Comancheria, David Mackenzie

L’action se déroule au beau milieu du Texas, entre paysages immenses et villes qui semblent désertes. L’intrigue se concentre sur des braqueurs de banques et les forces de l’ordre qui les pourchassent. Comment ne pas penser à un western ? Sauf que Comancheria, le dernier long-métrage de David Mackenzie, ne se déroule pas au milieu du XIXe siècle, mais bien à notre époque. Les chevaux ont cédé la place aux voitures et la crise des subprimes est passée par là, mais au fond, tout cela ne change rien au fait que l’on se sent dans un western, mais dans une version moderne naturellement. Sublimé par la musique (hélas un peu trop rare) de Nick Cave et Warren Ellis1, Comancheria est un film singulier, moins simpliste qu’il pourrait en avoir l’air.

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Comancheria commence par une scène de braquage. La caméra suit une voiture qui avance doucement en arrière-plan en même temps qu’une femme qui sort de sa voiture et entre dans une banque, suivie de près par deux hommes cagoulés, armes au poing. Ils sont là pour récupérer de l’argent, on s’en doute bien, mais le film montre très bien que ce sont deux amateurs qui, manifestement, n’ont jamais braqué de banque auparavant. Ils hésitent sur l’action à entreprendre, ils sont arrivés trop tôt et doivent attendre que le patron des lieux se pointe à son tour : bref, c’est n’importe quoi, mais la chance sourit aux débutants et ils sortent quelques minutes plus tard avec un pactole. Pas un gros, quelques billets, probablement un ou deux milliers de dollars, mais ils ne s’arrêtent pas là et vont braquer dans la foulée une autre banque. Cette fois, ils prennent de l’assurance et l’un des deux voleurs prend même goût. David Mackenzie ne dévoile pas immédiatement les motivations de ces deux personnages et c’est certainement l’une des meilleures idées du long-métrage. On découvre petit à petit pourquoi ces deux frères se sont mis, du jour au lendemain, à braquer des banques. Le scénario finit aussi par dévoiler le plan assez malin de Toby, le plus jeune, pour s’en tirer sans problème, mais on n’est pas en présence d’un film de casse traditionnel où le plan est dévoilé avant d’être exécuté. Comancheria commence par nous montrer deux amateurs qui ne semblent vraiment pas savoir s’y prendre, mais on découvre ensuite qu’ils sont très bien préparés et que tout est planifié, des horaires et lieux pour les braquages au blanchiment de l’argent en passant par l’élimination des preuves. Rien n’est laissé au hasard, en tout cas pas dans l’idée de base, car le film introduit quelques grains de sable fort à propos dans cet environnement désertique.

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Après ce premier braquage couronné de succès, les choses tournent rapidement au vinaigre. Il y a le grand frère, Marcus, qui sort de dix ans de prison et qui prend vraiment trop de plaisir à braquer des banques, au point de compromettre la sécurité de l’entreprise. Et puis il y a Tanner Howard, un ranger à quelques jours de la retraite, mais qui refusent d’abonner son travail qui est aussi sa vie. Avec son partenaire, il s’occupe de cette enquête, sans doute la dernière de sa carrière. Ce n’est pas une enquête très rapide toutefois et on est loin du thriller excité. À la place, Comancheria surprend avec deux policiers qui patientent dans une toute petite ville paumée au fin fond des États-Unis, tandis que nos deux malfrats ne sont pas aussi malveillants qu’on pouvait l’imaginer. Le scénario semble très simple sur le papier, mais David Mackenzie parvient très bien à révéler toute son épaisseur et ses pièges. Quand on ne s’y attend pas, la violence surgit brutalement, plus de la part de la population locale d’ailleurs : tout le monde possède une arme au Texas, et les habitants n’hésitent pas à s’en servir. Dans une scène surréaliste, tous ceux qui ont assisté à l’un des braquages montent dans leur pick-up et se mettent en chasse des deux voleurs. On se croirait dans un western, les chevaux en moins, mais la conclusion à cette scène reste étonnante. Comancheria a le chic pour évoluer entre les genres et les émotions et le film est souvent là où on ne l’attend pas, ce qui est une excellente chose.

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Filmé en CinemaScope, alternant entre les plans larges qui mettent en valeur les paysages texans et les plans serrés sur les visages de ses personnages, Comancheria a tout du western, et en même temps, David Mackenzie n’en reste pas à ce genre. On frôle parfois la comédie, on est complètement dans le drame social teinté d’une critique très nette contre les banques et en filigrane le système économique qui a entraîné la crise des subprimes2, mais aussi contre la culture des armes. La pauvreté génération après génération des Howard est pointée du doigt, tout comme cette violence générale où les civils tirent plus facilement que les forces de l’ordre, mais dans leur bon droit qui plus est. À l’arrivée, c’est une œuvre plus complexe qu’il n’y paraît : Comancheria mérite amplement le détour.


  1. On les retrouve dans leur registre inimitable et il suffit de quelques notes de violons pour les reconnaître. Néanmoins, ils ne se sont pas répétés et la bande-originale est ici assez différente de leurs travaux précédents, plus portée sur le piano. Dommage que l’on ait si peu de morceaux pendant le film, mais il a fallu aussi faire un petit peu de place pour des titres de country. 
  2. Le titre original, Hell or High Water, est une référence plus explicite encore. C’est une expression populaire qui est présente sur certains contrats pour obliger, par exemple, à rembourser un prêt, même si le déluge ou l’enfer s’abattait sur celui qui signe.