Black Mirror, Charlie Brooker (Channel 4)

La majorité des séries se concentre sur quelques personnages et une seule trame narrative. Certaines changent au fil des saisons, à l’image d’American Horror Story qui change totalement de contexte tout en gardant les mêmes acteurs. Black Mirror va beaucoup plus loin, puisque chaque épisode est totalement indépendant du précédent et du suivant. Par bien des aspects, cette création britannique ressemble plutôt à une collection de moyens-métrages qu’à une série au sens traditionnel du terme. Charlie Brooker signe une anthologie de science-fiction et aborde à travers les sept épisodes des deux premières saisons, différents aspects du genre. Du futur extrêmement proche au plus lointain, Black Mirror multiplie les angles, mais tourne toujours autour de la même idée : la dérive technologique, en particulier liée aux écrans, ces miroirs noirs qui ont donné au projet son titre. Ce n’est pas une œuvre très réjouissante, mais elle est passionnante et elle pose quelques questions difficiles : à découvrir !

Black Mirror Channel 4

Black Mirror commence avec un premier épisode très politique et assez peu futuriste. L’action se déroule dans un futur très proche et le scénario se construit pendant un petit peu moins d’une heure autour d’une prise d’otage menée par un groupe qui exige du premier ministre un acte obscène, qu’il sodomise un porc. Ce n’est pas vraiment de la science-fiction, mais déjà l’attrait de l’image est mis en avant, un thème qui traverse toute la série créée par Charlie Brooker. Le chef du gouvernement est d’abord soutenu par l’opinion, mais celle-ci change radicalement quand la princesse prise en otage est maltraitée face à la caméra. L’épisode suivant bascule au contraire dans un futur très lointain et une science-fiction plus nette, comme un contrepoint au premier et une sorte de manifeste pour la série. Cette fois, on découvre une société totalement différente, où plus personne ne travaille et où tout le monde passe son temps face à des écrans, à pédaler sur des vélos pour amasser une monnaie virtuelle. Les plus chanceux peuvent s’en sortir en faisant un télé-crochet qui rappelle fort les programmes que l’on connaît aujourd’hui : c’est une satire assez éprouvante de notre société de l’image. Après ces deux extrêmes, dans un sens, puis dans l’autre, Black Mirror évolue constamment entre les deux et tous les épisodes sont marqués par un futur discret. C’est à la fois pour des raisons de budgets que les univers imaginés sont très proches du nôtre, mais c’est aussi une manière de rapprocher la fiction du réel. Et à chaque fois, la critique sociale n’est pas loin, avec à l’arrivée une œuvre très noire et très puissante. Certains épisodes sont à la limite du déplaisant, c’est tout particulièrement le cas de « La Chasse », l’épisode au cœur de la saison 2. Une femme seule est pourchassée par des types qui veulent l’abattre à tout prix et toute la population se contente de filmer les évènements, sans agir. Une vision qui fait froid dans le dos, d’autant que la science-fiction reste très discrète : jusqu’au twist final que l’on ne révèlera pas, on ne sait pas très bien si l’on est dans le futur ou non. C’est déplaisant, et puissant.

