Bohemian Rhapsody, Bryan Singer

Bohemian Rhapsody est le premier biopic consacré à Queen et surtout son légendaire chanteur, Freddy Mercury. Qu’il ait fallu attendre si longtemps pour qu’un tel film sorte pourrait surprendre, tant cet homme riche et complexe était un candidat naturel pour un tel projet. Le long-métrage réalisé par Bryan Singer1 est d’ailleurs la consécration d’une idée lancée huit ans auparavant. Le film a changé à plusieurs reprises de réalisateur, d’acteur principal et de direction générale, mais il a toujours été effectué avec la bénédiction et surtout le contrôle de Brian May et Roger Taylor, protecteurs du groupe et de son héritage. C’est sans doute là que le problème commence et ce contrôle justifie certainement le résultat. Bohemian Rhapsody fait entendre la musique de Queen pendant plus de deux heures, ce qui ne peut que plaire, et la reconstitution est souvent bien faite, mais ce biopic bien lisse et sans saveur essaie de réécrire l’histoire de façon parfois grossière. Décevant.

Ce biopic s’intéresse à la carrière de Freddy Mercury, de son entrée au sein du groupe qui allait devenir Queen au début des années 1970, jusqu’au mythique concert Live Aid au milieu des années 1980. Environ quinze ans et le cœur de la carrière du chanteur, mort en 1991 des conséquences du SIDA. Entre ces deux dates, le groupe a signé des morceaux et des albums assez extraordinaires, sans respecter aucun genre, n’hésitant pas à expérimenter et à sortir des sentiers battus. Entre les deux aussi, Freddy est devenue une icône gay, constamment dans la démesure et dans l’irrévérence, avec ses costumes royaux et une vie de débauche et de drogues. C’est tout cela que Bryan Singer résume en un film de deux heures et quart, bien trop court naturellement pour entrer dans les détails. Comme souvent dans le genre, Bohemian Rhapsody va très vite et il donne le sentiment que tout se passe naturellement. Chaque scène est l’occasion d’évoquer un fait connu et tout se fait avec une facilité déconcertante. Le groupe se forme parce que Freddy chante trois notes devant une camionnette, il rencontre la femme avec qui il partage une partie de sa vie le jour même, le premier album est enregistré sans problème, la tournée américaine qui suit est impeccable, on enchaîne sans attendre sur le deuxième… L’histoire avance à rythme forcé et on a souvent le sentiment de voir un best-of, voire un medley de la vie de Freddy Mercury, sans pour autant mieux connaître l’homme ou le groupe d’ailleurs. Et encore, cela s’empire quand le film avance, puisqu’il prend la peine, au moins sur les premiers albums, de détailler le processus créatif et de montrer l’envers du décor. Par la suite, la musique se résume essentiellement à quelques concerts, le film se concentrant davantage sur l’histoire individuelle du chanteur. Le point culminant du projet, une reconstitution grandeur nature du concert donné à Wembley en 1985, est très impressionnant, c’est vrai, mais il y avait des choses bien plus intéressantes à montrer.

Un biopic ne peut pas raconter l’histoire d’une vie de manière exhaustive, c’est évident, mais Bohemian Rhapsody est souvent frustrant dans sa manière d’enchaîner les pastilles de vie sans prendre le temps de raconter une véritable histoire, et encore moins de décrire les hommes. Freddy Mercury est le seul qui bénéficie d’une psychologie travaillée, tous les autres personnages apparaissent à l’écran sans épaisseur et on n’y croit pas vraiment. C’est le cas en particulier des trois autres membres du groupe, qui ne sont là qu’en guise de soutien et qui manquent cruellement de crédibilité. Le long-métrage s’en serait mieux sorti en limitant la période, ou bien en se concentrant encore plus sur la vie de Freddy Mercury, plutôt que d’essayer de raconter le groupe et l’homme en même temps. À trop vouloir en dire, il ne dit plus grand-chose d’intéressant et il dit même des contre-sens historiques. Il y a plusieurs erreurs factuelles dans Bohemian Rhapsody, certaines sont assez négligeables, comme le fait que le bassiste John Deacon n’ait pas été le premier choix du groupe. On peut comprendre la simplification, Queen est vraiment né avec lui, autant passer rapidement sur les hésitations des débuts. En revanche, pourquoi dire que Queen s’est séparé alors que Freddy Mercury est parti réaliser un album solo en Allemagne ? Le groupe a toujours travaillé ensemble, les autres membres avaient déjà publié des albums solo avant lui et toute cette partie du film est une tentative assez ridicule d’augmenter les tensions. C’est artificiel et c’est gratuit, on n’avait pas besoin de ce pseudo-suspense sur l’avenir de Queen pour maintenir l’intérêt. Plus gênant, parce que plus pernicieux, le scénario réécrit aussi l’histoire personnelle de Freddy Mercury. En mettant en avant Mary Austin au détriment de Jim Hutton et en soulignant le lien entre la maladie et le mode de vie déluré du chanteur, le film offre une vision assez gênante de l’homosexualité de son personnage principal. Certes, Freddy lui-même ne voulait pas la reconnaître et il a nié sa maladie quasiment jusqu’au bout. Mais le biopic aurait été tellement plus intéressant à évoquer ces difficultés du personnage à s’accepter comme il était, plutôt que de les intégrer pour effacer cet aspect du personnage. En se concentrant sur la phase hétérosexuelle de l’artiste et en ne montrant que les aspects négatifs de son homosexualité, le scénario semble parfois faire preuve d’homophobie latente. Inconsciente, probablement, mais cela n’excuse rien et c’est vraiment gênant de faire ce constat dans un biopic sur le chanteur de Queen.

Quand le projet a été lancé en 2010, c’était avec Sacha Baron Cohen dans le rôle de Freddy Mercury. L’acteur voulait en offrir une vision nettement plus adulte, en accentuant le film sur l’homosexualité et la vie personnelle du chanteur. Les membres restant de Queen voulait un biopic grand-public, capable de convenir au plus grand nombre. L’immense succès public de Bohemian Rhapsody leur donne raison, en un sens, mais le long-métrage réalisé par Bryan Singer est beaucoup trop lisse et superficiel pour ne pas décevoir. Freddy Mercury était un personnage complexe, on ne le retrouve quasiment pas à l’écran. Rami Malek est un choix intéressant pour incarner le chanteur, l’acteur s’est énormément investi et même s’il ne ressemble que moyennement au personnage qu’il incarne, il parvient à convaincre malgré tout. C’est bien, mais cela ne suffit pas à faire un bon film, et c’est dommage de passer à côté d’une telle matière. Reste la musique de Queen, bien sûr, mais mieux vaut l’écouter sur les albums, ou la regarder dans la version originale.


  1. Bryan Singer et Dexter Fletcher, pour être exact, le premier ayant été viré pendant le tournage et remplacé par le second.