La Cité de la peur, Alain Berberian

Les Nuls se sont faits connaître à la télévision au tournant des années 1990, mais éreintés par les exigences d’une émission quotidienne, ils décident d’arrêter leur carrière alors même qu’elle est au sommet. Les trois membres encore vivants1 décident malgré tout de continuer à travailler ensemble, mais sur un projet différent, un long-métrage. C’est ainsi que naît La Cité de la peur, une comédie hilarante, bourrée de parodies et propulsée par l’amour du cinéma des trois humoristes qui se transforme en dizaines de clins d’œil. Cette comédie réalisée par Alain Berberian reste encore aujourd’hui une œuvre culte, dont on connaît des répliques sans même forcément savoir qu’elles venaient de là. Et 25 ans après sa sortie, La Cité de la peur reste une comédie toujours aussi drôle et plaisante, à (re)voir avec plaisir.

La Cité de la peur commence avec une mise en abime, un film dans le film qui sert à la fois aux Nuls à s’amuser en imaginant une parodie de film d’horreur et qui fait aussi office de déclaration d’intention pour la suite. Avant de découvrir l’intrigue principale du long-métrage principal, on voit la fin de Red is Dead, un nanard tellement ridicule qu’il en devient drôle où un serial-killer communiste tue ses victimes avec une faucille et un marteau. Ça pourrait être une comédie, mais c’est un film au premier degré qui n’intéresse personne, au grand désespoir d’Odile Deray, son attachée de presse. En tout cas, il n’intéresse personne dans le scénario imaginé par les Nuls, parce que sinon, les quelques minutes que l’on voit au début du long-métrage sont déjà à mourir de rire. Elles contiennent des dizaines de gags et de références qu’une seule vision ne suffira pas à lister intégralement. Le titre est une référence quasiment explicite au cinéma de Sam Raimi et son fameux Evil Dead, mais on reconnaît bien le goût du trio pour l’absurde tout au long de cette séquence improbable où le héros s’enfuit, mais revient quand même pour éteindre l’aspirateur. Rien n’est très sérieux, les voix sont grossièrement doublées, les acteurs jouent mal… c’est un festival et La Cité de la peur n’a même pas vraiment commencé. Mais déjà, on retrouve bien tout le talent des comiques, et en particulier leur force : traiter avec le plus grand des sérieux une intrigue totalement stupide. Ce décalage est souvent responsable des meilleurs gags dans leurs émissions à la télévision, et ils reprennent naturellement la recette pour leur passage sur le grand écran. Alain Chabat, Chantal Lauby et Dominique Farrugia sont parfaitement à leur aise dans ce nouveau format et leur passage au cinéma est d’un naturel confondant. Et n’oublions pas le doigt de Gérard Darmon, inoubliable en commissaire Baliès et en danseur de Carioca.

Pour autant, La Cité de la peur n’est pas qu’un enchaînement de gags bricolés à la va-vite. Ils ont imaginé une vraie intrigue, autour d’un serial-killer (dong !) et d’une enquête policière vaguement menée par le commissaire Bialès qui fait son travail avec un sérieux tout relatif. Inutile de s’attendre à un thriller sérieux et bien ficelé néanmoins, l’enquête n’a qu’une importance secondaire, mais Les Nuls ont imaginé une vraie comédie, avec une intrigue qui tient parfaitement la route et des personnages crédibles dans leur genre. Ils enchaînent les scènes d’anthologie et le scénario multiplie les répliques cultes, mais le long-métrage ne ressemble jamais à une mauvaise excuse pour lier des sketches. C’est du bon cinéma, une excellente comédie populaire qui a par ailleurs très bien vieilli. Les comédiens utilisent tout le catalogue de l’humour à leur disposition, avec des blagues pipi/caca — ou plutôt vomi — qui côtoient des références et clins d’œil sophistiqués. En témoigne ces séquences qui reprennent, quasiment à l’identique, des scènes cultes, de Basic Instinct à Pretty Woman. La cinéphilie des trois comédiens est évidente, ils savent détourner ces scènes de manière plus ou moins subtiles, tout en rendant hommage aux films originaux. La Cité de la peur ne se restreint jamais à un genre ou un domaine, et le film évite absolument les explications. Si vous ne connaissez pas l’œuvre de Dostoïevski, vous ne comprendrez sans doute pas pourquoi le garde du corps précise qu’il est fils unique. C’est aussi ça qui est plaisant avec ce film : vous l’apprécierez la première fois, mais plus encore à chaque fois que vous le reverrez. Certaines références sont très discrètes et nécessitent plusieurs visions et même celles qui sont évidentes restent plaisantes. En fait, ce film est comme un grand vin qui vieillit et qui devient encore meilleur au fil des années et des visions. Une belle prouesse pour un premier passage de la télévision au cinéma !

La Cité de la peur est le premier long-métrage de Les Nuls, c’est aussi le dernier, en tout cas officiellement. Le trio s’est dissolu avec la fin de l’émission quotidienne diffusée sur Canal+, ils se sont retrouvés pour ce film sous cette bannière, avant de la mettre à la retraite définitivement. Cela n’a pas empêché les trois acteurs de se retrouver par la suite au cinéma, notamment trois ans plus tard dans Didier, la première réalisation d’Alain Chabat, mais ce n’est plus tout à fait la même chose. L’humour absurde, assez anglo-saxon dans l’esprit, est surtout représenté dans cet unique long-métrage. Un seul film, c’est peu, mais le résultat est si bon qu’il est difficile de critiquer les Nuls sur leur choix de passer à autre chose. Quoi qu’il en soit, vous ne pourrez pas vous tromper en (re)voyant La Cité de la peur : le long-métrage réalisé par Alain Berberian n’a pas pris une ride. Un classique, à prolonger avec cette excellente vidéo qui décrypte parfaitement l’humour des trois comédiens et la réussite du film.

Attention, ça va couper !


  1. Bruno Carette est mort du SIDA en 1989, deux ans seulement après la formation des Nuls.