Christopher Nolan est entré dans l’univers du blockbuster avec Batman Begins. Il a découvert par la même occasion l’univers des superhéros en s’attaquant au monument Batman. Loin de faire dans la surenchère, le cinéaste américain choisissait une voie originale en optant pour un traitement réaliste et noir. Comme il l’indique dès son titre, The Dark Knight : Le Chevalier noir est un film noir, très noir même. Jamais l’opposition traditionnelle entre Batman et son plus grand ennemi, le Joker, n’a été aussi sombre et violente que dans cette version. Christopher Nolan impressionne avec un long-métrage dense et angoissant, un grand film qui dépasse largement son statut d’adaptation de comics. Époustouflant.
Batman Begins voyait la naissance du superhéros. Le richissime Bruce Wayne construisait alors son personnage avec la complicité d’Alfred, son valet, et de Lucius, le créateur de ses vêtements et accessoires. Le film se concluait alors que Batman venait de sauver Gotham City de la destruction. The Dark Knight : Le Chevalier noir débute quelque temps plus tard, guère plus que quelques mois, voire semaines : la propriété de Bruce Wayne, détruite par les flammes, n’a en effet toujours pas été reconstruite. Batman et le policier James Gordon sont en passe de mettre un vaste coup de filet sur toute la mafia de la ville. Utilisant des billets marqués, ils parviennent à localiser les banques qui participent au blanchiment d’argent et ils sont sur le point d’arrêter tous ces criminels qu’ils poursuivent depuis des années. Un évènement va toutefois mettre à mal leur plan : un étrange personnage qui se fait connaître sous le nom de Joker prend de l’importance à Gotham City. Christopher Nolan ouvre d’ailleurs son film sur le braquage de l’une des banques où l’argent de la mafia est stocké : le Joker vole tout l’argent sans être inquiété par la police, suivant un plan parfaitement maîtrisé. D’emblée, son caractère exceptionnel saute aux yeux : ce personnage n’est pas un mafieux ordinaire. Pourtant, Batman et la police commencent par l’ignorer, ils restent concentrés sur la mafia et ne réalisent pas que ce nouveau criminel incarne un bien plus grand danger…
The Dark Knight : Le Chevalier noir n’entre assurément pas dans la catégorie des blockbusters estivaux qui essaient de plaire au plus grand nombre avec de l’action spectaculaire, une bonne dose d’émotion et souvent une pointe d’humour. Le sixième long-métrage de Christopher Nolan est un blockbuster par son sujet et sa forme spectaculaire, mais c’est aussi un film très sombre et beaucoup trop sérieux pour plaire à tous. En fait, le scénario et les personnages mis en scène ici peuvent même être déplaisants et les rebondissements risquent bien de décourager tous ceux qui aiment les happy-endings. The Dark Knight : Le Chevalier noir s’enfonce progressivement dans la noirceur, après des débuts plutôt encourageants. Bruce Wayne considère au départ qu’il peut abandonner le masque et ainsi retrouver Rachel : la ville de Gotham City, portée sans doute par ses exploits, entend vraiment punir la mafia. Harvey Dent, le nouveau procureur, est le symbole de cet espoir : incorruptible et tenace, il est bien capable d’inquiéter la mafia dans son ensemble. Au climax de son action, il réussit même à faire passer plusieurs centaines de mafieux devant un juge et leur condamnation paraît assurée. Rien ne se passe pourtant comme prévu, car ni Batman, ni la police n’avaient prévu le Joker. Dans cette mécanique bien huilée, ce personnage maquillé fait l’effet d’un énorme grain de sable qui vient tout bouleverser, jusqu’aux personnages secondaires les plus importants. À partir de là, The Dark Knight : Le Chevalier noir s’éloigne rapidement du happy-end et Christopher Nolan applique implacablement le plan machiavélique de son personnage. Ajoutons à ce tableau déjà sombre un aspect tragique qui se renforce tout au long du film pour le personnage de Batman : ce film montre mieux que tous les autres le sacrifice que s’impose Bruce Wayne.
