James Bond a donné naissance à une immense saga « officielle », forte d’une vingtaine de films et qui continue d’exister. Ce n’est pas la seule à avoir sorti des films avec l’agent 007 au cinéma : pour d’obscures questions légales, le producteur Charles K. Feldman possédait les droits sur le premier roman de Ian Fleming. On aurait pu imaginer un accord avec les producteurs de la saga officielle, mais les producteurs ont préféré ne pas s’entendre et sortir deux films différents. En 1967, on peut ainsi voir au cinéma non seulement On ne vit que deux fois, le film officiel avec Sean Connery, mais aussi Casino Royale. Réalisé par pas moins de cinq réalisateurs différents et avec une liste d’acteurs qui remplit quasiment l’affiche, ce projet signifie sa différence d’emblée. Pour un résultat complètement absurde, mais pas vraiment réussi…
Dans un premier temps, Charles K. Feldman voulait engager Sean Connery pour interpréter son propre James Bond, mais l’acteur était déjà engagé sur la saga officielle. C’est de cette impossibilité technique qu’est né le projet Casino Royale : plutôt que de faire un autre film sérieux, le producteur décide de tourner l’agent secret en ridicule et d’en faire une parodie. Il aurait pu se contenter de confier son projet à un réalisateur et un acteur, mais il préfère aller beaucoup plus loin et réalise non pas un film, mais cinq films en un en faisant appel à autant de réalisateurs. John Huston, Val Guest, Kenneth Hughes, Joseph McGrath et Robert Parrish se voient confier chacun un segment du film et Val Guest est chargé de relier tant bien que mal chaque segment. À en juger au résultat, c’était mission impossible et de fait, Casino Royale embarque ses spectateurs dans un grand n’importe quoi qui semble à peine organisé. Il y a bien une histoire pourtant, autour du retour de James Bond aux affaires : quand le film commence, il est un retraité heureux, mais les patrons des quatre bureaux d’espionnage dans le monde l’appellent suite aux meurtres de tous les agents secrets encore en exercice. L’agent 007 finit même par remplacer M, mort dans des circonstances étonnantes, et il forme des agents qui sont tous nommés James Bond, pour mieux tromper l’ennemi. Cette histoire de base n’est de toute façon qu’un vague prétexte à un délire très coloré mené pendant plus de deux heures, tout de même. Le découpage en séquences est bien visible, si bien que Casino Royale manque d’unité : on passe d’une ambiance à une autre radicalement différente sans raison, de la parodie potache à une séquence quasiment romantique, d’un château en Écosse à Berlin… difficile de comprendre ce qui se passe et le film s’avère assez long.
Faut-il tout jeter pour autant ? Non, car Casino Royale propose quelques séquences réussies justement. Celle en Écosse, avec cette communauté féminine qui veut tout faire pour piéger James Bond est vraiment drôle, à défaut d’être très fine. C’est de l’humour assez lourd, mais il fait mouche et la séquence fonctionne plutôt bien. Dans un tout autre genre, la partie berlinoise est elle aussi plutôt réussie, avec son esthétique expressionniste dans cette école de danse. Outre le défilé de réalisateurs et de styles différents, il faut aussi composer avec un véritable défilé d’acteurs, mais le film tombe un peu mieux sur ce point. David Niven est excellent en agent secret à la retraite et son style très britannique en aurait fait un très bon James Bond officiel, comme l’aurait d’ailleurs certainement souhaité Ian Flemming qui a déclaré avoir créé ce personnage en pensant à cet acteur. À ses côtés, l’excellent Peter Sellers est plutôt sobre et convaincant, même s’il est loin de son niveau dans Docteur Folamour. Ursula Andress a interprété la première « James Bond girl » de la saga dans James Bond 007 contre Dr. No et elle est mieux exploitée ici, non plus seulement pour ses formes, mais dans un vrai rôle. Orson Welles compose un Le Chiffre réussi, mais il faut surtout saluer, côté méchants, la prestation étonnante du jeune Woody Allen que l’on n’attendait pas dans un tel rôle. Casino Royale bénéficie ainsi de bons acteurs, ce qui ne suffire pas à en faire un bon film, mais ce qui lui permet au moins de ne pas être totalement raté.
Ce Casino Royale de 1967 n’a vraiment rien à voir au-delà de son titre avec le Casino Royale de Martin Campbell sorti en 2006. Ce film totalement loufoque souffre de sa construction en cinq segments trop indépendants et il est sans doute beaucoup trop long. Plus court, le long-métrage initié par Charles K. Feldman aurait pu fonctionner un peu mieux et faire rire. En l’état, c’est une curiosité intéressante pour son statut à côté de la saga officielle et pour son côté daté, mais c’est à peu près tout.