Chernobyl, Craig Mazin (HBO)

Tout le monde connaît la catastrophe de Tchernobyl, l’explosion d’une centrale nucléaire soviétique dans l’actuelle Ukraine au printemps 1986. Mais savez-vous ce qui s’est passé exactement, et surtout pourquoi cette centrale a explosé ? Chernobyl ambitionne de raconter cet événement du XXe siècle de l’intérieur, au plus près du réacteur. Cette mini série de HBO offre une relecture très romancée de l’histoire qui s’est vraiment passée, mais Craig Mazin s’est suffisamment documenté en amont pour ne pas raconter n’importe quoi. Et même si ces cinq épisodes prennent quelques libertés pour renforcer le suspense et créer des tensions, il faut reconnaître que Chernobyl est d’une efficacité redoutable. Très bien écrite, portée par un casting impeccable, c’est une série haletante et brillante que vous ne devriez rater sous aucun prétexte.

Chernobyl débute dans la salle de contrôle de la centrale nucléaire soviétique de Tchernobyl, dans la nuit du 25 au 26 avril 1986. Un test devait être mené dans la journée précédente sur le quatrième réacteur de la centrale, mais il a été retardé. L’équipe de nuit se charge de le mener à bien, mais les conditions sont mauvaises et malgré les signes avant-coureurs qui auraient dû tout interrompre, ils poursuivent et font exploser le réacteur. Chernobyl n’étant pas un documentaire, ce premier épisode plonge les spectateurs sans le confinement de la centrale sans expliquer pourquoi l’explosion a eu lieu. Et pour cause, les personnes qui interviennent ne le savent pas non plus et ils sont tous persuadés qu’il s’agit d’une incident mineur, une réserve d’hydrogène qui aurait explosé. Pour éteindre l’incendie, on appelle les pompiers de la ville de Pripiat, juste à côté de la centrale, et les hommes arrivent sans aucune protection et absolument pas armés à affronter le feu provoqué par un cœur nucléaire en fusion. Dans un premier temps, c’est une situation de grand chaos qui est présentée par Craig Mazin, alors que les dirigeants de la centrale, puis les politiques locaux sont petit à petit réveillés et informés. À chaque fois, le problème est minimisé : tout le monde est persuadé qu’un réacteur RBMK utilisé sur ce site ne peut pas exploser, tout le monde pense que le cœur est encore parfaitement fonctionnel et qu’il n’est pas nécessaire de paniquer. D’ailleurs, la vie poursuit son cours normalement à Pripiat, notamment le lendemain où tous les habitants vaquent à leur occupation l’air de rien, sans savoir qu’une énorme bombe nucléaire vient d’exploser à côté. Les épisodes suivants s’attachent aux conséquences de l’explosion, alors que l’on réalise que la situation est bien plus grave que prévue. Chernobyl suit essentiellement deux personnages historiques : Valeri Legassov, scientifique nucléaire dépêché sur place pour régler la situation et Boris Chtcherbina, envoyé par l’État soviétique pour gérer la crise.

Ensemble, ils doivent répondre à une série de défis qui font froid dans le dos aujourd’hui et que le scénario met bien en avant. Il faut d’abord parer au plus pressé, éteindre l’incendie et ensuite stopper la fusion du cœur nucléaire. La radioactivité était si forte qu’il a fallu pour cela envoyer du sable et d’autres minerais depuis des hélicoptères, sans jamais survoler directement le cœur. La série de HBO peut compter sur les multiples difficultés supplémentaires qui se sont posées au duo. Ainsi, ils se rendent compte que le cœur en fusion peut rapidement atteindre d’immenses réserves en eau sous une dalle de béton. Si c’est le cas, une nouvelle explosion d’une intensité inégalée aurait eu lieu, détruisant une bonne partie de l’Europe centrale et contaminant durablement toute l’Europe, ou pas loin. Il faut intervenir en urgence pour vider cette eau, ce qui nécessite de sacrifier des hommes. Plus tard, c’est un tunnel qu’il faut creuser pour atteindre le réacteur par le bas et le refroidir ainsi. Puis les débris extrêmement radioactifs sur les toits qu’il faut déblayer avec des hommes, parce que même les robots lunaires ne peuvent pas résister face aux radiations. Chernobyl enchaîne ainsi les péripéties et la série s’avère constamment haletante, si bien que l’on a envie de la voir d’une traite. On a beau savoir que tout s’est bien terminé, apprendre qu’on a frôlé une catastrophe encore plus grave fait froid dans le dos, encore aujourd’hui. Et même si l’œuvre de Craig Mazin altère parfois la réalité historique pour renforcer le suspense, elle reste suffisamment documentée et proche des faits pour qu’on lui pardonne. Le choix de l’anglais pour faire parler tous ces personnages russes est peut-être le plus troublant au départ, mais on s’y fait bien, d’autant que HBO a fort heureusement évité l’écueil du faux accent russe. Et puis il faut saluer le travail des acteurs, tous impeccables, Stellan Skarsgård et Jared Harris en tête.