Jon Hamm Black Mirror

Certains épisodes marquent plus que d’autres. Le dernier de la première saison, nommé « Retour sur image » devrait être adapté au cinéma1 et on comprend bien pourquoi. En apparence, l’univers présenté est similaire à notre présent, à un détail près : dans ce futur manifestement proche, tous les individus portent une puce derrière l’oreille et des lentilles spécifiques qui enregistrent en permanence leur vie. Toutes les images sont stockées dans cette puce et ils peuvent revivre chaque moment, sans jamais rien oublier. C’est une idée qui semble anodine, mais l’épisode excelle à montrer toutes ses implications, autour d’une histoire banale de tromperie dans un couple. La grande force de cet épisode, c’est de nous faire osciller constamment entre l’admiration et le dégoût : d’un côté, le mari obtient des aveux de sa femme et apprend qu’elle l’a bien trompée ; de l’autre, comment peut-on vivre sans pouvoir oublier quoi que ce soit ? C’est exactement le même principe qu’un autre épisode très puissant de Black Mirror, le premier de la deuxième saison nommé « Bientôt de retour » où une femme qui perd son mari choisit de le faire revenir sous la forme d’un humanoïde extrêmement ressemblant. Elle est heureuse au début et on peut ressentir son bonheur en même temps, mais on découvre progressivement ce que cela veut dire vraiment de vivre avec une intelligence artificielle qui ressemble à un être cher sans l’être vraiment et on finit tout autant dégoûté de ce robot qu’elle. Le dernier épisode à ce jour, « Blanc comme neige », est plus long et ambitieux que tous les autres (et porté par l’excellent Jon Hamm) et il est lui aussi quelque part entre l’admiration et le dégoût, avec cette idée d’une prison où le temps passe différemment qui a de quoi glacer le temps. Quant au dernier épisode de la deuxième saison, « Le show de Waldo », il surprend lui aussi par un twist final qui inverse tout ce que l’on pouvait penser à son sujet et remet assez efficacement en cause notre société de l’image. C’est aussi une satire du monde politique qui n’a pas pris une ride et qui s’applique à tous les contextes… bien vu.

Black Mirror

Les séries britanniques sont souvent atypiques et ce n’est pas Black Mirror qui va contredire cette idée. Bien au contraire, l’œuvre créée par Charlie Brooker est très étonnante avec son idée d’anthologie de la science-fiction et d’épisodes tous différents les uns des autres. On peut les prendre comme des petits films indépendants, mais ces épisodes sont tous réunis par un même sujet et une même envie de critiquer notre société. Ces miroirs noirs qui nous entourent sont-ils à la base des dystopies imaginées par Black Mirror ? La gêne que l’on peut ressentir en regardant la série en dit long, au fond, sur le sujet…


Black Mirror, saison 3

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(6 novembre 2016)

Après deux saisons portées par Channel 4, la série de Charlie Brooker poursuit son chemin sur Netflix pour une nouvelle saison et six nouveaux épisodes. Black Mirror double presque son nombre d’épisodes avec toujours la même idée en tête : une anthologie de science-fiction qui peut aborder de multiples sujets, mais en général autour de cette même idée de l’écran noir de nos smartphones et des dérives de la technologie. En passant à un format aussi ambitieux, on pouvait craindre que la série perde ses points forts et notamment son écriture acérée et sa faculté à viser précisément où cela fait mal. Que l’on se rassure, Black Mirror est toujours entre de bonnes mains et même si les six épisodes ne sont pas tous du meilleur niveau, la série est toujours aussi passionnante et cruelle à la fois. À ne pas rater !

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Les deux premières saisons évoquaient souvent la télévision, Black Mirror reporte ostensiblement son attention sur les réseaux sociaux. Sur les six épisodes, deux en font leur sujet central et ils ouvrent et ferment la saison. Le premier, « Chute libre », reprend le concept des notes que l’on donne souvent sur internet et les services modernes2 et le pousse à son paroxysme. Dans ce futur dystopique, l’argent existe toujours, mais il est secondaire, du moins secondé par une autre monnaie, votre note. Tout le monde note tout et surtout tout le monde. Les habitants de ce futur sont tous en permanence sur leur smartphone à noter ceux qui les entourent et à publier des photos avec l’espoir de récolter les meilleures notes. Le problème, c’est que tout dépend de cette note : pour accéder à certains endroits ou à certains emplois, il faut telle note. Vous êtes au-dessus de 4/5 ? Vous pouvez suivre cette voie plus rapide. Plus de 4,5/5 ? Ces appartements de luxe sont à vous ! Tout repose sur cette note et comme son nom l’indique, l’épisode montre à quel point on peut chuter rapidement dans l’échelle sociale. Cet épisode n’est pas le plus original de la série, mais il frappe où cela fait mal et son esthétique pastel, façon publicité américaine des années 1950, est remarquable. Pour clore la saison, on revient aux réseaux sociaux, mais cette fois pour évoquer le harcèlement en ligne. Qu’arrivait-il si vous pouviez voter pour tuer quelqu’un et si cette personne était effectivement tuée ? C’est l’idée de base de « Haine virtuelle », un épisode aussi long et aussi ambitieux qu’un long-métrage de cinéma. Il commence comme une enquête policière et devient beaucoup plus ample quand on découvre toutes les implications. Et à l’arrivée, c’est un épisode sur le harcèlement en ligne, certes, mais l’autre aspect tout aussi important et peut-être plus, c’est la surveillance de masse. Encore un futur digne des pires dystopies et un très bel épisode dans la série.

