Detroit, Kathryn Bigelow

Kathryn Bigelow ne s’éloigne jamais du réel, comme elle l’avait déjà prouvé récemment avec Démineurs et Zero Dark Thirty, deux fictions extrêmement proches du documentaire. C’est une tendance de fond si l’on en croit sa nouvelle réalisation : même si Detroit abandonne la lutte américaine contre le terrorisme après le 11 Septembre, ce film historique se veut à nouveau une reconstitution crédible d’un fait. Le fait en question est le meurtre par des policiers de trois noirs dans un hôtel de Detroit, en 1967. Le sujet est grave et important et Kathryn Bigelow a parfaitement raison de ne pas le laisser tomber dans l’oubli, surtout à une époque où les violences policières contre les afro-américains posent toujours autant de problèmes. Les intentions sont très claires et honorables, mais cette fois, la réalisation ne suit pas. Detroit souffre de quelques longueurs, mais son plus gros problème est de ne pas choisir entre histoire individuelle et toile de fond. Ajoutez à cela un scénario trop prévisible et vous obtenez un film ennuyeux, malgré son sujet passionnant. Dommage.

Histoire de situer le contexte général, Detroit commence avec quelques informations sur la situation des afro-américains dans la première moitié du XXe siècle. D’abord surtout installés dans les régions agricoles du sud, ils se déplacent en masse vers les villes du nord alors que le pays s’industrialise et que les emplois se retrouvent surtout dans les usines. À partir de la Deuxième guerre mondiale surtout, les blancs quittent les centre-villes et s’installent dans les banlieues, laissant uniquement les noirs dans les villes. Les ghettos urbains se forment ainsi partout aux États-Unis et ces quartiers souvent composés d’une population plus pauvre que la moyenne sont laissés à l’abandon par les autorités. La société américaine dans son ensemble entre en crise en même temps que la guerre du Vietnam s’éternise et devient de plus en plus critiquée. Kathryn Bigelow a besoin de poser tout ce contexte et même un petit peu plus encore, puisque son film s’intéresse à un événement spécifique des émeutes de Détroit de 1967. Pendant cinq jours, la ville est quasiment dans un état de guerre civile, avec des pillages et des incendies criminels tous les jours, et surtout des snipers qui tirent sur les forces de l’ordre depuis les immeubles. Bientôt, un couvre-feu est déclaré et l’armée intervient et c’est au cœur de cette ambiance survoltée que les forces de l’ordre interviennent au motel Algiers où plusieurs policiers de la ville torturent, battent et même tuent les occupants. Cette attaque est le vrai sujet de Detroit, mais il faut attendre près d’une heure avant d’en arriver au motel. C’est long et même si on comprend pourquoi la réalisatrice voulait poser soigneusement le cadre historique et ses personnages avant de passer au sujet principal, cette introduction est inutilement longue et détaillée. Le long-métrage commence comme une reconstitution des émeutes dans l’ensemble, on voit même l’intervention inutile des politiciens, tandis que les affrontements entre la police et les habitants sont de plus en plus intenses. Dans le même temps, on suit plus précisément quelques personnages que l’on devine importants pour la suite et sans surprise, ils sont au cœur de l’intrigue. C’est l’autre déception, Detroit est bien trop prévisible pour convaincre et on devine à l’avance tout ce qui va se dérouler, jusqu’au procès final qui ne sert à rien. Cette narration très classique, on pourrait même la qualifier de scolaire, n’aide pas à intéresser le spectateur davantage. Résultat, on finit par s’ennuyer gentiment, même s’il faut saluer la mise en scène très prenante dans le motel. C’est une ambiance très lourde et très réussie à ce titre, mais elle ne suffit pas à compenser le sentiment général que, histoire vraie ou pas, le récit manque cruellement d’originalité.

La cinéaste ne parvient pas vraiment à rendre ses personnages passionnants, et Detroit reste trop superficiel pour comprendre les émeutes dans leur ensemble. Cet entre-deux nuit in fine au projet : ce n’est pas vraiment un documentaire et c’est un drame bien trop conventionnel pour intéresser, et bien trop long pour ne pas lasser. Le sujet méritait d’être évoqué, mais le traitement choisi par Kathryn Bigelow n’était sans doute pas le bon.