Battlestar Galactica, Ronald D. Moore (SyFy)

La science-fiction a quelque peu disparu du petit écran ces dernières années. Les séries les plus populaires ne sont pas nécessairement ancrées dans une stricte réalité, en témoigne le succès de True Blood, mais les grandes épopées spatiales à la Star Trek n’ont plus vraiment la côte. Battlestar Galactica fait figure d’exception : conçue par Ronald D. Moore, cette épopée de science-fiction a débuté aux États-Unis en 2004 et a tenu pendant quatre saisons pour former une série extrêmement ambitieuse et réussie. On y trouve des vaisseaux et des batailles dans l’espace, bien sûr, mais ce reboot d’une série créée à l’origine à la fin des années 1970 a su se centrer sur le plus important : l’humain. Au-delà de la science-fiction, Battlestar Galactica dépeint une société qui ressemble comme deux gouttes d’eau à la nôtre et c’est là sa force. Une excellente série à recommander à tous les amateurs de série, et pas seulement à ceux qui aiment la science-fiction.

Battlestar galactica personnages principaux

Le point de départ est assez classique en science-fiction, quoique traité ici de manière très spectaculaire. Dans un futur très lointain, l’homme occupe plusieurs planètes et maîtrise la navigation spatiale sans difficulté, grâce à l’invention d’une technique qui permet aux vaisseaux d’aller plus vite que la lumière en faisant des sauts d’un point à un autre. Poursuivant les recherches actuelles, l’homme a créé des robots dotés d’une intelligence artificielle si sophistiquée qu’elle s’approche de l’intelligence humaine. Ce qui devait arriver arriva : les robots ont perçu les hommes comme une menace esclavagiste et ils ont décidé de prendre leur indépendance. Une guerre a éclaté entre les humains d’un côté et les robots, surnommés Cylons, de l’autre. Cette guerre dévastatrice a été terminée avec un traité de paix et une démarcation très nette de l’espace. Depuis, les Douze Colonies humaines n’ont plus entendu parler des Cylons et la paix semble être là pour durer.

uand Battlestar Galactica commence, ces évènements sont déjà vieux de plusieurs dizaines d’années. La paix étant bien établie, l’armée coloniale a décidé de désarmer l’une de ses forteresses de guerre qui date de la guerre contre les Cylons, le Galactica. L’énorme vaisseau doit devenir un musée et c’est justement son inauguration qui ouvre la série. Peu avant les célébrations, toutes les planètes occupées par les hommes sont attaquées brutalement et violemment. Sans prévenir, les Cylons ont décidé de revenir et de frapper fort, très fort : en quelques heures à peine, toutes les planètes sont frappées si durement qu’il ne reste plus de survivants. L’humanité tout entière est réduite à une poignée de survivants, moins de 100 000 hommes, femmes et enfants qui se trouvaient dans l’espace au moment de l’attaque et qui ont échappé aux missiles ennemis. Le vieux Galactica échappe au piratage ennemi et le commandant Adama à sa tête a le bon sens de partir immédiatement le plus loin possible. C’est ce vaisseau qui va rassembler une flotte de survivants et organiser la survie de l’humanité, tout en poursuivant un objectif : retrouver la Terre qui est désormais une légende.

Battlestar galactica james olmos hogan

En guise de pilote, Battlestar Galactica a droit à quasiment un film de cinéma. La « mini-série » est en fait composée de deux épisodes d’une heure trente, pour former une introduction assez impressionnante à la série. Comme dans tout pilote, les principaux personnages sont présentés, mais c’est aussi le cadre général de l’univers qui est mis en place. La première force de Battlestar Galactica est de rendre son univers crédible par l’histoire : quand on découvre les Douze Colonies, on voit le poids des années, on sent que cette société existe depuis longtemps et qu’elle a un passé. Le Galactica représente le mieux cet historique : ce vaisseau a plusieurs dizaines d’années, il a connu plusieurs guerres contre les Cylons et il est vieux et fatigué quand commence la série. C’est son archaïsme qui lui permet d’ailleurs de survivre : ses différents ordinateurs ne sont pas reliés en réseau, ce qui a empêché le blocage général du vaisseau par les robots. À l’intérieur, tout semble vieillot — même par rapport à aujourd’hui —, alors que d’autres vaisseaux aperçus par la suite sont beaucoup plus modernes : cette distinction apporte de la crédibilité à l’univers, et donc à l’histoire.

