Carnets de voyage, Walter Salles

Che Guevara est devenu une icône dans le monde entier, le symbole même de la révolution marxiste qu’il a menée à Cuba et au-delà, une personnage qui inspire les jeunes de tous les horizons. C’est pourtant un personnage relativement rare au cinéma et Carnets de voyage pourrait décevoir ceux qui attendaient un biopic complet. Loin de raconter toute la vie du « Che », Walter Salles préfère se concentrer sur un épisode de sa jeunesse, quand Ernesto Guevara n’était qu’un étudiant en médecine de Buenos Aires. Pendant quelques mois, il part avec un ami sur les routes d’Amérique du Sud et ce voyage touristique se transforme en voyage initiatique. Carnets de voyage raconte quelque chose de beaucoup plus compliqué que des faits historiques, de plus important peut-être aussi : l’éveil d’une conscience politique. Plongée magnifique dans la misère sud-américaine des années 1950, un road-movie qui n’a pas pris une ride.

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Le jeune Ernesto que l’on découvre au début du film n’est pas encore le Che révolutionnaire que l’on a gardé en mémoire. Cet étudiant en médecine de 23 ans a tout pour devenir le docteur idéal que la société attend de lui et il a même la petite amie qui pourra lui permettre de fonder une famille. Avant tout cela, il suit un ami un petit peu plus âgé que lui pour une idée un petit peu folle : entreprendre un tour du continent sud-américain en moto. Soit au moins 8000 km sur un engin qui date des années 1930 et qui ne donne pas le sentiment de pouvoir tenir la distance. Qu’importe, les deux héros de Carnets de voyage se lancent en pétaradant dans les rues de Buenos Aires et très vite dans la campagne argentine. Walter Salles commence son film comme un road-movie de deux jeunes étudiants et le ton est très léger dans la première partie. Les deux hommes s’arrêtent dans la grande et riche maison de la copine d’Ernesto et ils repartent le cœur léger. Ils ont bien quelques problèmes avec la moto, mais aucun accident dramatique et ce voyage est d’abord très calme. Ce n’est qu’au bout de plusieurs milliers de kilomètres que son caractère initiatique se fait sentir et que les deux personnages évoluent. Carnets de voyage plonge ses deux héros et avec eux tous les spectateurs dans une misère profonde, que ce soit avec la mine américaine qui exploite les locaux qui n’ont rien de mieux, ou plus tard avec les malades de la lèpre qui sont totalement ostracisés au milieu de nulle part. Le cinéaste a bien réussi à faire sentir que ce voyage au départ banal constitue finalement une expérience humaine qui bouleverse les deux personnages et surtout Ernesto que l’on sent profondément secoué. À moto, à pied, en stop ou en bateau, ils ont parcouru plus de 12 000 km en quelques mois et ils ont surtout obtenu un panorama complet de la misère humaine.

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Walter Salles se garde bien d’expliciter les liens entre ce voyage et les futurs actes du Che. C’est sans aucun doute la meilleure idée des Carnets de voyage, aussi celle qui est la plus frustrante, c’est vrai. Le film se termine avec le voyage des deux hommes et on ne sait pas exactement comment ce jeune étudiant en médecine va devenir quelques années après un révolutionnaire, un chef de guerre et meneur d’hommes. Ce n’est plus le sujet du film et c’est très bien de l’arrêter à ce moment-là, mais quand on connaît mal l’histoire d’Ernesto Guevara, le sentiment de frustration est inévitable. Pourtant, les deux heures qui ont précédé donnent de nombreuses pistes pour comprendre la révolte du jeune homme. Le cinéaste ne cherche pas à être didactique et il faut chercher les indices, mais ils sont tous là, dans la révolte du couple qui a perdu ses terres et sa famille et qui doit maintenant survivre grâce à la mine, ou bien dans la vie isolée des malades séparés des bien portants par un fleuve. Carnets de voyage n’en fait jamais trop et il peut compter sur le talent de ses deux acteurs principaux pour que le message passe. Rodrigo de la Serna est impeccable dans le rôle d’Alberto Granado, mais on retiendra surtout la prestation de Gael García Bernal dans le rôle d’Ernesto. L’acteur s’est investi pleinement pour ce film et on sent qu’il connaît son personnage par cœur. Le résultat est assez éloigné des images que l’on a de l’homme historique une fois adulte, mais il est parfaitement crédible dans le rôle et on ne remet jamais en cause son interprétation. Au rang des réussites, il convient aussi de saluer les plans magnifiques présentés par Walter Salles qui a bien réussi à mettre en avant les paysages et l’expérience du voyage, avec une caméra rarement fixe et souvent au plus près. Enfin, la bande-originale composée par Gustavo Santaolalla est excellente et ce n’est pas pour rien qu’elle a été souvent reprise par la suite.

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Ceux qui voulaient en savoir plus sur le Che seront sans doute déçus. Le vrai sujet de Carnets de voyage n’est pas le héros révolutionnaire qui a fait tant rêver, mais plutôt Ernesto Guevara, jeune étudiant en médecine qui découvre la réalité du monde et qui en ressort changé. Certes, c’est lui qui deviendra le marxiste que tout le monde connaît. Walter Salles préfère toutefois se concentrer sur ces quelques mois sur la route, loin de Cuba et de l’idéologie, à la découverte de la misère humaine, de sa tristesse et de sa beauté aussi. Voyage initiatique presque par accident, ce road-movie est réussi précisément pour cette raison : il ne cherche pas à tisser absolument des liens entre l’étudiant en médecine et le révolutionnaire. C’est peut-être frustrant, mais c’est ce qui explique la réussite de Carnets de voyage.