Downton Abbey, Julian Fellowes (ITV1)

Downton Abbey commence avec le naufrage du Titanic, le 12 avril 1912, pour se terminer au jour de l’an 1926. Cette série britannique raconte l’histoire mouvementée des Crawley, une vieille famille noble qui possède un château dans le Yorkshire, au sud de l’Angleterre. Quatorze ans d’Histoire avec la société qui ressort bouleversée par la guerre et par les changements politiques qui ont suivi, quatorze ans d’histoire avec les histoires d’amour des trois filles Crawley et les intrigues de l’étage du bas, celui des domestiques. Julian Fellowes a construit sa série sur des bases solides, très littéraires et déjà vues ailleurs, certes, mais Downton Abbey emporte l’enthousiasme des spectateurs dès le premier épisode. La reconstitution historique est bluffante, mais ce qui explique avant tout le succès de la série portée par ITV1, c’est bien la qualité de son scénario. On trouvera bien des défauts ici ou là, reste que les six saisons se regardent avec grand plaisir du début à la fin et que l’on se passionne instantanément pour les Crawley et leurs domestiques. Une grande série historique, à ne pas rater.

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Au-delà de l’anecdote qui permet à Julian Fellowes d’ancrer immédiatement sa série dans la réalité historique, le naufrage du Titanic sert de premier levier à l’intrigue. À bord du navire qui a sombré, l’héritier du comte de Grantham et sa mort entraîne la famille dans une quête pour un remplaçant. La famille était encore sous le régime d’une loi anglaise qui interdit tout héritage pour les filles, d’une part, et qui oblige à maintenir l’héritage complet. Un seul homme doit hériter du titre, du château et de son domaine, mais aussi de la fortune familiale qui, en 1912, est encore immense. Robert Crawley, le comte, n’ayant eu que trois filles avec Cora Crowley, la comtesse, il n’a pas d’héritier direct et son avocat déniche le nouvel héritier en la personne de Matthew, un cousin éloigné qui travaille comme avocat et qui ignorait tout de cette famille noble et guindée. Son arrivée à Downton Abbey est l’un des principaux moteurs de la première saison, avec des décalages permanents entre sa vie classique d’avocat qui gagne sa vie au quotidien et sa nouvelle vie d’héritier fortuné dont le seul travail est d’offrir à son futur héritier un domaine en aussi bon état. Julian Fellowes ne s’attarde pas vraiment sur ces années d’avant-guerre et Downton Abbey avance rapidement, parfois de plusieurs années entre chaque épisode de la première saison. Le cœur de la série en effet, ce n’est pas vraiment cette époque d’insouciance, mais bien plus la période de la guerre, quand le château doit se transformer en maison de convalescence et surtout quand cette famille noble qui ne vivait que par et pour des traditions vieilles de plusieurs siècles doit évoluer ou disparaître.

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Le changement traverse Downton Abbey, qu’il soit social, culturel ou politique. Il est toujours présent et c’est un moteur de l’action, souvent le plus important, même si les scénaristes ont parfois recours à un bouleversement plus classique, à commencer par la mort d’un personnage. La Première Guerre mondiale amène son lot de mauvaises nouvelles et de changements, notamment parce que tout le monde doit aider, même le comte, même la comtesse et même leurs filles. Mais au-delà de l’événement, c’est bien la société toute entière qui évolue vers plus de modernité et c’est l’un des plus gros points forts de l’œuvre de Julian Fellowes : les changements, le plus souvent très subtils, sont parfaitement sensibles à travers les époques. Les habitudes changent et un habit qui choque à une date donnée — Lady Sybil qui se fait faire un pantalon — devient presque banal à la fin de la série. Des constantes restent et notamment l’importance cruciale du qu’en dira-t-on, la réputation de la famille étant certainement la chose la plus précieuse pour ses membres, mais aussi pour ses domestiques. En effet, Downton Abbey consacre autant de temps aux « gens d’en bas », aux cuisiniers, aux valets, aux femmes de chambre, bref à tous les domestiques qui font vivre le Château, bien plus au fond que leurs propriétaires. Quand on découvre le sous-sol du château, ils sont extrêmement nombreux, avec des valets et des sous-valets, un majordome et des sous-majodormes, etc. Ils sont très nombreux, beaucoup plus que les nobles qu’ils servent, mais ce faste est bien entendu sur la fin et l’équipe se réduit progressivement au fil des années.