Battlestar Galactica commence avec l’attaque surprise des Cylons contre les Colonies humaines et ce conflit occupe une bonne partie de la série. Les premiers épisodes sont occupés simplement par la survie du Galactica et par la recherche d’autres vaisseaux survivants. Dans un premier temps, Bill Adama et sa flotte évitent les Cylons, sous peine d’être battus et ils doivent réarmer le vaisseau spatial militaire, mais aussi faire des réserves. Par la suite, les humains auront à combattre les robots à de nombreuses reprises, ce qui donne lieu à chaque fois à des batailles spatiales à base de missiles et de petits vaisseaux d’attaque de part et d’autre. Les amateurs de combats dans l’espace seront aux anges, on en voit un bon paquet tout au long des quatre saisons, avec quelques séquences explosives. Le combat sera aussi terrestre ici ou là, et même interne puisque, comme on l’apprend dès le pilote, les Cylons ont évolué au point de ressembler en tout point aux humains. Ne sachant pas au départ à quoi ressemble ces robots infiltrés, le conflit entre humains et Cylons prend une toute autre ampleur… Comme toutes les séries récentes, Battlestar Galactica fait écho à l’actualité et ce conflit rappelle naturellement la Guerre en Irak qui est contemporaine. L’analogie est frappante : l’attaque des Cylons évoque le 11 Septembre et le conflit entre les deux forces n’est pas sans lien avec la guerre menée par les États-Unis contre le terrorisme, et notamment le terrorisme islamiste. Le scénario est néanmoins suffisamment malin pour ne pas en rester à une opposition binaire et les liens avec l’actualité sont parfois difficiles à établir, ce qui est plutôt un bon point.

Battlestar galactica mcdonnell

L’attaque a pris par surprise les humains et les laisse complètement désorganisés. Non seulement le président meurt dès les premiers missiles lancés sur Caprica, la planète qui sert de capitale, mais c’est aussi tout le gouvernement qui est tué dans les premières minutes. Seule Laura Roslin, la ministre de l’Éducation, réussit à survivre puisqu’elle est en route vers le Galactica et son inauguration au moment de l’attaque. C’est le dernier membre du gouvernement en vie et elle prête très rapidement serment : cette ancienne institutrice devient ainsi présidente des Colonies. Si la composante militaire est importante, Battlestar Galactica s’intéresse de près aux survivants et à la société qu’ils organisent. Dans le premier épisode de la première saison, il y a un peu plus de 50 000 survivants. C’est évidemment très peu par rapport à la totalité de la civilisation, mais largement suffisant pour maintenir des cadres et ainsi créer une nouvelle société. Laura Roslin devient présidente des Colonies et elle reste seule maître à bord dans les premiers temps qui suivent l’attaque. Plus tard, une organisation politique similaire à celle qui existait avant l’attaque est mise en place. Similaire, puisque la flotte de Battlestar Galactica représente ce qui reste des Colonies, mais les survivants sont les douze Colonies survivantes ; on en reprend ainsi les textes de loi et les institutions. Cette nouvelle société n’est pas sans poser quelques problèmes.