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Même s’il n’évoque pas directement les réseaux sociaux, le troisième épisode, « Tais-toi et danse », se construit autour du piratage et du chantage en ligne. Ce n’est pas un épisode futuriste, il est parfaitement crédible et très classique, mais bien mené et assez fort. Classique aussi, mais dans un autre registre, « Tuer sans état d’âme » se déroule dans un univers post-apocalyptique, au sein d’une entité militaire chargée de tuer des êtres humains devenus monstrueux, mi-zombies et mi-vampires, par une sorte de maladie. Un jeune militaire découvre l’horrible vérité par accident, pour un épisode de science-fiction pure, très conventionnel. Les deux derniers sont plus originaux et réussis à leur manière. Pour son deuxième épisode, la troisième saison de Black Mirror s’attaque aux jeux vidéos, en tout cas en apparence. « Playtest » raconte l’histoire d’un Américain de passage qui accepte de tester un jeu vidéo d’un nouveau genre, où une puce est implantée dans son cerveau pour lui faire peur avec un réalisme jamais vu jusque-là. Cet épisode commence beaucoup trop lentement et il aurait mérité d’être raccourci au moins d’un quart d’heures, mais cela n’enlève rien à la puissance de son cœur, quand le personnage vit des horreurs. C’est impressionnant et la résolution pleine de twists est très dure : une belle réussite. Gardons le plus étonnant pour la fin, et peut-être le coup de cœur de cette saison, avec le quatrième épisode, nommé « San Junipero ». C’est le plus différent de tous les autres, toutes saisons confondues, car pour la première fois, Charlie Brooker ne s’intéresse pas uniquement aux dérives de la technologie et laisse une lueur d’espoir. C’est aussi le scénario le plus virtuose, avec une histoire effectivement de science-fiction, mais qui est amenée doucement, très progressivement. On débute sur une piste de danse des années 1980 et le réalisateur ajoute des éléments de plus en plus bizarres par touches, jusqu’au moment où l’on comprend que ce n’est pas le réel. Cet épisode se construit aussi autour d’une histoire d’amour belle et juste entre deux femmes et il offre une bien belle vision, nuancée et juste, de la technologie pour une bonne cause.

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La finesse de l’écriture et la juste des scénarios : au fil des épisodes, Black Mirror construit une anthologie de science-fiction toujours plus riche, mais la série créée par Charlie Brooker conserve jusqu’au bout ces qualités. Certaines œuvres sont plus ambitieuses que d’autres, certaines semblent un petit peu faciles, d’autres manquent d’originalité, mais qu’importe : elles parviennent toutes à toucher les spectateurs. Black Mirror est décidément une grande série et son passage sur Netflix ne lui a rien enlevé jusque-là. À voir, sans hésiter !


Black Mirror, saison 4

(13 janvier 2018)

Quatrième saison pour Black Mirror et cette question, inévitable : comment prolonger une anthologie de la science-fiction aussi longtemps sans se répéter ? Charlie Brooker a déjà exploré de nombreuses pistes, mais ces six épisodes prouvent qu’il n’a pas encore tout dit, même si l’effet de surprise est nettement moins présent. Les deux premières saisons s’intéressaient avant tout à la télévision, la troisième aux réseaux sociaux, cette saison 4 s’intéresse plus particulièrement aux implants de toute sorte. C’est une tendance générale, un fil rouge qui n’empêche pas les ouvertures vers d’autres terrains et la série continue d’explorer de nouveaux genres. Black Mirror a peut-être un petit peu perdu de sa capacité à surprendre, mais ces épisodes sont tous très bien réalisés et ils sont toujours autant intenses et posent toujours autant de questions. Pour toutes ces raisons, ils méritent toujours autant le détour.

