Le Choix de Sophie est un film assez étonnant, qui se révèle très progressivement si vous ne connaissez pas son histoire. D’ailleurs, si c’est le cas, n’allez pas plus loin pour garder toute la surprise, votre première expérience du long-métrage sera la plus forte si vous ignorez tout de la réalisation d’Alan J. Pakula, ou du roman original de William Styron. Se construisant autour d’un triangle amoureux dans le Brooklyn d’après-guerre, on imagine mal au départ comment on arrive aussi vite à l’horreur de la Shoah, qui est pourtant le véritable sujet et le choix du titre. Le Choix de Sophie ne vaut pas seulement par la prestation de Meryl Streep, même si l’actrice est effectivement exceptionnelle dans ce rôle, mais aussi pour sa saisissante plongée dans la cruauté des camps de la mort nazis.
Alan J. Pakula a opté pour une adaptation très proche du roman original, ce qui explique la présence d’un narrateur. Toute l’histoire est racontée et vue par Stingo, un jeune écrivain en devenir qui débarque à New-York depuis le sud des États-Unis. Sans argent, il est contraint de loger dans une maison toute rose de Brooklyn où il rencontre Nathan et Sophie, ses voisins du dessus. Ce couple atypique, lui est chercheur en biologie et elle immigrante polonaise arrivée depuis peu aux États-Unis, se dispute violemment le premier soir où Stingo emménage, mais il tombe rapidement sous leur charme. Très vite, un trio se forme et ils sont inséparables. Le Choix de Sophie ne parle jamais de trouple, ce serait bien trop moderne pour le Brooklyn de 1947 et sans doute aussi pour le Hollywood de 1982, mais le réalisateur laisse malgré tout planner le doute. C’est une amitié très forte, mais est-ce davantage ? Stingo est indéniablement attiré par Sophie, qui ne semble pas désintéressée non plus. Et même Nathan paraît très proche du jeune écrivain, à tel point que l’on pourrait envisager une romance entre les deux… mais le long-métrage ne suit pas cette direction. Le scénario enchaîne les retournements de situation, ce qui commence par le comportement bizarre de Nathan, qui a des phases d’exaltation et d’affection, puis d’autres où il devient hargneux et même violent. On découvre plus tard qu’il a de gros problèmes psychologiques, son frère parle de schizophrénie paranoïde, on pourrait parler de bipolarité, mais toujours est-il que sa personnalité peut basculer du tout au tout sans prévenir. Jusqu’à menacer Sophie et Stingo ? La violence monte crenscendo tout au long du récit, sans se concrétiser, ou alors pas comme on pouvait s’y attendre initialement.
Il faut dire que le triangle amoureux finit par passer à l’arrière-plan quand l’histoire de Sophie apparaît. On voit dans les premières minutes son tatouage au bras, le numéro des camps de concentration allemand, et on sait ainsi qu’elle est passée par les camps de la mort. Ce que l’on ne sait pas initialement en revanche, et ce que Le Choix de Sophie ne révèle pas pendant longtemps, c’est que son récit est le sujet principal. Alan J. Pakula respecte là encore l’esprit du roman, en révélant par petites touches le passé du personnage et en commençant par les mensonges qu’elle raconte sans doute à tout le monde dans un premier temps. Petit à petit, toute la vérité est révélée, sur l’implication de son père, sur sa vie dans le camp d’Auschwitz où elle a été enfermée et surtout sur le sort de ses deux jeunes enfants emmenés avec elle. Le choix annoncé dès le titre est l’occasion d’une révélation horrifiante, même quand on a entendu parler des pratiques impensables des responsables des camps. Pour que l’horreur porte, il fallait un jeu d’acteur à la hauteur et on peut dire que Le Choix de Sophie l’a trouvé avec Meryl Streep. C’est incroyable de penser que l’actrice n’était même pas dans liste de choix du réalisateur et qu’elle a été obligée, d’après la légende, de quasiment forcer la main d’Alan J. Pakula pour obtenir le rôle. Quoi qu’il en soit, Meryl Streep incarne brillamment Sophie, elle passe d’une langue à l’autre avec un naturel confondant et elle est aussi bonne à Brooklyn qu’à Auschwitz. S’il ne fallait qu’une seule raison de voir le film, c’est bien elle, même s’il faut aussi noter que Kevin Kline est excellent lui aussi à ses côtés dans le rôle de Nathan. On n’en dira pas autant de Peter MacNicol, moins convaincant en Stingo, mais le duo qu’il côtoie suffit amplement.
Un triangle amoureux et un choix entre deux hommes : Le Choix de Sophie aurait pu être un un film bien différent, s’il ne faisait pas de la Shoah un sujet central. Cet assemblage pour le moins surprenant fait la force du long-métrage, qui s’apprécie ainsi différemment la première fois, quand on ne sait rien à son sujet. Mais la réalisation d’Alan J. Pakula peut aussi tenir la distance, ne serait-ce que pour apprécier le talent de ses acteurs, et en particulier celui de Meryl Streep, inoubliable dans le rôle de Sophie.