Battlestar Galactica ménage une place importante aux problèmes d’ordres politiques et religieux rencontrés par les survivants. La question du pouvoir est centrale et elle est traitée de manière remarquablement fine pour une série, surtout une série de science-fiction. Au départ, c’est l’armée surtout qui a le pouvoir, c’est aussi la seule force capable de s’imposer. Face à elle, Laura Roslin s’efface devant la nécessité de la survie, mais très tôt le manque de démocratie et la tentation de la dictature sont soulevés. Comment organiser une vie politique normale — ne serait-ce que des élections — quand toute la société se résume à une vingtaine de vaisseaux en fuite ? Cette question est capitale, d’autant que les enjeux sont immenses : une fois leur survie assurée, le pouvoir civil reprend un peu de ses droits et il faut élire des représentants. La série pose alors une série de questions très intéressantes, comme celui du statut à accorder à d’anciens prisonniers politiques, ou encore le pouvoir réel que peut s’accorder une flotte dont la survie tient exclusivement à la présence militaire. À ces problèmes politiques s’ajoutent, dès le départ, le mystique et la religion. Élément original, il contribue encore à enrichir la série et intervient dès le pilote : on nous parle d’une Terre mythique et la présidente a des visions pour la retrouver qui correspondent aux écritures, une sorte de Bible du futur. Les concepteurs de la série ont puisé dans la mythologie grecque pour en proposer une version à peine modernisée, un pari intéressant, car il permet d’obtenir une religion à la fois exotique et familière. Dans Battlestar Galactica, deux clans se distinguent entre les croyants et ceux qui refusent de croire en l’existence des dieux de Kobol. La force de la série est de ne jamais en rester aux oppositions simples et non seulement les camps vont évoluer au fil des saisons, mais d’autres enjeux vont se greffer. L’histoire imaginée par Ronald D. Moore rejoue même l’opposition entre polythéisme et monothéisme, ancienne et nouvelle religion. Un pari gonflé, qui s’ajoute encore à l’originalité de l’ensemble.

Battlestar galactica callis

Les meilleures séries ne se distinguent jamais par leur univers ou par leurs effets spéciaux, mais bien par leurs personnages et Battlestar Galactica ne fait pas exception à cette règle. La série est riche de multiples questions de société et c’est ce qui fait sa particularité, notamment par rapport aux classiques du genre, de l’original Galactica à Star Trek, mais ce n’est pas cela qui fait sa réussite. Les personnages et surtout leurs relations : le côté futuriste importe peu, ce sont des données universelles et cette série les exploite remarquablement. Il y a de l’amour, de la haine, des vengeances, de la peur, de la bêtise aussi… tous les personnages ont fait l’objet d’une écriture soignée qui évite les clichés initiaux pour former des êtres réalistes. La fuite de l’humanité se déroule sur plusieurs années et on a le temps de les voir évoluer, certains se marient et fondent une famille, d’autres ont des destins moins communs, mais l’essentiel est qu’ils évoluent tous et sont au total suffisamment complexes pour être crédibles. Dans le lot, certains personnages sortent du lot sur le plan de la complexité. Le meilleur exemple est incontestablement Gaïus Baltar : on sait dès le pilote que ce scientifique, aveuglé par une femme qui s’avérait en fait être un Cylon, a ouvert la porte aux robots et leur a permis de remporter leur victoire initiale. C’est lui qui en sait le plus sur l’ennemi, c’est aussi le personnage à la fois le plus couard et le plus motivé à survivre, étrangement. En dire plus dévoilerait des points importants de l’intrigue, mais ce personnage et son parcours sont représentatifs du travail d’écriture des scénaristes de Battlestar Galactica.

Le spectateur le sait dès le départ, les principaux personnages de la série auront besoin d’un peu de temps pour l’apprendre : les Cylons peuvent ressembler en tout point aux humains, au point de se fondre dans la société humaine. La découverte des modèles cachés est un enjeu permanent dans Battlestar Galactica : on ne connaît au début qu’un seul Cylon et on découvre peu à peu les autres modèles. Cette idée de scénario qui permet astucieusement de maintenir l’intérêt à un bon niveau pendant quatre saisons est aussi l’occasion d’une question qui taraude la série : qu’est-ce qui différencie les Cylons des humains ? Ce n’est certainement pas l’apparence, si identique qu’il est impossible de détecter un robot sur le plan médical. Ce n’est pas non plus les émotions, calquées sur celles qu’éprouvent les humains et si bien calquées qu’un Cylon peut aimer, au moins en apparence. Ce problème est d’autant plus aigu qu’un Cylon peut ignorer sa vraie nature et être programmé pour se croire humain. L’air de rien, Battlestar Galactica introduit au passage quelques problématiques philosophiques : est-ce que le libre arbitre d’un Cylon ne suffit pas à faire de lui un humain ? Les hommes sont-ils si différents de leurs ennemis ? Un robot qui s’ignore est-il encore un robot ? Autant de points qui ne sont jamais explicitement posés dans les épisodes de Ronald D. Moore, mais qui sont en permanence à l’esprit des spectateurs et qui auront droit à des éléments de réponse, judicieusement répartis sur l’ensemble de l’œuvre.