Black Mirror reprend avec un épisode surprenant, parce qu’il semble très banal a priori. « USS Callister » est un hommage évident et assumé à Star Trek, mais c’est aussi une variation sur la réalité virtuelle, avec ce concept de puce à positionner sur la tempe pour projeter son utilisateur dans un monde virtuel. Ce n’est pas très original et l’intrigue qui se met en place autour du créateur du jeu et une admiratrice n’améliore pas les choses, mais il faut laisser du temps à l’intrigue pour qu’elle révèle toute sa force. Outre l’hommage, on apprécie le ton plus léger que la moyenne, dans l’humour noir que l’on a déjà croisé chez Charlie Brooker, mais aussi avec un humour plus franc apporté par l’excellente Michaela Coel que l’on avait pu découvrir dans sa série Chewing-Gum. Son style enrichit considérablement l’épisode et il s’avère finalement bien plus intéressant et fun qu’escompté. Cette bonne humeur retombe vite, avec « Archange », un épisode parfaitement réalisé par Jodie Foster et qui déploie une idée riche, mais déjà vue tant de fois : une mère inquiète pose un implant dans le crâne de sa fille pour la géo localiser en permanence, mais aussi pouvoir voir ce qu’elle voit. C’est de la science-fiction assez proche de notre réalité, sauf la partie vision, et le scénario va jusqu’au bout sur l’impact psychologique de cet archange. À l’arrivée, il n’y a aucune critique majeure à faire, si ce n’est que l’on a le sentiment d’être en terrain connu et on commence à se demander si Black Mirror ne va pas tomber dans la répétition. Même sentiment diffus avec « Crocodile », un épisode qui n’est pas très original sur le fond, mais qui se rattrape sur la forme. Le fond technologique, c’est à nouveau un implant à poser sur la tempe, cette fois pour lire vos souvenirs récents. La forme, c’est un thriller glacial – le lieu n’est pas déterminé, mais cela ressemble à l’Islande – et glaçant, un accident dans le passé qui vient perturber l’existence d’une architecte et l’entraîne dans une spirale de violence. John Hillcoat est derrière les caméras et il excelle à créer cette ambiance sombre tout en allant toujours plus loin dans la violence. Très efficace, Andrea Riseborough est impeccable dans le rôle principal, si bien que même si ce n’est pas le plus original du lot, c’est un épisode convaincant.

Cette première partie manquait sans doute d’originalité, mais Charlie Brooker expérimente davantage dans la suite et les trois derniers épisodes sont plus variés et osent des choses nouvelles. Commençons par le plus radical de la saison, « Tête de métal », une plongée en noir et blanc dans un univers post-apocalyptique où les robots ont pris le pouvoir et ils exterminent les derniers survivants, un par un. On pense nécessairement à Terminator et à toutes les autres œuvres à base de robot, mais l’intérêt de cet épisode est son minimalisme. Dépourvu de couleurs, il est aussi largement muet et se concentre sur la course-poursuite entre une femme et un robot qui n’a qu’un seul but, la tuer, et qui a toute l’éternité pour le faire. Un sentiment très fort s’empare vite du spectateur, c’est cruel et glaçant. L’épisode qui le précède, « Pendez le DJ » ne pourrait être plus différent, il est nettement plus léger et rappelle par certains aspects l’excellent « San Junipero » de la saison précédente. Pourtant, il commence sur un mode dystopique assez noir, où les relations amoureuses sont définies exclusivement par un algorithme qui fait et défait les couples selon un agenda précis. Deux jeunes se rencontrent par ce biais et ils n’ont que 12 heures de vie commune, mais tombent amoureux malgré l’algorithme. On n’en dira pas trop pour ne pas dévoiler la surprise finale, mais on peut dire que c’est un très bel épisode de Black Mirror, pas forcément dans la noirceur, mais avec un bel équilibre entre la technologie et une histoire humaine. C’est aussi une pause bienvenue au sein de la saison, une touche de couleur au milieu de la noirceur. De la noirceur, le dernier épisode n’en manque justement pas, jusqu’au titre, « Black Museum ». C’est un volet très étrange, puisqu’il s’agit d’une anthologie… au sein d’une anthologie. Et d’ailleurs, ce moyen-métrage contient des références aux épisodes précédents, dans cette saison et même dans celles d’avant, comme pour mieux souligner son statut d’œuvre somme. En plus, l’intrigue est composée de plusieurs récits et flashbacks, le plus important étant celui du docteur Peter Dawson à qui on a implanté un appareil qui lui permet de sentir la douleur des autres. C’est un épisode bizarre, intriguant, mais pas toujours réussi et surtout qui pose la question de la suite. Est-ce une sorte de conclusion de Charlie Brooker ? Ou bien un nouveau départ pour Black Mirror ?

