Selina Kyle, secrétaire un peu ratée et mal à l’aise dans la vie et Catwoman, beaucoup plus épanouie sur le plan sexuel et corporel. C’est dans son opposition à Max Shreck qu’elle s’impose à Batman, ce dernier ayant pour principe de ne pas tuer les criminels, mais de les livrer à la police, là où Catwoman ne s’embarrasse pas avec les détails. Malin, Tim Burton double cette relation déjà complexe d’une autre relation, amoureuse cette fois, entre Selina Kyle et Bruce Wayne, alors que ni l’un, ni l’autre ne connaît l’identité de superhéros de l’un, et de l’autre.
Avec tant de personnages différents, le scénario de Batman, le défi a nécessité beaucoup de versions et d’écriture. À l’écran, ce n’est certainement pas le point fort de ce long-métrage un peu brouillon. Sans l’univers visuel de Tim Burton en guise de liant, l’ensemble ne tiendrait peut-être pas la longueur, mais même ainsi, on se perd un peu et l’intrigue principale est assez faible. On apprécie l’idée de faire du Pingouin le maire de Gotham, mais la suite est plus faible et le grand projet du méchant — passage obligé dans une adaptation de comics — est assez faible. Qu’importe, Batman, le défi reste un vrai plaisir à regarder pour qui aime le cinéaste. Tim Burton ne voulait pas d’une suite et il a fallu qu’on lui offre une liberté totale pour qu’il accepte. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il a exploité cette liberté : le résultat est encore plus personnel que dans Batman et c’est criant dès la séquence d’ouverture qui assiste à la création du Pingouin par l’abandon parental. Les décors gothiques, la musique de Danny Elfman, la photographie très sombre et mystérieuse… tout y est. Encore une fois, les amateurs apprécieront, les autres regretteront cette appropriation du comics par Tim Burton, au point d’éclipser le superhéros au profit de ses ennemis. Batman, le défi est un film déséquilibré, d’autant que Michael Keaton est assez moyen toujours pour interpréter Batman, alors que Danny de Vitto excelle en face en pingouin monstrueux. Entre les deux, Christopher Walken fait un capitaliste un peu mafieux efficace, mais c’est surtout Michelle Pfeiffer qui séduit en Catwoman un peu brutale.
Plus encore que dans Batman, Tim Burton s’approprie le mythe du superhéros dans cette suite. Batman, le défi accorde encore moins de place et d’importance au personnage censé être principal et privilégie au contraire encore plus les personnages supposés secondaires, et en particulier les méchants. Une bonne idée, tant ces personnages sont souvent plus intéressants, même si Batman, le défi veut peut-être en faire trop en les démultipliant. Un divertissement de qualité, à ne pas rater, mais plus pour Tim Burton que pour Batman lui-même…