Le Château Ambulant, Hayao Miyazaki

Après avoir réalisé Le Voyage de Chihiro, un conte fantastique inspiré par la mythologie japonaise, Hayao Miyazaki change totalement d’univers avec Le Château Ambulant. Non pas que son neuvième long-métrage soit complètement réaliste et dépourvu de réalisme, non, bien au contraire. Mais cette adaptation libre d’un roman britannique — Le Château de Hurle de Diana Wynn Jones — permet au maître de l’animation de revenir à l’Europe qu’il aime tant. Dans la version originale, tous les personnages parlent un japonais parfait, évidemment, mais le contexte est incontestablement européen, et même plus précisément alpin. Un choix qui est surtout esthétique au fond, tant ce film est marqué par le travail du réalisateur, qui brasse à nouveau toutes ses thématiques phares, de la critique de la guerre au mélange du fantastique dans le réel, en passant par une héroïne forte. Le Château Ambulant n’est peut-être pas aussi virtuose que d’autres œuvres sorties des studios Ghibli sous l’égide de Miyazaki, mais c’est un film d’animation original qui passionnera les petits et les grands.

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Contrairement à Porco Rosso, il n’y a aucun lien direct avec une réalité historique ou géographique dans Le Château Ambulant. Néanmoins, on reconnaît sans trop de difficulté les inspirations du réalisateur et des dessinateurs. Les maisons à colombage, les rues pavées avec le tramway, l’architecture des châteaux ou encore les vêtements : on retrouve sans peine l’Europe de la première moitié du XXe siècle. On est très clairement dans sa partie centrale, quelque part entre la Prusse et l’est de la France, en passant par la Suisse. La montagne joue un rôle important et la guerre est toujours présente, en tâche de fond. Même si ce n’est pas directement le sujet du film, on sent bien que c’est un thème cher à Hayao Miyazaki et qu’elle joue un rôle beaucoup plus important qu’on ne pourrait le croire au premier abord. Ce n’est pas le moteur principal de l’action, mais la critique de la bêtise humaine et de sa capacité à se détruire est bien là. Est-ce pour autant un réquisitoire contre la Première ou la Seconde Guerre mondiale ? C’est loin d’être aussi simple, car Le Château Ambulant brouille constamment les cartes. On reconnaît bien des décors européens et ils sont souvent parfaitement reconstitués, avec certains plans d’une précision folle. Mais en même temps, les dessins s’inspirent beaucoup de l’imaginaire steampunk et on s’éloigne en permanence de la réalité historique. La vapeur est le seul moyen de locomotion, y compris pour les tramways et les voitures. Les appareils volants sont bien trop nombreux et trop sophistiqués pour l’époque et ils avancent avec des ailes artificielles qui ne reposent sur aucune réalité. C’est là que l’imagination débordante de Miyazaki reprend le dessus et propose, in fine, un univers inspiré par l’Europe, mais fondamentalement original.

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Sans compter que le fantastique prend très vite ses droits. D’ailleurs, la toute première image du long-métrage est le château mécanique qui avance sur des pattes dans la brume de la montagne. Hayao Miyazaki ne cherche pas à construire un mystère, il montre immédiatement quelque chose d’impossible et demande au spectateur de se laisser porter et d’y croire. Par la suite, on revient à un contexte plus réaliste, mais la magie reprend vite ses droits quand Sophie, l’héroïne, croise la route de Hauru, un sorcier qui la fait voler dès leur première rencontre. Le ton est donné, et la suite sera du même acabit. Dans cette réalité parallèle, la magie est considérée comme parfaitement normale, voire banale et on les consulte pour soigner quelqu’un, ou pour obtenir plus de vent sur son navire. Ils participent même aux guerres et Hauru est ainsi convoqué par le roi local pour le forcer à s’engager avec les troupes militaires. Comme souvent dans l’univers du réalisateur, Le Château Ambulant mêle réalisme et fantastique et les deux sont indissociables. Toute l’intrigue principale autour de Sophie et de son sortilège qui transforme la jeune fille en vieille femme, mais aussi de Hauru et de son propre sortilège, tout le scénario en fait repose sur cette dualité. Il y a bien la guerre en fond qui force les personnages à agir, soit en fuyant avec leur château ambulant magique, soit en se battant, mais le vrai sujet, c’est une histoire d’amour teintée de magie. Et Hayao Miyazaki prouve encore une fois qu’il est un formidable conteur, capable de s’adresser à toutes les générations et surtout de les passionner. On peut se contenter d’une très belle histoire d’amour et du conte fantastique, ou se concentrer sur la bêtise humaine auto-destructrice, avec quelques plans de guerre vraiment splendides — sur un fond noir, tout n’est qu’explosions et incendies rougeoyants.

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Avec Le Château Ambulant, Hayao Miyazaki pourrait donner le sentiment de passer du tout au tout, mais ce film n’est pas si différent du précédent, Le Voyage de Chihiro. Certes, le contexte a changé, on retourne en Europe et dans le passé, mais cela ne veut pas dire que le fantastique a quitté son cinéma. Bien au contraire, il est au cœur de ce long-métrage qui reste, au fond, très proche de toutes les autres créations de Miyazaki. À l’arrivée, on a une histoire d’amour touchante portée par une bande originale romantique, sur un fond fantastique qui n’oublie pas de critiquer la guerre. Une alliance qui a déjà fait ses preuves et qui compose ici un film très plaisant.