Attention, événement ! Pour la première fois depuis bien longtemps, je suis allé voir au cinéma un film critiqué négativement par mes trois critiques préférées, les Inrockuptibles, Télérama et Critikat. Aucun n’a aimé, même si à des degrés différents, les Inrocks allant jusqu’à recommander à la place Nico le petit renne ce qui, quand même, montre à quel point ils n’ont pas aimé. Pourtant, ces trois font figure d’exceptions dans la critique, globalement unanime pour saluer Il Divo, dernier film de Paolo Sorrentino récompensé à Cannes du Prix du Jury. Pour ma part, ce sont les critiques du Masque et la Plume qui m’ont encouragé à y aller, et vraiment, je ne regrette pas.
Il Divo dénonce les agissements de Giulio Andreotti, homme politique italien en activité depuis 1946, sept fois président du conseil, vingt-sept fois premier ministre et sénateur à vie depuis 1991. Il a été accusé à de nombreuses reprises d’avoir des liens avec la mafia et pour divers assassinats, mais, faute de preuves, il a toujours été relaxé. Pour le réalisateur, point de doute sur la question, il est coupable et il entend le dénoncer par ce film.
Les critiques négatives pointent du doigt essentiellement deux aspects du film : son manque d’arrière-plan politique d’une part, son parti-pris esthétique d’autre part. Ces deux aspects sont vrais, mais loin de me gêner, ils ont rendu le film encore plus passionnant à mes yeux. Au début du film, quelques messages sont censés vous mettre dans le contexte politique de l’Italie d’après guerre. Honnêtement, le défilement est mal fichu et au mieux on a le temps de lire en diagonal ce qui y est écrit. Ce sentiment se retrouve pendant le film : on ne comprend pas tout, à moins d’avoir une connaissance parfaite de l’Italie des années 1960 à nos jours, mais quand je dis parfaite, c’est vraiment parfaite. La plupart des images ne sont pas datées, mais on devine vaguement l’époque à la présence d’un ordinateur ou de certaines voitures ou appareils photos. Si vous voulez sortir d’Il Divo en connaissant parfaitement la politique intérieure italienne de ces 40 dernières années, n’essayez même pas.
Mais, à mon sens, cette critique ne tient pas. Paolo Sorrentino, certes, dénonce et pointe du doigt les implications de l’homme dans les affaires mafieuses du pays. Mais ce film est d’abord le portrait d’un homme, avant d’être le portrait d’Andreotti. On retrouve des Andreotti partout, y compris en France, même si personne n’a, sans doute, atteint un tel niveau dans le crime politique. Il n’empêche, le film montre un homme seul, très seul, fatigué mais droit comme un i et toujours impassible (mention spéciale, à ce propos, à Toni Servillo qui est très convaincant dans ce rôle pas si facile qu’il en a l’air). Un homme que rien ne semble affecter et qui ment comme il respire, surtout quand il dit qu’il ne mentirait pour rien au monde. Un homme qui ne craque qu’une fois… dans une scène fictive. Il paraît que le vrai Andreotti, après avoir vu le film, s’est énervé brièvement, avant de retrouver son calme ordinaire.
Ce calme, c’est ce qui se le sauve d’ailleurs depuis si longtemps, mais aussi une très grande discretion. Andreotti, c’est l’homme politique mafieux meilleur que les autres car il sait se faire discret et surtout parce qu’il a un sens de l’humour très développé. Ainsi, il préfère parler aux prêtres qu’à Dieu parce que ce dernier ne vote pas. Il n’arrête pas, par ailleurs, de lancer des petits mots sur ce qui explique la longévité : on trouve dans la liste, notamment, l’absence d’idéal, de principes ou de morale. Évidemment, on est ici en présence d’un vrai machiavélien, mais plus le temps passe, plus je pense que les seuls qui réussissent en politique sont ceux qui ont lu, assimilé et intégré au plus profond de leur être les leçons de Machiavel (et d’autres, of course). Bon et à titre personnel, j’aime bien les « méchants » de ce type, surtout quand ils ont l’humour qui va bien. On peut le sentir dans ce qui précède, le film incite presque à une certaine sympathie pour le personnage, ce qui est assez naturel tant il fascine. Mais les images de ses méfaits sont là pour rappeler qu’il s’agit d’abord d’une crapule même si, encore une fois, la justice n’a jamais rien pu prouver ce qui montre surtout son talent de politique, avant de démontrer son innocence.
Reste la forme maintenant. Critiquée unanimement par les trois critiques cités au début de cette critique, elle m’a paru au contraire intéressante et je dirais même… jouissive. Il est vrai qu’elle ne fait pas dans la finesse : la musique accompagne lourdement des effets cinématographiques gros comme des maisons. Néanmoins, j’ai pris du plaisir à regarder un film bien rythmé et plaisant, je ne peux pas dire autre chose. Par ailleurs, le scénario mélange les époques, on a des bouts de scène qui s’entrecroisent, tout en restant toujours compréhensible, et je suis toujours fan de ce genre d’effets quand ils sont bien faits. Bref, ce film me semble aussi intéressant sur la forme que sur le fond, ce qui est assez rare pour le souligner. À propos de musique, elle est marquée ici par l’éclectisme puisque l’on passe du classique au rock d’un clin d’œil. Rarement légère, elle prend une place importante ce qui n’est pas, non plus pour me déplaire.
Décidément, le cinéma italien fut très en forme en 2008 ! Entre ce passionnant Il Divo et le plus âpre, mais tout aussi bon, Gomorra, tous deux récompensés à Cannes d’ailleurs, il y avait vraiment de quoi faire. Il est intéressant de constater que les deux traitent de la mafia, exercice pourtant dangereux et qui ne manque pas, en soi, de courage.