Battlestar galactica bamber sackhoff

Dans son ensemble, le scénario de Battlestar Galactica impressionne par son ampleur et sa bonne tenue, ce qui n’est pas toujours évident sur quatre saisons bien remplies (73 épisodes au total). On peut malgré tout pointer du doigt quelques facilités et incohérences internes, mais aussi la pratique pénible qui consiste à centrer chaque épisode sur un seul élément (la recherche de l’eau dans le deuxième épisode de la première saison, par exemple). Qu’importe, on a rarement vu sur grand ou petit écran un film de science-fiction aussi ambitieux et il convient de saluer tous les scénaristes et évidemment Ronald D. Moore pour leur travail. La modernisation de Galactica, la série de 1978, est remarquable : on passe d’une histoire un peu caricaturale et déjà vue à un scénario qui tient la route, notamment parce qu’il est d’une richesse incomparable. La série peut aussi compter sur ses acteurs, tous impeccables, avec une mention spéciale à Edward James Olmos qui compose un Bill Adama paternaliste, dur et convaincant, à Mary McDonnell qui en impose en Laura Roslin et surtout à James Callis qui tient certainement le rôle le plus difficile avec Gaïus Baltar. Même les personnages secondaires sont bien joués ici, et ce malgré leur très grand nombre ; de ce côté, c’est un sans faute.

De la première à la dernière saison, les moyens ont évolué, mais Battlestar Galactica parvient à garder le niveau et à assurer un spectacle de qualité. De nombreuses scènes se déroulent en intérieur, mais les producteurs n’ont pas radiné sur les scènes dans l’espace, avec quelques batailles spatiales impressionnantes. On n’est pas au niveau des super-productions américaines, mais on s’en approche, notamment dans la dernière saison qui a manifestement bénéficié des apports de l’informatique. Les décors intérieurs ont été particulièrement travaillés, avec en premier lieu le vaisseau géant Galactica. Conçu comme un sous-marin plutôt que comme un vaisseau ultra-moderne, il surprend par son côté presque steampunk, ses vieux ordinateurs et ses gros boutons. C’est là que se déroule l’essentiel de l’action de la série, même si Battlestar Galactica sait varier les plaisirs avec des plans à la surface de divers planètes, et de nombreux autres dans plusieurs vaisseaux de la flotte. C’est un point important pour éviter la monotonie, certes, mais aussi pour apporter le réalisme nécessaire à l’ensemble. On apprécie aussi les vaisseaux abimés qui, comme dans la saga Star Wars, sont le meilleur moyen de « faire vrai ».

Battlestar galactica flotte

Pas surprenant que Battlestar Galactica soit immédiatement entré au panthéon des amateurs de science-fiction. Même si la série n’est pas sans défaut, elle offre un univers de science-fiction extrêmement riche, mais aussi et surtout une histoire à l’ambition folle qui tient la route d’un bout à l’autre. Cette série imaginée par Ronald D. Moore a dépoussiéré un genre qui en avait bien besoin avec succès. Comme toutes les bonnes séries, celle-ci est d’abord l’histoire de quelques hommes et femmes : au-delà du genre et de l’univers différent du nôtre, les histoires qui sont racontées dans Battlestar Galactica sont universelles et elles parleront à tous. Si vous n’avez jamais vu cette série, il n’est pas trop tard pour vous rattraper et suivre la survie de l’humanité perdue dans l’univers.