Cure

Je n’avais pas vraiment envie de l’aimer. Le phénomène a pris une telle ampleur d’un coup, tout le monde ne parlait plus que de lui. Comme je ne suis plus vraiment l’actualité musicale, je pensais dans un premier temps que l’on parlait d’un nouvel album de The Cure, le groupe. Mais non, « Eddy de Pretto » était en fait le nom de l’artiste, et Cure le titre de l’album, un titre à prononcer en français. Ajoutez à cela la mention d’un jeune rappeur de banlieue et je l’associais à un « nouvel Orelsan », ce qui n’est plus vraiment ce que je veux écouter aujourd’hui. J’ai d’abord choisi de l’ignorer, mais face à la vague de tweets et les recommandations des proches, j’ai fini par céder.

Commençant sur YouTube, je suis tombé sur « Fête de trop », sur ce visage atypique filmé trop près, sur la musique simple, sur les paroles au contraire complexes et surtout sur cette voix inclassable. C’est ce qui m’a surpris dans un premier temps, qui m’a ensuite séduit : cette voix qui ne colle pas avec l’image que l’on aurait a priori d’un rappeur de 24 ans originaire de Créteil, elle est intense et reste gravée en mémoire. Ajoutez à cela un sens de la mélodie malgré une instrumentation réduite et j’étais accroché. C’est ça qui est d’emblée passionnant avec Eddy de Pretto, il est trop complet et inattendu pour être réduit à une seule case.

Est-ce du rap, de la chanson française, de la pop, ou tout autre chose ? Le jeune artiste revendique volontiers l’influence de Barbara, Brel et Claude Nougaro, aux côtés de Kanye West et Frank Ocean, et on comprend vite pourquoi en l’écoutant. Sa manière de chanter, sa diction, sont hérités d’une longue tradition remise au goût du jour ces dernières années. Impossible de ne pas penser à Stromae ou, un petit peu plus loin de nous, au québécois Pierre Lapointe. Les codes du rap sont aussi là, pas nécessairement dans la façon de chanter, davantage dans les instrumentations souvent minimales et électroniques, mais on les retrouve aussi en images, par exemple dans le clip de « Normal ». Cure, c’est tout cela, et plus encore, une voie originale que suit le nouveau-venu, sans peur d’essayer autre chose, de créer son propre style, marqué par une impressionnante maturité du chant, qui colle bien à la maturité de son interprète.

Et puis, il y a le texte. Je ne m’en cache, ce n’est pas mon domaine de prédilection, mais force est de constater que ces paroles sont brillamment ciselées, souvent incisives, voire violentes, mais dans un vocabulaire toujours recherché et sans jamais tomber dans le vulgaire. Eddy de Pretto avait manifestement beaucoup à dire, sur son homosexualité majoritairement. Il répond en interview qu’il ne cherche pas à devenir une icône gay, qu’il entend simplement parler de sa vie et de son quotidien et qu’il ne cache pas non plus sa sexualité. Comme quasiment tous les artistes, au fond, mais cette vision est trop rare, surtout dans ces genres, et elle fait plaisir à entendre.

Ses deux parents en prennent pour leur grade, sur « Kid », un titre très fort où il incarne un père, sans doute le sien, qui veut forcer son fils à paraître viril. Et sur « Mamere », autre titre fort de l’album, où il répète à l’infini le nom de la chanson et critique tout aussi durement sa mère1. Comme tout le monde, il parle beaucoup d’amour et aussi de sexe, parfois de manière assez crue, même si les mots sont toujours soigneusement choisis et châtiés 2. Son enfance en banlieue parisienne, sa vie quotidienne ou bien encore l’homophobie sont autant de sujets qui défilent sur ce premier album. On pourrait dire que cela manque d’originalité, mais il faut souligner la qualité de ces textes, leur urgence, leur intensité et leur densité rare. On n’épuise pas Cure en une ou deux écoutes, il se révèle à chaque nouvelle écoute.

Est-ce que j’écouterai encore Cure dans quelques mois, quelques années ? Peut-être pas, mais qu’importe, le premier album d’Eddy de Pretto me reste en tête et j’ai du mal à ne pas l’écouter depuis hier. Quinze titres entêtants, c’est déjà une très belle performance pour un premier essai…


  1. Est-ce mon imagination qui me joue des tours où est-ce que certains « Mamere » se transforment en « Ma merde » ? C’est peut-être un effet de prononciation innocent, mais je me demande… 
  2. Dans « Jimmy », « C’qui sent encore le chaud de ton intimité / J’étais tout excité par ce paquet épais ». C’est poliment dit, mais c’est très clair. Parfois, c’est encore plus explicite : « Et le pire fait attention garçon / Faire joujou dans ton p’tit pantalon / Peut m’provoquer d’fines réactions /Allez tournes toi dégage, que j’tape le fond », sur « Normal ».