La Chute d’Hypérion se déroule très exactement après Hypérion. C’est à la fin du premier roman de la saga que l’histoire commençait vraiment à se mettre en place, et le space opera imaginé par Dan Simmons s’exprime enfin pleinement ici. Cette suite est très différente, beaucoup plus conventionnelle par son format et par son récit de guerre à travers l’univers. Les tombeaux du Temps s’ouvrent, les Extros attaquent l’Hégémonie et l’avenir de l’humanité est en jeu, rien que ça. Après une œuvre aussi originale que pouvait l’être Hypérion, ce retour à quelque chose de plus classique pourrait décevoir, mais La Chute d’Hypérion n’a rien d’un récit facile que l’on peut résumer en quelques mots. L’œuvre de Dan Simmons est au contraire extrêmement riche et passionnante, avec un univers original qui n’oublie pas la pointe de fantastique qui fait toute la différence. Un classique qui n’a pas pris une ride, près de trente ans après sa sortie.
Le voyage des pèlerins s’achevait dans le premier roman, ils sont désormais arrivés aux Tombeaux du Temps et ils peuvent affronter le Gritche, destination de leur voyage. Autant le dire directement, si vous n’avez pas lu Hypérion, vous serez bien en peine de comprendre ce qui se passe et Dan Simmons n’essaie pas de vous simplifier la vie en résumant les épisodes précédents. Des personnages clés du premier roman font leur retour et il est essentiel de bien connaître les six récits des pèlerins pour comprendre ce qui se passe ici. Il faut dire que la rencontre de la créature métallique n’est qu’une partie de l’équation, et le roman divise son attention sur plusieurs trames narratives. Outre la suite du récit sur le sol de la planète Hypérion, La Chute d’Hypérion évoque aussi la guerre que l’Hégémonie doit affronter à l’échelle de l’univers connu. La guerre occupait déjà les esprits dans le premier roman, elle est arrivée dans le second et bat son plein pendant toute sa durée. On peut la suivre dans tout le Retz, c’est-à-dire sur toutes les planètes de l’Hégémonie reliées entre elles par les portails distrans, mais le romancier n’abandonne pas son point de vue à hauteur des personnages pour autant. D’ailleurs, la majorité du roman n’adopte qu’un seul point de vue pour concentrer tous les autres, celui de Joseph Severn, un nouveau personnage centrale dans la suite. Ce cybride, un corps humain relié à la métasphère qui serait l’équivalent d’internet dans cet univers, est placé au plus près du pouvoir, puisqu’il est chargé de dessiner des portraits de Meina Gladstone, la présidente de l’Hégémonie. Et son vrai rôle est encore plus important que cela, puisqu’il est connecté à ce qui se déroule sur Hypérion par une série de rêves et c’est lui qui rapporte ce qui se passe sur la planète. Cette astuce posée, La Chute d’Hypérion alterne en fait entre les séquences avec les pèlerins, et d’autres autour de la guerre. C’est une solution assez classique pour un roman, mais il faut noter que Dan Simmons tient ce concept jusqu’au bout et il ne change pas de fusil d’épaule en cours de route, même si ce serait plus facile. Quand l’univers est profondément bouleversé par les événements, le récit s’adapte et change de forme, sans oublier ce principe de rester au plus près des personnages et aussi d’Hypérion.
Le lecteur terminait Hypérion avec des dizaines de questions et quasiment aucune réponse. Cette suite a logiquement la tâche d’y répondre et le récit ménage ainsi plusieurs grosses surprises. On ne les révélera pas toutes, mais l’une d’elle est que la guerre entre humains et extros qui devait se limiter à une planète concerne en fait tout l’univers colonisé. Dan Simmons n’oublie pas la politique et offre au contraire une belle critique intemporelle sur l’aveuglement d’une civilisation qui n’envisage jamais qu’un tiers fonctionne différemment. Pour faire simple, dans cet univers, on peut détecter les voyages spatiaux qui utilisent une technologie permettant de dépasser la vitesse de la lumière. Si un vaisseau se déplace moins rapidement, il est indétectable, mais le voyage nécessite alors des dizaines et des dizaines d’années. Et dans l’État-Major de l’Hégémonie, personne n’avait imaginé que l’ennemi pouvait avoir préparé ainsi son attaque, avançant masqué depuis des années vers les principales planètes du Retz. Cet aspect très space opera est bien plus développé dans La Chute d’Hypérion et les amateurs y trouveront leur compte, c’est mené avec brio, prenant et parfaitement intelligible… dans le genre, on trouve difficilement mieux ! Dan Simmons n’oublie pas le fantastique pour autant, et son roman est aussi largement consacré au Gritche et à son rôle dans cet univers. Chaque pèlerin a l’occasion de l’affronter successivement, littéralement ou non. Ils ont tous un rôle bien précis à jouer et le récit permet d’en apprendre beaucoup plus sur la créature de métal, sur les mystérieux labyrinthes dans les sous-sols de plusieurs planètes, ou encore sur les tombeaux du temps. Garder la surprise est essentiel pour profiter de l’œuvre de Dan Simmons, et l’auteur a largement de quoi faire pour vous inciter à tourner chaque page jusqu’à la dernière. Difficile de s’arrêter quand on commence !
Dan Simmons opte pour un récit plus classique avec Les Chutes d’Hypérion, du moins en apparence. On est plus dans le space opera classique, avec une guerre entre plusieurs civilisations et un combat d’une planète à l’autre, mais ne vous arrêtez pas à cette banalité apparente. Le roman est toujours autant inspirée par John Keats et le fantastique est toujours au cœur du récit. À l’arrivée, c’est une œuvre haletante et fascinante, un de ces romans qui vous restent en mémoire pour des années, un classique du genre même. Les Chutes d’Hypérion est sorti pour la première fois en 1990, mais il reste toujours aussi prenant et plaisant, un régal.