Le Criminel, Orson Welles

Troisième film d’Orson Welles, réalisateur mythique et surtout connu pour le fameux Citizen Kane, Le Criminel est un film de commande renié par son créateur. Citizen Kane, pourtant considéré aujourd’hui comme l’un des plusieurs grands films de l’histoire du cinéma, fut un bide commercial retentissant, de même que son second film La Splendeur des Amberson : le public ne suit absolument pas. Le cinéma américain ayant toujours été une industrie, les studios américains commencent à voir d’un mauvais œil ce réalisateur qui avait obtenu pour son premier film une liberté totale. Le Criminel est, au contraire, un film de commande où le cinéaste n’a aucune marge de manœuvre. Pourtant, Le Criminel n’est pas sans intérêt…

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Le Criminel est né de la guerre, la Seconde Guerre mondiale. Sorti en 1946, il raconte ainsi la traque d’anciens nazis cachés sur le continent américain. L’inspecteur Wilson fait libérer un ancien criminel nazi avec l’espoir que ce dernier le mènera à Franz Kindler, haut dignitaire nazi qui a participé de très près à l’élaboration de la solution finale. Ce dernier se cache sous le nom de Charles Rankin dans la bourgeoisie américaine. Il est professeur dans l’université d’une petite bourgade où est socialement très intégré puisqu’il s’apprête à épouser la fille du juge local. Une couverture parfaite pour ce nazi qui n’attend qu’une chose, que l’Allemagne relance la guerre qu’elle vient tout juste de perdre. Mais Wilson le traque sans relâche et finit par le démasquer. On sent dans Le Criminel une volonté de la société américaine, à travers son cinéma, de se blanchir d’emblée envers le nazisme : Franz/Charles est présenté comme un vrai salaud, un type qui parvient à faire illusion un temps, mais semble prêt à tout instant à égorger quelqu’un sans remord. Il est d’ailleurs l’auteur de plusieurs crimes tout au long du film et mise à part son épouse aveuglée par l’amour, personne ne l’aime vraiment dans la petite ville de Harper. Un criminel de guerre qui réussit presque à intégrer le modèle américain (le fameux American Way of Life), c’est un peu le signe de l’échec de ce modèle, comme si Orson Welles voulait découvrir par là les limites.

Film de commande, certes, Le Criminel est aussi et d’abord un film d’Orson Welles. Cela se voit d’abord, avec une réalisation très soignée où le noir et blanc est très tranché, à la limite du dessin. Certains plans sont ainsi quasiment entièrement noirs, à l’exception d’une tache lumineuse qui met mieux en valeur le noir. On retrouve bien le travail que le cinéaste avait effectué dans Citizen Kane et qui a influencé tout le cinéma après lui, jusqu’au cinéma le plus contemporain (un film comme Sin City est visuellement proche de ce travail, par exemple). Orson Welles signe aussi le scénario et a réussi à imposer sa pâte, notamment dans la description de l’American Dream et de cette petite société fermée, ou de manière plus anecdotique dans les jeux de dames qui opposent à plusieurs reprises le commerçant et le détective ou Richard (apparemment Edward G. Robinson qui jouait Wilson a été furieux de devoir jouer aux dames dans un film…). Si Le Criminel est en effet moins original et moins passionnant qu’un Citizen Kane, il bénéficie d’une ambiance particulière plutôt réussie et on a un peu le sentiment que le réalisateur nargue les studios derrière l’apparente réalisation mécanique d’un film de commande. Curiosité supplémentaire, Le Criminel est le seul film d’Orson Welles qui a gagné de l’argent dès sa sortie en salles, quand tous les autres furent des échecs commerciaux…

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Immédiatement après avoir tourné Le Criminel, son réalisateur déclare : « Je l’ai tourné pour montrer à l’industrie que je pouvais tourner un film standard hollywoodien, dans les limites du temps et du budget, et être un aussi bon réalisateur que n’importe qui d’autre. » Si Le Criminel est peut-être un film mineur dans la carrière d’Orson Welles, cela n’est pourtant pas un film à ignorer dédaigneusement. Un Orson Welles mineur reste un film intéressant et ce film en est sans doute la preuve. Photographie de la société américaine d’après-guerre, obsédée par les horreurs de la Seconde Guerre mondiale (le film contient ainsi quelques images des camps) et déjà marquée par l’influence de la psychologie, Le Criminel est aussi un thriller efficace et un très bon exemple de film noir. Le film intéresse surtout pour sa photographie et ce noir et blanc tranché si typique. Suffisamment de raisons, en tout cas, pour voir ce troisième film d’Orson Welles.

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