Blade Runner 2049, Denis Villeneuve

Non seulement Denis Villeneuve réalise un film par an depuis 2013, le cinéaste canadien ne choisit pas la facilité. Un an après l’excellent Premier Contact, c’est même tout le contraire avec ce nouveau projet : la suite de Blade Runner rien de moins ! Ce film culte, un classique de la science-fiction et une vision du futur aussi sombre que juste, appartient à cette catégorie d’œuvres sacrées qui devraient effrayer n’importe quel réalisateur et qui devraient aboutir systématiquement à un échec. Mais c’est sans compter sur le talent de Denis Villeneuve, qui est incontestablement l’un des cinéastes les plus intéressants en ce moment à Hollywood. Blade Runner 2049 parvient à maintenir un équilibre parfait entre l’hommage et l’originalité et ce long-métrage de 2h45 creuse l’univers imaginé par Philip K. Dick en apportant une épaisseur et une richesse au film originale, le tout en offrant des séquences sublimes, mais totalement différentes du style de Ridley Scott. Un futur classique, à ne rater sous aucun prétexte, même si vous n’avez pas vu le premier volet. Magnifique, passionnant et brillant !

Tous ceux qui connaissent le Blade Runner de 1982 ne seront pas dépaysés pendant les premières minutes de la version 2017. Denis Villeneuve commence par indiquer son admiration pour le travail de Ridley Scott avec une bande-originale composée par Hans Zimmer très ouvertement inspirée par celle de Vangelis et surtout deux images qui citent directement son prédécesseur. Blade Runner 2049 ouvre ainsi sur un œil et sur un spinner, ces voitures volantes utilisées notamment par les policiers du futur, alors qu’il survole le paysage. Los Angeles et ses cheminées qui crachent du feu ont été remplacées par des champs de panneaux solaires dans le brouillard, mais l’analogie est évidente et on sent que le cinéaste canadien a chercher à reprendre le flambeau ainsi. Cette suite ne se contente pas d’être un remake ou un hommage appuyé d’un bout à l’autre, elle trouve vite sa propre voie, même si l’œuvre originale n’est jamais loin. La première scène où le policier s’en prend à un replicant fermer, par exemple, reprend en fait assez précisément l’idée de Ridley Scott pour ouvrir son propre film1. Par la suite, l’intrigue principale se retrouve projetée trente ans auparavant, en 2019, date à laquelle se déroulait le premier Blade Runner. Pendant toute la durée de son long-métrage, Denis Villeneuve doit ainsi jouer aux équilibristes, s’assurer qu’il reste dans le prolongement de l’original sans se répéter, plaire aux fans sans perdre les néophytes, creuser un univers sans le trahir. La ligne directrice reste assez simple et très similaire en apparence au film précédent. On suit K, un policier de Los Angeles chargé d’éliminer tous les replicant illégaux encore en circulation. Lui-même est un robot, mais un modèle plus récent, programmé pour obéir en toutes circonstances. Cela ressemble au premier volet, d’autant que l’enquête au cœur de Blade Runner 2049 ramène le personnage principal vers le passé. Sans compter que le scénario reprend quelques idées : K, le détective, est accompagné d’une femme qui évoque la Rachel de Rick Deckard et l’entreprise Wallace qui produit les nouveaux robots ressemble fort à Tyrell, pour prendre deux exemples.