1986, c’est à la fois loin et étonnamment proche de nous. Le style très soviétique de Pripiat nous renvoie peut-être encore plus loin dans le temps, tout comme l’absence de certains moyens techniques qui expliquent en partie l’aveuglement initial des responsables. Mais l’histoire racontée par Chernobyl est aussi très proche de notre époque, et c’est précisément ce qui a motivé son créateur. Craig Mazin s’est particulièrement intéressé au traitement politique et médiatique de la catastrophe et notamment aux mensonges des politiques qui ont toujours minimisé les faits. C’est encore le cas aujourd’hui, puisque la Russie considère toujours officiellement que l’explosion n’a provoqué que 50 morts. Même si l’on exclue toutes les victimes de cancer dans les années qui ont suivi, il y a eu des milliers de victimes directes. Tous ceux qui étaient présents sur place dès le premiers jours, tous les pompiers, les employés de la centrale et les premiers militaires, sont tous morts sur place et dans les jours qui suivent. Comme HBO le montre bien, ils sont morts dans d’atroces souffrances, et d’une mort particulièrement horrible. Mais pendant plusieurs jours, les officiels minimisent le danger et évoquent des taux de radiation beaucoup plus bas que la réalité. Il s’agissait en partie d’une méconnaissance du nucléaire et d’un manque de moyens techniques, mais fondamentalement, il s’agissait de mensonges pour la gloire de l’URSS. Cette centrale nucléaire ne pouvait pas exploser, elle ne peut pas souffrir des défauts détaillés lors du procès dans le dernier épisode. Ce n’est pas possible, pas pensable même, et le suggérer relevait de la trahison. Qu’importent les preuves apportées par des scientifiques, ils ont forcément tort. Entre bêtise et malveillance, ces réactions du pouvoir trouvent un écho particulièrement cruel à notre époque. Craig Mazin ne cite jamais Trump ou un autre politique, et l’exemple qui colle le plus à Chernobyl n’est pas tant un fait précis qu’un phénomène mondial. Comment ne pas voir dans la catastrophe de Tchernobyl une analogie pour le réchauffement climatique ? Les scientifiques qui connaissent la vérité ont beau prévenir les politiques et la société, personne ne réagit ou alors pas suffisamment, ou bien trop tard. C’est une catastrophe moins spectaculaire que l’explosion d’une centrale nucléaire, certes, mais elle n’en est pas moins dangereuse, c’est même tout le contraire.

HBO apporte de nombreuses informations sur la catastrophe et permet de la vivre au plus près, avec un rendu très convaincant de son ampleur et de son importance. Chernobyl apporte aussi de nombreuses clés sur ce qui s’est passé exactement et le dernier pilote est passionnant à cet égard, avec une démonstration brillante des erreurs personnelles du responsable ce soir-là, mais aussi et surtout des défauts conceptuels de ce type de centrales. La série de Craig Mazin alimentera forcément la peur du nucléaire, comment en serait-il autrement, mais elle s’attache avant tout à montrer que le problème n’est pas le nucléaire en soi, et bien plus les mensonges et aveuglements du politique et de la société en général. C’est bluffant, angoissant, brillant… ne passez pas à côté !