Le Conte de la princesse Kaguya, Isao Takahata

Pour son dernier long-métrage, Isao Takahata pioche dans l’historie culturelle japonaise en adaptant le plus vieux texte littéraire connu. Le Conte de la princesse Kaguya est adapté d’un récit qui viendrait du Xe siècle, l’étrange histoire d’une princesse tombée du ciel et qui grandit anormalement vite. Le co-fondateur des studios Ghibli adopte à nouveau un style original et différent, cette fois en visant l’épure de l’esquisse. Ce style plus complexe qu’il n’y paraît est une composante importante dans la réussite du projet, mais l’histoire qui reste étonnante jusqu’au bout en est indéniablement une autre. Le Conte de la princesse Kaguya est une œuvre qui résiste à un classement facile et qui mérite amplement le détour.

Le conte commence sur une drôle de surprise : un coupeur de bambous remarque une pousse éclairée dans la forêt. En s’approchant, il découvre que la pousse contient une jeune fille miniature, comme une poupée, mais bien vivante. Il pense immédiatement qu’il est tombé sur une princesse tombée du ciel et il décide de la ramener chez lui et de l’éduquer avec sa femme. La petite figure se transforme instantanément en un bébé qui grandit à vue d’œil, littéralement. Isao Takahata a la bonne idée de garder tous les mystères de son récit dans un premier temps. Les spectateurs japonais, qui connaissent tous le conte original, seront en terrain connu, mais les occidentaux pourront se laisser porter par cette histoire étonnante. On ne sait pas exactement où l’on va et c’est très bien ainsi : Le Conte de la princesse Kaguya nécessite de se laisser porter, d’accepter de ne pas tout comprendre et surtout de ne pas retrouver les schémas classiques de nos contes. La progression du récit ne va pas toujours avoir beaucoup de sens pour nous et, sans trop en dire, la fin devrait surprendre tous ceux qui s’attendaient à un conte à la Disney. Le réalisateur a privilégié une approche plus poétique, avec un récit qui avance à son propre rythme et une structure propre. Cela étant, la version du conte présentée par les studios Ghibli est assez différente de l’originale, où la princesse reste dans la campagne et où les prétendants viennent la trouver. Isao Takahata préfère impliquer davantage le père, en faire un ambitieux social qui perd la tête en découvrant des pépites d’or dans les bambous et en imaginant que le bonheur de sa fille passera par sa transformation en véritable princesse et par un mariage noble. Un changement intéressant, parce qu’il politise un récit plus neutre à la base, tout en offrant une lecture plus moderne tout en étant respectueuse de la tradition. Cette démarche, à mi-chemin entre modernité et tradition, est centrale dans le long-métrage et on la retrouve aussi dans sa technique d’animation.

Contrairement à Hayao Miyazaki, Isa Takahata n’est pas un dessinateur à la base, ce qui lui laisse une liberté formelle incomparable. Il le prouve encore une fois avec Le Conte de la princesse Kaguya, avec un style très original qui s’inspire des esquisses. Le réalisateur expliquait à l’époque qu’il ne voulait pas perturber son récit par un style graphique trop sophistiqué et qu’il privilégiait l’épure. Et c’est vrai que certains plans sont assez simples, avec quelques traits de fusain et une animation réduite. Mais ne vous y trompez pas, ce n’est pas une règle générale et le film contient aussi quelques séquences d’une rare complexité et d’une inventivité assez folle. L’animation parvient notamment très bien à rendre les effets de mouvements, en particulier au milieu des bambous. À l’image de son récit, cette technique ancestrale peut aussi s‘avérer très moderne, avec une économie de moyens qui fait mouche. Le temps d’une fuite au milieu du film, cette technique atteint même des sommets quand les étoffes de la princesse restent dans la rue alors qu’elle s’éloigne au loin. C’est simple en apparence, mais c’est une idée assez géniale pour représenter le mouvement tout en donnant une idée de l’état d’esprit du personnage. D’ailleurs, c’est un autre point fort du projet : Le Conte de la princesse Kaguya représente à merveille les sentiments complexes de son personnage principal. Kaguya est une princesse moderne, qui rejette sans hésiter tous ses prétendants, qui refuse le mariage imposé par son père et plus généralement tous les artifices imposés par la société. Dents noircies pour ne pas rire, élimination des sourcils, posture toujours respectueuse… elle voudrait revenir dans la campagne de son enfance, jouer avec ses amis et oublier toutes ces conventions sociales. Cela commence à ressembler à un conte que l’on a l’habitude de voir dans nos pays, mais ce serait sans compter sur ce récit résolument japonais, sans morale évidente, ni méchant explicite. Même le père n’est pas visé directement, il voulait bien faire sans savoir comment et sa fille ne lui en veut jamais vraiment.

Le Conte de la princesse Kaguya est une œuvre décidément plus complexe qu’il ne pouvait y paraître sur le papier. L’histoire comme le style semblent a priori très simples, mais leur complexité se révèle complètement sur plus de deux heures. Et d’ailleurs, le film conserve une part de mystère jusqu’au bout, Isao Takahata n’essaie pas de tout expliciter et c’est une excellente chose. Même si Le Conte de la princesse Kaguya conviendra aux enfants, il est loin d’être résumé à un film pour enfants et sa sophistication formelle autant que scénaristique plaira également aux adultes. Une très belle réussite.