Quel que soit l’avenir réservé par Netflix à la série3, Black Mirror a atteint à nouveau son objectif avec les six épisodes de cette saison. Ils ne sont pas tous aussi originaux qu’on pourrait le souhaiter et ils sont plus ou moins réussis et plairont aussi en fonction des affinités de chacun. Mais une chose est sûre, ils dérangent et restent en mémoire longtemps, ce qui reste un signe de réussite. Charlie Brooker ne perd pas la main et sa série est un incontournable.


Black Mirror : Bandersnatch

(29 décembre 2018)

Plutôt qu’une saison entière composée de plusieurs épisodes, Netflix a choisi une voie très originale pour donner une suite à Black Mirror. Un épisode unique interactif, où le spectateur doit constamment faire des choix. C’est une vieille idée qui a connu son heure de gloire dans les années 1980, avec la multiplication des livres dont vous êtes le héros. Ce n’est pas pour rien d’ailleurs que Black Mirror : Bandersnatch se déroule à cette époque et se concentre sur l’adaptation en jeu vidéo d’un tel livre dont vous êtes le héros.

Concrètement, il n’y a pas un scénario linéaire que l’on suit pendant une heure, il y a plusieurs fils que l’on peut suivre pour arriver à une fin ou une autre. Régulièrement, deux choix sont proposés à l’écran : est-ce que votre personnage veut écouter telle ou telle cassette ? Est-ce qu’il accepte l’offre d’emploi ou préfère travailler seul sur le jeu ? Est-ce qu’il prend ou jette ses médicaments ? Ces choix ne sont pas tous importants, mais la plupart oriente votre expérience vers un tout autre résultat. À cet égard, il ne s’agit pas tant d’un film au sens traditionnel du terme et on est beaucoup plus proche du jeu vidéo, même si Charlie Brooker est aux manettes et même si on suit une trame narrative identique à chaque fois. Black Mirror : Bandersnatch est à l’image de la série toute entière, très sombre et même assez violent et il n’y a pas de happy-ending pour ainsi dire, même s’il est possible de terminer en créant un chef-d’œuvre4. Dans tous les cas, vous n’éviterez pas les travers de la psychose pour votre personnage et en ce sens, on suit malgré tout une histoire fixe, avec une bonne partie des choix qui sont en fait de fausses pistes, des boucles parallèles qui ne mènent à rien.

Comment juger une telle œuvre ? Le côté ludique est intéressant et on peut saluer l’énorme travail réalisé en amont, à la fois sur l’écriture de toutes les branches, sur le tournage de toutes les variantes et sur le montage qui permet de recommencer sans tout revoir. L’ensemble est est impressionnant et c’est assez amusant à suivre, même si on aurait apprécié des avances rapides pour conclure un arc que l’on a déjà suivi et recommencer plus rapidement. Sur le fond, Black Mirror : Bandersnatch joue constamment sur le côté méta, avec l’une des voies qui mène à une intégration amusante de Netflix, mais ce n’est pas non plus l’intrigue la plus originale ou intéressante de la série. Disons que c’est une pause amusante, un concept sympathique et très bien mené à son terme, mais pas le meilleur épisode de Black Mirror.


