Août 1944, l’Allemagne nazie est en passe de perdre la Seconde Guerre mondiale. Hitler a déjà perdu la tête et il veut entraîner l’Europe entière dans sa perte. Paris est tout particulièrement visé par le Führer qui veut venger la destruction de Berlin qu’il imaginait, quatre ans auparavant, comme une version améliorée de la capitale française. Tout doit disparaître, les monuments qui se comptent par dizaine, le Paris de Haussmann si bien préservé et aussi ses habitants. La nuit juste avant la destruction, un diplomate suédois parvient à convaincre le général allemand qui planifie la destruction d’épargner la ville et ses habitants. L’idée est si brillante qu’elle n’ait aucune réalité historique n’a guère d’importance. Adaptée d’une pièce de théâtre qui a connu beaucoup de succès, Diplomatie est un quasi-huis clos où deux hommes s’affrontent dans un bureau. Le dispositif paraît bien léger et on craint le théâtre mal filmé, mais Volker Schlöndorff s’en sort très bien grâce, il faut reconnaître, aux deux stars au meilleur de leur forme qu’il filme. Sans être un grand film, Diplomatie est un formidable exposé rhétorique, extrêmement puissant et jouissif, à ne pas rater.
On a beaucoup vu au cinéma la résistance au grand jour, ces hommes et femmes qui n’ont pas accepté la défaite et ont décidé de combattre l’occupant au péril de leur vie. On connaît moins la résistance beaucoup plus subtile qui s’est opérée au niveau diplomatique, et pour cause : la majorité de ces échanges restera sans doute dans l’oubli pour toujours. Fort de ce constat, le scénario de Diplomatie imagine une discussion fictive, mais probable, entre le général Dietrich von Choltitz qui dirige alors Paris en tant que Gouverneur et Raoul Nordling, consul de Suède. Le premier est un militaire récompensé pour sa bravoure aux combats pendant la Guerre et il a une mission stricte envoyée directement par Hitler : n’abandonner Paris qu’à l’état de ruines. Alors que les Alliés atteignent les portes de la capitale, il a miné toute la capitale pour détruire les ponts et inonder Paris, mais aussi détruire les principaux monuments, de la Tour Eiffel à l’Opéra, en passant par le Louvre et Notre-Dame. Le second est envoyé par le général Leclerc qui avance avec ses hommes pour négocier une libération. En arrivant, il découvre les ordres du général et ses intentions quant à l’anéantissement de la ville et il fait tout pour le convaincre de ne pas respecter ses ordres et de ne pas détruire Paris. Un long face à face commence entre, d’un côté, le militaire qui entend suivre aveuglément les ordres et, de l’autre, le diplomate qui essaie de le convaincre par tous les arguments imaginables. La bataille n’est pas gagnée d’avance, d’autant que le général Choltitz ne manque pas d’arguments et Diplomatie sait entretenir son suspense jusqu’à la dernière minute.
La réussite du dernier long-métrage de Volker Schlöndorff tient bien dans ce paradoxe. Quand bien même l’issue de Diplomatie ne fait aucun doute — tout le monde sait que le Paris imaginé par Haussmann est toujours, grosso modo, d’actualité —, quand bien même le spectateur sait que cette longue discussion n’est qu’une fiction, on se prend au jeu et on tremble avec Raoul Nordling face à la détermination du soldat prêt à appuyer sur la gâchette et tout détruire. Cette réussite, le long-métrage le doit sans doute d’abord au texte, particulièrement bien écrit. Difficile de juger de la pièce originale de Cyril Gély sans l’avoir lue, mais le dramaturge ayant participé à l’élaboration du nouveau scénario, on imagine qu’il y est pour quelque chose. L’art de la rhétorique n’est pas facile, mais c’est encore plus difficile de le rendre convaincant et surtout captivant dans un long-métrage. Mission réussie pour Diplomatie qui trouve dès le départ le ton juste et captive ses spectateurs jusqu’à la dernière minute. Le film est bref (moins d’une heure trente), ce qui est plutôt une bonne chose et Volker Schlöndorff a su respecter l’idée du huis clos dans l’ensemble, même s’il s’autorise quelques sorties dans la capitale. Le résultat est loin du simple théâtre filmé que l’on pouvait craindre : la mise en scène et le montage parviennent à maintenir l’attention et surtout la tension d’un bout à l’autre. On s’en doute, cette réussite est aussi liée aux deux acteurs principaux. Pour incarner le général Choltitz, Niels Arestrup est magistral dans ce rôle de vieux militaire fatigué, mais toujours dangereux. Il évoque un vieux fauve encore prêt à bondir, mais usé malgré tout par les années et surtout qui a perdu toutes ses illusions. L’acteur est parfait, comme toujours, et il a trouvé en André Dussollier une réponse à sa hauteur. Dans son rôle de diplomate rusé, l’acteur fait lui aussi des merveilles, tantôt tout en douceur, tantôt avec une force inattendue. Dans son regard passent des émotions d’une intensité rare, mais surtout très variables : la malice succède à la peur en un clin d’œil. On voit que ces deux acteurs ont pris du plaisir à jouer, et cela se sent.
Diplomatie n’a pas vocation à être un chef d’œuvre et le dernier long-métrage de Volker Schlöndorff ne fait pas preuve de cette ambition démesurée. Modestement, il imagine une confrontation historique qui n’a jamais eu lieu, mais qui est parfaitement crédible et c’est encore le plus important. Porté par deux acteurs exceptionnels, tout simplement, Diplomatie se regarde avec grand plaisir et avec une tension que l’on n’attendait pas. Une belle manière d’aborder l’Histoire, d’autant plus belle pour un épisode historique aussi mal connu.