Si vous pensiez encore que l’animation était un genre réservé aux enfants, BoJack Horseman vous fera assurément changer d’avis. La série créée par Raphael Bob-Waksberg utilise l’animation pour mettre en scène un monde étrange que les humains partagent avec des animaux humanisés. Ce n’est donc pas « notre » monde, c’est de la fiction et ceci posé, les scénaristes peuvent dire absolument tout ce qu’ils veulent sans peur. C’est la grande force de cette création originale de Netflix : ces animaux animés permettent à BoJack Horseman de critiquer avec force et une grande justesse notre société et ses travers, mais aussi de parler de multiples sujets souvent difficiles. Son autre tour de force est de faire croire que c’est une comédie, alors que c’est une œuvre en fait si noire et sérieuse. Quoi qu’il en soit, cette série s’est rangée en six saisons parmi les plus grandes et les plus importantes : à ne rater sous absolument aucun prétexte.
BoJack Horseman, le héros de notre histoire, est un acteur qui a connu un immense succès avec une sitcom qui s’est terminée dix-huit ans auparavant quand la première saison commence. Depuis, ce cheval n’a rien fait de sa vie, si ce n’est boire beaucoup et mener une vie pleine de noirceur dans sa grande maison hollywoodienne. Dès les toutes premières minutes, BoJack Horseman impose un style bien particulier, à la fois visuel grâce aux dessins de Lisa Hanawalt, mais surtout par la noirceur de son humour et son traitement frontal des questions de société et de la politique. Le personnage principal a tout du anti-héros que l’on adore détester, il est égoïste, il passe son temps à se lamenter, il est faible et c’est un alcoolique fier qui le revendique volontiers. Ce n’est pas un chic type et il ne le deviendra jamais : le personnage imaginé par Raphael Bob-Waksberg n’est pas là pour plaire, il représente plutôt ce que Hollywood ou les États-Unis de manière plus générale ont pu produire de pire. La trajectoire générale de la série tend vers un ton de plus en plus sérieux, jusqu’au final d’une noirceur assez dingue. Les premières saisons paraissent plus légères, mais n’allez pas croire pour autant qu’elles le sont, c’est un leurre. Les scénaristes n’ont jamais peur d’affronter des sujets difficiles et ils le font remarquablement bien. Le traitement du mouvement #MeeToo est excellent, parmi les tout meilleurs que l’on ait vu dans une série. La question de l’avortement est aussi extrêmement bien traitée à un autre moment, tandis que BoJack Horseman ne recule jamais face à la noirceur de son personnage principal. L’ancien acteur souffre en effet de dépression, et c’est aussi le cas de Diane Nguyen, chargée au départ d’écrire son autobiographie. Au sein d’un même épisode, on peut ainsi passer très rapidement des rires aux larmes, et d’un sujet léger à une question extrêmement sérieuse et traitée sans détour et sans sortie de route facile. Oui, on peut s’amuser des blagues notamment visuelles imaginées dans ce drôle de monde où les animaux sont comme des humains, mais ça n’empêche pas de parler de ce qui fâche dans la foulée. Et l’air de rien, cette série d’animation traite mieux ces sujets de société que bon nombre d’œuvres supposément plus sérieuses ou plus politiques.
Une bonne série tient d’abord grâce à la qualité de ses personnages et cette règle universelle n’est pas contredite par BoJack Horseman. Il n’y a peut-être pas d’acteur en chair et en os ici, les expressions faciales sont peut-être plus limitées en conséquence, mais ce n’est pas une raison pour ne pas penser à la psychologie de chaque personnage. Du cheval qui a donné son nom à l’ensemble à la galerie de personnages secondaires imaginés pour les besoins du récit, en passant par une solide collection de personnages principaux autour de la star, l’écriture est toujours fine et pointue. Il n’y a aucune caricature facile et on croit à cet univers complètement loufoque et à ses animaux qui se reproduisent sans le moindre respect de la biologie. C’est assez marquant d’ailleurs : il suffit d’une poignée d’épisodes pour créer un environnement avec ses règles propres et même faire oublier ses bizarreries. BoJack Horseman redouble constamment d’inventivité, avec un anthropomorphisme marqué, mais quelques touches qui respectent la nature animale des personnages. Pour prendre un exemple, les oiseaux peuvent voler alors même qu’ils se comportent comme des humains. Le personnage de Princess Carolyn, l’agente de BoJack, est une chatte qui peut de temps utiliser un grattoir ou éjecter une boule de poils. Ces petites touches font tout le charme de la série et elles sont souvent un élément humoristique, même si l’intrigue se base constamment sur le fait que ce n’est pas un sujet. Le fait que les animaux soient humanisés ainsi n’est jamais évoqué, c’est considéré comme normal et on n’en parle pas. Raphael Bob-Waksberg exploite pleinement la liberté apportée par l’animation et le dessin pour mettre en scène des tableaux qui auraient été impensables avec une histoire tournée en images réelles. Un épisode se déroule entièrement dans une ville sous-marine où l’on ne peut pas parler. Plusieurs épisodes sont des représentations d’un rêve ou du délire d’un personnage. L’inventivité est toujours assez dingue et BoJack Horseman tient parfaitement la distance sur six saisons. Ce cadre stylistique est surtout parfait pour aborder tous les sujets imaginables et orienter les intrigues de chaque personnage dans des directions variées. On peut évoquer le parcours de Todd Chavez, qui est assez fascinant à cet égard : le colocataire désœuvré de BoJack est à la base surtout un personnage comique, l’incapable de service toujours là pour avoir des idées folles et stupides. Mais il gagne une véritable épaisseur en même temps que la série et il permet de parler abondamment de l’asexualité, un sujet trop rare en fiction. C’est un exemple, mais on pourrait le généraliser pour tous les personnages, puisqu’ils ont tous un parcours passionnant. Diane qui lutte avec ses démons intérieurs ou même Mr Peanutbutter qui paraît vraiment bêta au départ s’avère plus intéressant que cela.
C’est bien cela qui frappe le plus quand on regarde BoJack Horseman : la série de Netflix est d’une richesse assez incroyable, sur tous les plans. Elle fourmille de bonnes idées, tant sur le plan visuel que sur les règles qui régissent son monde. Ses personnages sont très travaillés sur le plan psychologique et leur complexité ainsi que leurs évolutions de caractère sont autant d’opportunités de faire avancer la série sur de nouveaux terrains et d’aborder de nouvelles questions de société ou non. Raphael Bob-Waksberg n’a jamais hésité à aborder un sujet difficile et il dénonce les travers de notre époque avec une force que l’on voit trop rarement. Mais il pose aussi des questions universelles, sur les parents impossibles à contenter, le manque de confiance en son travail ou encore la difficulté à être quelqu’un de bien. C’est ce qui rend BoJack Horseman si importante, elle brasse des sujets variés et les traite tous admirablement. Ajoutez à cela des personnages toujours plus attachants et une émotion qui va croissante et vous obtenez une œuvre décidément bien plus puissante qu’on pouvait l’imaginer. Ne restez pas sur vos préjugés et regardez sans tarder cette série, vous ne le regretterez pas. C’est peut-être même la meilleure série jamais portée par Netflix…