C’est décidé, j’entre en résistance !

Dans Le Nouvel Observateur daté du 4 septembre, Jacques Julliard écrivit une chronique s’insurgeant contre les réformes scolaires, mais surtout appelant à résister en lisant La Princesse de Clèves, texte bref (moins de 200 pages dans mon édition de poche) mais brillant de Mme Lafayette, véritable classique de la littérature s’il en est.

Mais pourquoi diable ce chroniqueur appelait-il à résister en lisant ce livre ? Eh bien il faisait en fait référence à ce qu’en avait dit notre cher président en 2006, alors qu’il n’était que ministre. Je cite : « L’autre jour, je m’amusais, on s’amuse comme on peut, à regarder le programme du concours d’attaché d’administration. Un sadique ou un imbécile, choisissez, avait mis dans le programme d’interroger les concurrents sur La Princesse de Clèves. Je ne sais pas si cela vous est souvent arrivé de demander à la guichetière ce qu’elle pensait de La Princesse de Clèves… Imaginez un peu le spectacle !« . Montrant par là sa brillante éducation, son sens inné de la culture1, mais aussi une finesse remarquable, il en énerva plus d’un. J’avoue n’avoir appris que récemment qu’il avait dit cela, et je m’en veux de ne pas l’avoir su plus tôt, je serais entré plus tôt en résistance !

Oui, j’ai en effet décidé, et je l’officialise ce soir, d’entrer en résistance, en relisant ce roman, entre autres choses ! Car si mes moyens de résistance sont bien faibles comparés à ceux, par exemple, de notre Bayrou national (les Guignols ont, cette semaine je crois, très bien décrit sa résistance héroïque contre le pouvoir en place), je ne compte pas pour autant rester sans rien faire alors que notre cher président voudrait détruire La Princesse de Clèves.

Si cet accès de résistance me vient ce soir, c’est d’abord parce que je rentre juste du cinéma où j’ai vu le dernier film de Christophe Honoré, La Belle Personne. Christophe Honoré en effet, fut apparemment aussi énervé par les propos de celui qui allait devenir notre cher président, et il a décidé d’entrer immédiatement en résistance en adaptant le roman de Lafayette au cinéma. Des adaptions de ce roman, il y en eut plusieurs, mais le réalisateur a décidé de transposer le roman qui se déroulait à la cour du roi Henri II, à la fin du XVIe siècle donc, dans un contexte actuel et surtout dans un lycée. Passant ainsi d’une cour à une autre, l’adaptation aurait pu échouer lamentablement car il s’agissait d’un pari risqué. Comment en effet ne pas rendre une telle adaptation ridicule quand on sait que le roman, écrit au XVIIe siècle, est écrit comme on savait si bien le faire à l’époque et surtout est un roman d’analyse de l’amour. Mais ce défi a été brillamment relevé par Christophe Honoré, et je le dis clairement, ce film est une réussite.

L’adaption du roman est très libre : on retrouve bien l’intrigue principale, mais elle a été suffisamment adaptée pour coller au contexte. La dose de changements apparaît à l’écran comme évidente : à dire vrai, le passage de la cour royale à la cour d’un lycée semble être une évidence quand on regarde ce film. Le choix du lycée (Lycée Molière à Paris) participe de la vraisemblance ; avec de multiples balcons surplombant la cour, c’est vraiment une belle réplique de la cour du roi où tout le monde se regarde et se montre. La première scène, celle du premier regard bien sûr, et qui se passe dans une salle de classe, sur fond de cassette pédagogique en anglais, fonctionne très bien et à aucun moment dans le film on ne sent l’adaptation. Pourtant, les dialogues sont très finement écrits, ils relèvent d’ailleurs plus souvent de l’écrit que de l’oral. Disons-le, ces adolescents filmés par Honoré ne sont que des adolescents tels que le réalisateur les fantasme, ce ne sont à aucun moment des êtres ayant une réalité. Vous ne croiserez pas, même dans les grands lycées parisiens, des gens s’exprimant comme les acteurs du film. Et pourtant, par je ne sais quelle alchimie, tous ces dialogues ne posent aucun problème au spectateur, ils semblent, là encore, naturels.

