Cinquième Colonne, Alfred Hitchcock

Cinquième Colonne1 n’est pas le premier film d’Alfred Hitchcock tourné aux États-Unis, mais c’est peut-être son premier long-métrage vraiment américain. Arrivé dans le pays deux ans avant, il a surtout tourné des œuvres britanniques à Hollywood avant cette production purement américaine. Premier film pour Universal, premier film avec un casting entièrement américain, il connaît aussi un grand succès dans le pays à sa sortie, en 1942. Cinquième Colonne est marqué par la Seconde Guerre mondiale, mais ce n’est pas un film de guerre, pas plus qu’il n’est vraiment politique, même s’il est politisé par moment. Alfred Hitchcock réalise un de ces thrillers aiguisés qui ont fait sa réputation, la course contre la montre d’un innocent accusé à tort de traîtrise dans un pays plein de suspicions. Sans être un chef-d’œuvre, le film est porté par quelques séquences d'anthologie, dont une scène devenue fameuse sur la Statue de la Liberté.

L’intrigue de Cinquième Colonne reprend dans les grandes lignes celle d’un film antérieur d’Alfred Hitchcock, Les 39 Marches. Dans les deux cas, un homme innocent est accusé d’un crime et il doit mener l’enquête pour trouver les vrais coupables et prouver ainsi son innocence. Le cinéaste ne se contente pas d’adapter le scénario précédent à un contexte américain toutefois, il le remet au goût du jour en l’incluant dans le contexte de la Seconde guerre mondiale. Sans le savoir, son long-métrage a d’ailleurs été parfaitement calé sur l’actualité, puisque le bombardement de Pearl Harbour a lieu au tout début du tournage. C’est donc à un pays en guerre que le réalisateur présente cette histoire de traitres qui font tout pour saboter l’effort de guerre américain et pour instaurer une dictature totalitaire aux États-Unis. Alfred Hitchcock tombe plutôt bien, et en même temps, il ne présente pas un film de guerre. Il exploite davantage le sentiment de patriotisme exacerbé qui domine dans le pays et qui conduit des citoyens lambda à vouloir arrêter un homme sur une simple suspicion, un sentiment que Cinquième Colonne a reproduit d’ailleurs de manière très fidèle. On sent parfaitement bien l’état d’excitation un petit peu folle dans le pays et ce d’autant plus qu’il est très contemporain. Le contexte a changé, mais la peur du terrorisme aujourd’hui est similaire à celle des traitres au cœur du conflit mondial. Le choix de représenter les méchants comme de bons Américains au-dessus de tout reproche est d’ailleurs une excellente idée qui évite aux spectateurs de les rejeter trop brutalement. En revanche, le cinéaste ne semble pas du tout intéressé par leurs motivations ou même leurs buts. Il préfère se concentrer sur le thriller et reste au plus près de ses personnages, mais cela peut aussi contribuer à rendre Cinquième colonne un petit peu confus, en tout cas assez flou. 

Plutôt que d’aller sur le terrain de la politique, ou même celui du complot, Alfred Hitchcock préfère se concentrer sur ses personnages. Il y a d’abord Barry, l’ouvrier qui travaille dans l’industrie aéronautique et qui est accusé à tort d’avoir déclenché un incendie criminel. Sur son chemin, il rencontre Pat et tombe amoureux de cette fille qui le croit d’abord coupable, avant de reconnaître son innocence. Leur histoire est assez classique, mais le film enchaîne surtout les rencontres entre Barry et des hommes rencontrés pendant sa fuite et qui vont l’aider. Le scénario de Cinquième Colonne n’est pas toujours très cohérent, ou plutôt on a parfois le sentiment de voir des séquences collées artificiellement et sans rapport entre elles. Toutefois, si l’on considère l’ensemble, on a un road-movie doublé d’un voyage initiatique où le personnage principal découvre la malhonnêteté ancrée jusqu’à la police, et puis la bonté avec trois personnes qui lui viennent successivement en aide. On croise d’abord un camionneur bavard qui vient en aide du fugitif à un moment crucial, puis un homme aveugle dans une maison isolée dans la forêt qui lui fait confiance et croit en lui, et enfin une troupe de cirque qui le protège face à la police. L’aide vient systématiquement de ces personnes à part, loin des villes et jamais des forces de l’ordre qui, jusqu’au bout, refusent d’écouter Barry. Au passage, Alfred Hitchcock se permet pour une fois de glisser quelques commentaires politiques, critiquant assez directement le sentiment de paranoïa qui a gagné le pays. Le cinéaste s’est souvent tenu à l’écart, mais cette fois-ci, la politique est présente, quoi que discrète, dans son long-métrage.

De Cinquième Colonne, on retient souvent la fameuse séquence de la Statue de la Liberté, où Barry poursuit le vrai saboteur et le tient par la manche du haut de l’édifice. Alfred Hitchcock y prouve qu’il est alors le maître des effets spéciaux, avec cette chute filmée sur fond noir, avec une caméra qui monte pour un effet qui a vieilli, certes, mais qui reste bluffant pour l’époque. Ce n’est pas la seule scène d’anthologie dans le long-métrage toutefois et la séquence dans la salle de cinéma, avec les coups de feux coordonnés au film diffusé, c’est aussi une superbe réussite de montage. À l’arrivée, Cinquième Colonne n’est peut-être pas le plus réussi dans la carrière du cinéaste britannique, mais il reste un divertissement très plaisant à suivre et sa modernité est souvent frappante. 


  1. Qui avait pourtant un titre original parfait en français : Saboteur. Déjà à l’époque, on traduisait les films n’importe comment…