Black Mirror, saison 5

(25 juin 2019)

Netflix continue d’enrichir Black Mirror, même si cette cinquième saison ne compte que trois malheureux épisodes. Certes, ils font tous au moins une heure, mais cette saison reste bien courte. Elle est aussi extrêmement cohérente, bien loin des expérimentations qui pouvaient partir dans tous les sens des précédentes. Les trois épisodes sont bien différenciés, mais ils parlent tous du présent et Charlie Brooker donne presque le sentiment d’avoir fait la paix avec la technologie. Le sujet reste son côté noir et souvent brisé, mais ce n’est plus l’occasion à chaque fois de dystopies terrifiantes, même dans le plus noir des épisodes.

On pourrait regretter l’absence de technologie dans ces trois épisodes, et il faut reconnaître que Black Mirror n’est pas vraiment un lieu d’innovations et d’idées folles dans cette saison. Le premier épisode, celui avec les deux amis qui se retrouvent dans un monde virtuel, serait décevant si son sujet était technologique, l’idée de cette puce reliée au cerveau a déjà été exploitée dans la série portée par Netflix et on n’est pas loin de ce que la réalité peut offrir. Néanmoins, ce n’est pas son sujet et la question posée autour de l’amour virtuel est passionnante. Elle est également très bien traitée, avec une séquence dans le monde réel qu’une autre série aurait sans doute oubliée, mais qui est appréciable ici. Le deuxième épisode n’essaie même pas d’inventer quoi que ce soit, il n’est absolument pas futuriste et évoque les réseaux sociaux tels qu’on les connaît aujourd’hui. On ne voit pas les noms de Twitter, de Facebook ou de Mark Zuckerberg pour des raisons évidentes de droits, mais c’est bien d’eux qu’il s’agit. Et même si la question de la responsabilité que cette histoire soulève n’est pas très originale, la confrontation avec le grand patron reste intéressante et très bien jouée. On termine la saison avec un épisode assez traditionnel dans Black Mirror, là encore avec des technologies qui existent déjà5 et d’autres qui ne sont pas très loin de nous. Créer un artiste virtuel, qu’il s’agisse d’une chanteuse ou d’un acteur, va devenir un véritable enjeu dans les prochaines années et Charlie Brooker le présente bien, tout en prouvant que Miley Cyrus pouvait tout à faire avoir sa place dans la série.

Au bout du compte, cette saison ne gagnera pas la palme de l’originalité et il est tout à fait légitime de le lui reprocher. En même temps, après quatre saisons qui ont déjà bien fait le tour de la question, Black Mirror pouvait se répéter ou bien changer légèrement la formule. En ancrant la série davantage dans notre quotidien, en traitant la technologie de façon plus neutre dans l’ensemble, Charlie Brooker limite le sentiment de redite et offre un spectacle plaisant. Tout en lançant des réflexions qui restent malgré tout passionnantes.


  1. C’est Robert Downey Jr. qui en a acheté les droits, pour une relecture américaine qui peut être autant un prolongement réussi qu’un ajout inutile. 
  2. Pour citer l’exemple le plus connu, Uber vous incite à noter votre chauffeur après chaque course et chaque conducteur a ainsi une note qu’il a tout intérêt à garder bonne s’il veut garder ses clients. Mais les conducteurs notent aussi leurs clients, si bien que sans le savoir, vous avez aussi une note. Et un chauffeur peut refuser votre course si votre note est trop basse… au fond, cet épisode n’est en rien de la science-fiction ! 
  3. Pour être honnête, un arrêt à ce stade serait très surprenant. C’est une série qui a du succès et on imagine que Netflix voudra la poursuivre. 
  4. Si vous ne vous en sortez pas, ce graphique (⚠️ Spoilers ⚠️) intègre toutes les options et permet de terminer sur le jeu parfait (source). 
  5. Mélanchon en précurseur de Miley Cyrus, c’est cocasse.