Ce sentiment de naturel doit beaucoup aux acteurs. On connaissait déjà, par le précédent film de Christophe Honoré, Les chansons d’amour, les deux personnages principaux masculins, à savoir Louis Garrel et Grégoire Leprince-Ringuet, tous deux excellents, on ne connaissait pas encore par contre la héroïne (la princesse !) jouée par Léa Seydoux qui apporte beaucoup au film. Les critiques parlent à son propos de révélation, mais je crois que le mot n’est pas ici trop fort. Je viens d’évoquer Les chansons d’amour, on retrouve de nombreux éléments de ce film dans celui-ci : l’amour sous toutes ses formes (hétéro- ou homosexuel, entre élèves ou entre professeur et élèves), des couples qui se font et se défont, un passage chanté (par Grégoire Leprince-Ringuet), etc. Les deux films disent des choses proches, ne sont pas plus gais l’un que l’autre, mais les disent très différemment.

La différence, bien évidemment, tient dans La princesse de Clèves. Je ne vais pas faire ici un topo sur le roman, d’autant qu’il faudrait vraiment que je le relise. Mais si j’ai longtemps été très méfiant (c’est un euphémisme) avec les « Classiques » que l’on voulait absolument me faire lire, je dois dire que ce roman a grandement contribué à ma reconsidération des classiques dans leur ensemble. Pour moi, il ne fait aucun doute qu’il faut lire La Princesse de Clèves, je dirais que la question ne se pose même pas. Pour une raison simple : tous ceux qui ont écrit sur l’amour depuis ont forcément fait référence à ce roman, consciemment ou non, directement ou par référence interposée. Il fait partie des quelques romans qui ont durablement marqué leur temps, et à ce titre il mérite encore tout à fait d’être lu et étudié en classe.

C’est pourquoi les propos de notre cher omni-président m’exaspèrent. À vrai dire, cela fait longtemps que l’exaspération monte. Si je n’avais pas voté pour lui en 2007 (donnant ma voix par défaut à une madonne du Poitou), je m’étais dit que, après tout, des réformes ne feraient peut-être pas de mal et que je remettais donc mon jugement à plus tard, préférant attendre de voir ce que cela donnerait avant de critiquer.

Depuis, les améliorations sont plutôt rares (je cherche, à force, je trouverai bien quelque chose) et les détériorations sont, à mes yeux, nombreuses. On ne parle plus de politique, on parle de people (comme cette risible histoire de Rachida Dati : mais qu’est-ce que j’en ai à f… de savoir qui est le père de son enfant ?) ; on ne réfléchit plus entre gens compétents à des réformes, on lance des réformes depuis l’Élysée, sans concertation, quitte à les enlever ensuite (les exemples sont si nombreux qu’on ne pourrait les énumérer : EDVIGE n’est que le dernier d’une longue série et, j’en ai peur, sera suivi de tas d’autres) ; et pis que tout, on est revenu au système féodal où les proches du roi avaient droit à ses faveurs (cf. la tout aussi risible histoire corse). Bref, comme dirait l’autre, j’ai attendu, j’ai vu, et j’ai compru.

Dès lors, ne reculant devant rien, j’ai décidé d’entrer en résistance. En lisant et relisant mes classiques de la littérature, en allant au cinéma voir des œuvres sans amis du président2 et en lisant une presse subversive. J’ai testé le nouveau journal de TF1 et constaté la faiblesse des changements. Mais surtout, j’ai remarqué que les journaux traditionnels ne relayaient pas une information aussi complète et intéressante que d’autres journaux souvent considérés comme moins sérieux. Je pense bien entendu au Canard enchaîné dont j’apprécie de plus en plus la lecture3 et auquel je pense même m’abonner, pour les soutenir et ainsi montrer au monde que je résiste.