Dans beaucoup d’histoires qui opposent un personnage positif à un personnage négatif, c’est souvent le méchant qui s’avère plus intéressant que le gentil, souvent trop lisse. Ce constat n’a jamais été aussi vrai que dans The Dark Knight : Le Chevalier noir. Batman est un superhéros intéressant en ce qu’il est l’un des rares à se construire de lui-même et à ne pas être le résultat d’une expérience scientifique ou de venir d’une autre planète. Christopher Nolan a déjà exploité cet aspect du personnage dans Batman Begins et cette suite délaisse un peu le personnage, au profit du Joker qui s’avère effectivement bien plus intéressant. Le superhéros est ici un peu lisse, même si le scénario laisse un peu de place à ses états d’âme concernant Rachel ou son rôle de sauveur de Gotham City. L’entrée en scène de son ennemi l’éclipse toutefois et le Joker imaginé par The Dark Knight : Le Chevalier noir est incontestablement un personnage fascinant, bien plus riche et passionnant que le justicier masqué. Au départ, tout le monde se trompe sur le compte du Joker. Batman ne s’y intéresse pas, il préfère s’attaquer à la mafia tout entière plutôt qu’à cet individu qu’il juge isolé. La mafia elle-même moque ce curieux personnage qui est toujours maquillé et qui est considéré comme un clown. Le Joker va pourtant rapidement devenir le premier danger pour Gotham City : il s’en prend d’abord à la mafia, éliminant toute la hiérarchie et prenant le pouvoir sur la ville. Il s’attaque surtout aux citoyens de la ville par quelques actions spectaculaires : la destruction d’un hôpital, le meurtre de personnages clés ou encore des prises d’otages à grande échelle. Christopher Nolan montre bien que sa force, l’élément qui fait qu’il est aussi puissant et qui rend sa capture difficile, est sa liberté totale, son absence complète de logique. Comme le Joker l’avoue lui-même, il ne suit aucun plan, même si ses actions sont toujours très bien conçues. Il suit son instinct et surtout, il ne cherche rien d’autre que le plaisir de créer le chaos. Batman ne parvient pas à le comprendre et le maîtriser parce qu’il pense qu’il a des motifs simples, comme tous les autres criminels, alors que le Joker dans The Dark Knight : Le Chevalier noir agit seul et sans motif. À cet égard, il incarne la pire des peurs, bien pire que la peur terroriste particulièrement présente aux États-Unis depuis les attentats du 11 Septembre.
Cette idée en apparence très simple explique en grande partie le succès de The Dark Knight : Le Chevalier noir. Caractéristique commune à toute sa filmographie, ce film de Christopher Nolan repose sur un scénario complexe extrêmement bien conçu pour le rendre facilement compréhensible. Le point fort du long-métrage est sans conteste le personnage de Joker et le réalisateur doit beaucoup à son interprète. Heath Ledger signe ici le plus grand rôle de sa carrière, interrompue d’ailleurs beaucoup trop tôt pendant le tournage. Il compose l’un des personnages les plus inquiétants de ces dernières années, non pas tant parce qu’il fait peur physiquement — même si son maquillage est très bien fichu et pas beau à voir —, mais parce qu’il impressionne psychologiquement. L’acteur a parfaitement rendu sa folie et sa liberté totale, son absence totale de remords, son action parfaitement maîtrisée, surtout lorsqu’il s’agit de tuer… C’est bien simple, le méchant de The Dark Knight : Le Chevalier noir reste l’un des plus grands rôles jamais vus au cinéma. À côté, tous les autres acteurs font pâle figure, même s’ils font le travail. Christian Bale Christopher Nolan offre à son histoire et son méchant un cadre à leur hauteur : le film est techniquement irréprochable, le montage rythmé est une réussite. Le réalisateur aime les effets spéciaux à l’ancienne et on est frappé de constater que les effets numériques sont très réduits, ce qui surprend pour un film sorti en 2008. Avec des techniques ancestrales — explosions réelles comprises —, Christopher Nolan compose des plans souvent bien supérieurs à certains films pourtant techniquement bien plus sophistiqués…
Avec The Dark Knight : Le Chevalier noir, Christopher Nolan offre au personnage de Batman une noirceur jamais vue, mais qui lui convient parfaitement. Ce blockbuster ambitieux impressionne par sa maîtrise technique et par son scénario complexe, sans jamais être obscur. Le cinéaste affine son art du blockbuster deux ans avant Inception qui ira encore plus loin. Autant dire que la barre est haute pour le successeur de The Dark Knight : Le Chevalier noir…