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Plus significatif que le nombre de serviteurs, le plus gros changement concerne naturellement les personnages et leur mentalité. Downton Abbey montre extrêmement bien comment des jeunes filles vouées uniquement à se marier, puis organiser des réceptions et faire des enfants se découvrent des vocations. L’une va gérer le domaine, l’autre s’occuper d’un journal, loin des occupations quotidiennes qui leur sont normalement réservées. Julian Fellowes montre de fait une société en déclin, mais il ne montre pas une société qui résiste. Il introduit des figures de résistance, avec la comtesse douairière, la mère du comte, tout simplement sublime en représentante de la vieille aristocratie qui refuse le changement. Maggie Smith semble née pour ce rôle, mais c’est aussi le cas de Jim Carter, qui incarne Carson, le majordome de Downton Abbey, le poste le plus important parmi les domestiques. Il est là depuis qu’il est tout jeune, il a vécu avec la famille et il appartient à la famille et c’est probablement lui qui refuse le plus le changement. Ce n’est pas une idée révolutionnaire, certes, mais Downton Abbey excelle à montrer que les domestiques sont souvent pires que leur maître en matière de conservatisme. C’est en tout cas une image très équilibrée qui nous est présentée, sans bourreau, ni victime, mais bien plus une entreprise familiale où tous les membres se connaissent si bien qu’ils finissent par former une grande famille. La générosité des Crawley envers ses domestiques est souvent immense, tout comme la dévotion des serviteurs peut l’être pour leurs maîtres. Les scénaristes font entrer régulièrement la grande Histoire, avec des références multiples à la Révolution Russe en particulier, mais ils montrent surtout que tout le monde est dans le même bateau face aux changements de l’époque.

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Cette fresque historique est d’abord une fresque familiale et les histoires amoureuses sont au cœur de Downton Abbey. Les trois filles Crawley alimentent en majorité ce rayon, surtout pour l’aînée, Mary, qui doit trouver un époux convenable pour son rang. Les prétendants se succèdent, quelques mariages aussi, beaucoup de déceptions naturellement et des chocs, quand la petite dernière veut épouser le chauffeur de la famille. L’ensemble est très bien mené et il faut encore saluer le travail d’écriture vraiment formidable : Julian Fellowes avait une idée en tête quand il a commencé, et cela se sent. La série avance toujours logiquement, comme un roman bien écrit, et c’est un plaisir de la suivre. On pourrait reprocher ici, quelques accumulations de malheurs un petit peu louches, ou bien là, une romance facile qui tend un petit peu trop vers l’eau de rose. La bande-originale est en général excellente — surtout celle du générique qui se fond avec le début de l’épisode, une idée brillante —, sauf quand elle insiste un petit peu trop lourdement sur l’émotion facile à base de nappes de violons. On pardonnera tous ces petits défauts sans peine, tant Downton Abbey emporte dès le départ et jusqu’à la toute fin. Ce monde a totalement disparu, mais il reste une source de fascination et avec ces personnages si bien écrits qu’ils soient attachants ou agaçants, c’est un vrai bonheur à suivre. Sans compter que tous les acteurs sont justes pour ces rôles complexes, tout en variations et subtilités.

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Et si le plus gros défaut de Downton Abbey, c’était sa brièveté ? La série s’est terminée après six saisons, mais de neuf épisodes seulement, et on aurait aimé en voir encore un petit peu plus. C’est dire si on prend du plaisir à suivre les aventures de la famille Crawley et de leurs domestiques. Julian Fellowes n’aura peut-être pas la palme de l’originalité, mais son œuvre historique est un modèle d’écriture, en particulier d’écriture des personnages. Ne passez pas à côté de Downton Abbey, c’est une grande série !