Ne reculant décidément devant rien, j’ai même aujourd’hui fait bien pire. J’ai en effet allégé légèrement mon porte-monnaie au profit d’un petit feuillet de quelques pages avec, en couverture, deux doigts d’honneur et la mention « Le journal mal élevé ». En effet, aiguillé par une excellente chronique de Didier Porte au « Fou du Roi »4, j’ai acheté le numéro 2 de Siné Hebdo. Je ne reviendrai pas ici sur la polémique Val/Siné, n’ayant pas à ma disposition suffisamment d’infos (j’étais loin cet été…). Force est de constater en tout cas que ce journal est vraiment mal élevé : je ne l’ai pas encore lu dans les détails, mais plusieurs illustrations m’ont en effet gêné, je ne dirais pas choqué mais gêné par leur refus complet du politiquement correct.

Oui car ma résistance est aussi et d’abord une résistance contre le politiquement correct. Chaque jour qui passe me fait regretter la mort de Desproges : voilà un comique qui savait admirablement frapper en plein politiquement correct. À défaut, le nouveau journal de Siné semble y aller très fort et le fait qu’il me gêne est un bon signe de l’emprise du politiquement correct dans notre monde. J’ai lu trop de dystopies, à commencer par 1984, pour savoir qu’il faudrait se méfier comme de la peste du politiquement correct. Je vais donc lire ce numéro 2 de Siné Hebdo et continuer mes lectures régulières du Canard enchaîné. Je sens que nous n’avons encore rien vu, et que ces lectures seront vite salutaires en tant qu’empêcheurs de tourner en rond…

PS 1 : la première résistance étant bien sûr l’humour, n’oubliez pas de ne pas prendre trop au sérieux cet article… 😉

PS 2 : à mes amis les forces de l’ordre qui ne manqueront pas de vouloir remplir une fiche dans EDVIGE à mon sujet, j’en suis sûr… Ne vous fatiguez pas avec des travaux de recherche longs et fastidieux ! Pour tous les renseignements nécessaires, vous trouverez dans la page de contact divers moyen de me demander tous les renseignements manquants. Je me ferai un plaisir de vous aider dans votre noble tâche5 !

PS 3 : merci à Didier Porte pour ses chroniques dans « Le Fou du Roi » sur France Inter. Il est à lui tout seul une belle justification du slogan de la radio…

PS 4 : et si vous voulez résister efficacement, lisez donc le roman… Vous le trouverez, en version intégrale, sur Wikisource.

Si vous voulez en savoir plus sur le film, je recommande les critiques de Télérama et de Critikat avec lesquelles je suis entièrement d’accord !


  1. Il a un sens inné de la culture, mais il ne s’agit pas de la même malheureusement. La culture qu’il juge légitime se résume en deux lettres et un chiffre et ça n’est pas, à mon avis, une culture défendable, surtout quand elle vient en opposition à un classique de la littérature française… 
  2. Déjà que je n’aimais pas Clavier, si ce n’est peut-être quand il faisait Jacquouille la Fripouille, mais il faut bien dire qu’alors, comme le nom de son rôle l’indiquait, il n’avait pas trop à se forcer tant ce rôle devait lui être naturel… 
  3. Ne serait-ce que pour le journal de Carla, il faut lire le Canard enchaîné ! Mais plus le temps avance et plus je sens que son avis devient utile et même indispensable… Qui d’autre évoque avec autant de précision et en général de vérité (quand le journal se trompe, on le sait et en règle générale, il ne se trompe pas) la guerre en Afghanistan ? Il est le seul journal lucide sur beaucoup de points. 
  4. Où il dénonçait une presse ayant passé sous silence le succès phénoménal de Siné Hebdo, dont le premier tirage — 140 000 exemplaires quand même — fut épuisé en quelques heures à peine. Dans la même chronique, il expliquait que si France 2 avait passé sous silence l’info, c’était peut-être parce qu’il avait épinglé, dans le même journal, une bourde du JT de la chaîne. Faute de meilleure explication, celle-ci me convainc parfaitement. Par ailleurs, cette chronique décidément riche, évoquait l’affaire corse, mais aussi les opérations contre les pirates somaliens… 
  5. Et si vous voulez, j’ai aussi des informations de premier ordre sur mon petit cousin qui vient juste d’avoir 13 ans : comme cela tombe bien !