À ce stade, on pourrait croire que Denis Villeneuve s’est contenté de piocher dans son modèle pour composer une suite qui s’apparente davantage à un remake modernisé. Ce serait une erreur pourtant, car Blade Runner 2049 ne se contente pas d’aligner les clins d’œil, il se distingue et impose ses propres idées. Même si on retrouve des idées communes d’un film à l’autre, les deux versions se distinguent sur davantage de plans qu’on pourrait le croire. Pour commencer, le personnage ne reste plus bloqué dans un Los Angeles nocturne, K sort de la ville et la majorité des scènes se déroulent de jour. À l’époque, Ridley Scott avait fait ce choix avant tout pour des raisons économiques : tourner de nuit permettait d’économiser sur les décors et son budget était très limité. Cette raison n’a naturellement plus lieu d’être, Denis Villeneuve a eu un budget confortable et les évolutions techniques permettent de s’en tirer plus facilement, même s’il faut noter que le nouveau film évite au maximum les effets numériques et que le tournage a été réalisé en décors naturels plutôt que sur fonds verts. Une difficulté technique qui est justifiée par le résultat à l’écran : Blade Runner 2049 est souvent splendide, rien de moins. Certaines séquences tirent vers des monochromes de toute beauté, que ce soit le gris de la ferme ou l’ocre de Las Vegas. Le progrès technique imaginé pour combler les trente ans qui séparent les deux films passe par l’utilisation des hologrammes, ce qui offre quelques excellentes idées de mises en scène. C’est une bonne idée d’utiliser cette technologie qui reste encore futuriste, mais que l’on croise déjà aujourd’hui2 et le réalisateur a ainsi pu exploiter quelques astuces visuelles, notamment en jouant sur la transparence. C’est encore un domaine où le film oscille entre l’hommage — on se souvient des immenses publicités placardées sur les immeubles de Blade Runner — et les nouveautés.

Comme son prédécesseur, Blade Runner 2049 est une œuvre magnifique, mais ce n’est pas tout. Plus encore que Ridley Scott qui se contentait d’une intrigue simplifiée et de sous-entendus, Denis Villeneuve développe aussi une histoire solide qui vient renforcer l’univers, tout en offrant une épaisseur psychologique bien plus intéressante aux personnages. Disons-le, ce n’était pas le point fort de Blade Runner, œuvre magnifique de noirceur, mais avec des personnages et une intrigue qui restaient très simples. Ici, le scénario co-écrit par Hampton Fancher qui était auteur du tout premier script offre aux personnages et à l’histoire plus de temps et plus d’épaisseur. Il faut dire que le point principal de l’intrigue est passionnant : K découvre le corps d’une replicant enterrée depuis 30 ans dans une ferme isolée et il s’aperçoit qu’elle était enceinte, ce qui est théoriquement impossible. Si ces robots peuvent procréer, quelle différence subsiste avec les hommes ? Cette question de la définition même de l’humanité était sous-jacente chez Ridley Scott, elle est centrale ici et très bien traitée. Le retour du personnage de Deckard n’est pas qu’un argument marketing, le scénario de Blade Runner 2049 lui offre une épaisseur psychologique insoupçonnée tout en laissant le doute sur sa véritable nature, ce qui est très bien vu. Même l’histoire d’amour entre le policier et cette fille en hologramme est mieux traitée et passionnante, dans le même esprit que Her. Denis Villeneuve parvient ainsi très bien à créer un univers encore plus riche et sur certains points, son film est supérieur au précédent. On perd d’un côté en simplicité, on gagne de l’autre en profondeur et la vision désespérée du futur reste toujours aussi poignante.

À l’annonce d’une suite pour un film de science-fiction qui a marqué tant de générations, on pouvait raisonnablement craindre le pire et imaginer un Blockbuster décérébré comme Hollywood sait si bien en produire. C’était sans compter sur le talent de Denis Villeneuve et Blade Runner 2049 prouve bien qu’il était possible de respecter le film original, son ambiance noire, son rythme et sa beauté, tout en faisant autre chose. Le réalisateur s’est approprié l’œuvre de Ridley Scott pour imposer de nouvelles séquences sublimes et pour enrichir un univers qui n’attendait que cela. Est-ce que Blade Runner 2049 sera le premier volet d’une longue saga au cinéma ? Si le niveau est maintenu, on ne demande que ça ! En attendant, vous auriez tort de ne pas voir le dernier film de Denis Villeneuve…


  1. Le premier Blade Runner devait commencer hors de Los Angeles, avec Deckard qui entre dans une ferme et tue un replicant. L’idée originale était de faire une séquence sans dialogue, avec une marmite qui bout sur un poêle et la confirmation qu’il s’agissait d’un robot quand le policier ouvrait la mâchoire de la cible et révélait un numéro de série. Cette scène n’a jamais été tournée, mais l’idée n’a pas été perdue… 
  2. Jean-Luc Mélenchon a fait parlé de lui pendant la campagne présidentielle de 2017 en utilisant un hologramme. La technologie est encore loin de celle du film, mais elle existe déjà.