Dopesick, Danny Strong (Hulu)

Prenez l’oxycodone, un antalgique dérivé des opioïdes inventé en Allemagne pendant la Première guerre mondiale et qui est connu pour être très efficace contre les douleurs fortes, mais aussi très addictif. Ajoutez des génies du marketing et une bonne dose de malveillance et vous obtenez l’OxyContin, un médicament mis sur le marché américain par Purdue Pharma au milieu des années 1990 et présenté comme la solution magique à toutes les douleurs. De la rage de dents au dos brisé, il devait éliminer la douleur pour de bon et n’introduire aucune addiction, une affirmation évidemment bidon qui a lancé une immense crise d’addiction aux États-Unis. C’est le sujet de Dopesick, une mini-série portée par Hulu qui retrace les méfaits du médicament en même temps que la lutte acharnée de quelques-uns pour y mettre un terme. Assez banal sur la forme, mais passionnant sur le fond.

Dopesick tente une approche globale de la question, en s’intéressant autant aux victimes de l’OxyContin, qu’à ses créateurs et ceux qui ont tout fait pour lutter contre le médicament. Pour y parvenir, le créateur Danny Strong entremêle les époques et notamment deux moments : au milieu des années 1990, quand Purdue Pharma sort son nouveau produit et le vend agressivement auprès des médecins des régions rurales et notamment minières, puis au milieu des années 2000, quand un procureur lance une vaste enquête sur l’entreprise et ses pratiques. Entre les deux, des dizaines de milliers de vies ont été détruites, soit directement à cause d’overdose et d’addiction, soit indirectement à la suite d’une vague de criminalité liée à l’OxyContin. La série doit aller vite, elle n’a que huit épisodes pour raconter toute cette histoire et les scénaristes essaient de le faire en accordant autant de place que possible aux victimes. C’est pourquoi, Dopesick adopte dès le départ un traitement qui entremêle les époques et passe constamment d’une année à l’autre. Chaque changement est explicité à l’écran par un message qui est indispensable pour s’y retrouver. Il n’en reste pas moins que la série brasse beaucoup de personnages différents, avec cinq grands arcs narratifs. Du côté des victimes, on se concentre surtout sur le docteur Finnix et Betsy, sa première patiente à qui il prescrit de l’OxyContin et qui tombe dans l’addiction. On suit aussi ce qui se passe au cœur de Purdue Pharma, avec une dénonciation sans concession de la famille Sackler et tout particulièrement de Richard Sackler, qui serait le principal instigateur du médicament et surtout du message marketing trouble associé. Billy, l’un des vendeurs de Purdue Pharma qui finit par douter, est aussi suivi pendant toute la saison. Du côté de la défense, on suit les pas de Bridget, une agente de la DEA qui fait tout ce qu’elle peut en vain pour limiter l’OxyContin et surtout de Rick et Randy, qui travaillent sur une immense enquête contre les dirigeants de Purdue Pharma. Cela fait beaucoup en huit épisodes et cette richesse est autant une force qu’une faiblesse.

Une force, car Dopesick offre ainsi un regard global sur le problème et surtout, met bien en avant les victimes et l’effet terrifiant de cet opioïde. La série a le bon sens de présenter l’addiction comme une maladie bien réelle et non pas un manque de volonté comme on l’entendait trop souvent à cette époque… et encore à la nôtre d’ailleurs. Elle montre comment le médicament transforme le cerveau et rend les patients incapables de vivre sans lui. Les chutes en enfer de Betsy puis de Samuel sont des témoignages précieux de ce qui est arrivé à des centaines de milliers d’Américains à cause de l’OxyContin et il ne fallait pas passer à côté. Mais il fallait aussi expliquer comment une telle situation avait pu arriver et là aussi, Danny Strong a fait un bon travail pour démonter les mensonges de Purdue Pharma. On découvre comment ils ont fait passer une simple lettre publiée dans un journal scientifique pour une recherche scientifique. Comment aussi ils ont exploité des astuces grossières pour modifier des graphiques et changer leur sens. Ou encore comment la FDA, qui est censée surveiller tous les médicaments mis sur le marché, a pu passer à côté et même devenir complice de ce géant pharmaceutique prêt à tout. Dopesick n’oublie pas tous les enjeux politiques, le rôle de la famille Sackler, immensément riche et généreuse en donations auprès de musées du monde entier et sans aucun doute aussi auprès d’hommes politiques. Voir la DEA n’avoir aucun pouvoir et même la justice laisser à chaque fois une opportunité aux principaux responsables de s’en tirer sans trop de dommages est démoralisant au possible, surtout quand on sait que les derniers jugements, après le tournage de la série, sont excellents pour les Sackler. Tout ceci était nécessaire, mais en même temps, un petit peu lourd pour le bien de Dopesick. À vouloir brasser autant d’éléments différents, il y a forcément des ratés ou en tout cas des éléments moins intéressants. La création de Hulu aurait sans doute bénéficié d’une durée un petit peu plus longue, pour laisser plus de place à certaines branches. Et peut-être aussi davantage creusé la fin, qui semble un petit peu précipitée, alors qu’il y avait de quoi dire.

Malgré ces quelques critiques, il est difficile de ne pas recommander sans discuter la série de Danny Strong. Sa forme très classique est appropriée pour raconter une histoire aussi passionnante, d’autant que l’OxyContin est resté en vente bien après le procès de 2005. Voir cette entreprise se déjouer de toutes les autorités en charge de réguler le secteur et créer la plus grande crise d’addiction du pays est assez incroyable et si cela n’avait pas été une histoire vraie, on aurait trouvé l’ensemble bien exagéré. Dopesick bénéficie d’un casting à la hauteur des ambitions, avec une mention spéciale à Michael Keaton et Kaitlyn Dever qui sont vraiment excellents dans le rôle des victimes. Quand le principal défaut que l’on peut avancer pour une création est qu’elle est trop courte, c’est bien qu’elle mérite le détour…