Dumbo, Tim Burton

Ressortir ses vieux classiques d’animation pour les reproduire en images réelles, c’est la tâche que s’est donnée Disney depuis plusieurs années. La firme avait commencé timidement il y a près de dix ans, et c’était déjà Tim Burton qui s’y était collé avec à la clé un remake plus que médiocre d’Alice aux Pays des Merveilles. Certains longs-métrages d’animation se prêtent mieux à une adaptation en images réelles, mais instinctivement, ce n’est certainement pas le cas de Dumbo. Ce tout petit film d’à peine une heure raconte une histoire toute mignonne, mais surtout qui se résume à trois fois rien et qui ne semblait pas avoir le potentiel nécessaire pour un blockbuster de près de deux heures. Cette pauvreté a obligé Tim Burton à s’éloigner du matériau original et de ne pas se contenter de reproduire le film d’animation avec de vrais acteurs et des animaux de synthèse. Résultat, même si le Dumbo de 2019 est loin d’être un chef d’œuvre, il réussit à divertir et toucher, comme son illustre ancêtre des années 1940.

Le classique de Ben Sharpsteen pouvait se résumer en deux lignes. Dans un cirque, un éléphant naît avec de trop grandes oreilles qui l’empêchent de marcher normalement. Il devient la risée de tous, mais sa rencontre avec une souris change sa vie et il apprend à voler avec ses oreilles, la fin. Autant dire que pour en tirer en long-métrage d’une bonne longueur, il a fallu être inventif et le Dumbo de Tim Burton se contente de reprendre l’idée de base pour faire autre chose. L’action se passe également dans un cirque perdu au milieu des États-Unis et elle est située plus explicitement après la Première Guerre mondiale. Le patron du cirque Médicis a acheté une éléphant enceinte et il compte sur la naissance d’un éléphanteau pour relancer les affaires, bien moroses. Sauf que le petit naît avec cette difformité et il n’est bon à rien dans les numéros traditionnels. Tout le monde se moque de l’animal, sauf les deux jeunes enfants de Holt, rescapé de la guerre qui était la star du cirque avant la guerre. Ensemble, ils vont découvrir que Dumbo peut voler et en faire la star du cirque, mais aussi la convoitise de V.A. Vandemere, célèbre propriétaire de cirque qui a créé un parc d’attraction et qui veut récupérer Dumbo pour en faire sa propre star. Comme on le constate vite, les scénaristes ont travaillé pour remplir ce nouveau remake avec une véritable histoire. C’est heureux, parce que se contenter de reprendre le Dumbo original, avec une souris numérique qui parle, aurait été particulièrement mauvais. Tim Burton a gardé les idées de l’œuvre originale sous la forme de clins d’œil, il y a une cigogne qui passe sur le train, les souris sont là, mais muettes, et même la célèbre séquence des éléphants roses a trouvé une place, dans une scène onirique assez belle, il faut le reconnaître. Mais au-delà de ces clins d’œil, c’est une histoire nouvelle qui est créée.

Dans le nouveau Dumbo, les animaux ne parlent pas et ils se comportent strictement comme des animaux sauvages… ou presque. Le singe est si malin qu’il arrive à enfermer le patron du cirque à l’extérieur de son bureau. Et puis l’éléphant est extrêmement intelligent, il semble comprendre ce qu’on lui dit et il se bat pour retrouver sa mère ou pour sauver les enfants. Tim Burton ne rejette pas le fantastique de l’original, son éléphanteau vole aussi après tout, ce qui est évidemment impossible, mais il ajoute une bonne dose de réalisme au film d’animation. Puisque tout est filmé en images réelles, c’est évidemment la meilleure solution, mais d’autres adaptations de dessins animés ont déjà souffert d’un excès de noirceur. En cherchant absolument à faire l’inverse de l’œuvre originale, il est facile de retomber dans une autre caricature qui n’est pas meilleure. Fort heureusement, ce n’est pas vraiment le cas ici et Tim Burton trouve l’équilibre entre la noirceur du réel et la magie du fantastique. Toute l’intrigue autour des humains n’est pas très originale, que ce soit l’arc de Holt qui doit retrouver sa place dans le cirque et dans sa famille, ou celui de Max Medici qui se fait piéger par son rival par appât du gain. Néanmoins, Dumbo divertit pendant toute sa durée et parvient même à ménager quelques pauses touchantes, comme le film d’animation de 1941. Les effets numériques ne sont pas tous réussis, mais les deux éléphants sont bien rendus et le travail sur leur regard en particulier est touchant. On est dans un Disney dans la plus grande tradition, les méchants sont donc punis et les gentils s’en sortent victorieux, mais cela n’empêche pas le cinéaste de glisser quelques sujets que l’on sent plus personnels au passage. Le mauvais traitement réservé aux animaux de cirques en particulier est très bien traité et on ne se serait pas attendu à un tel engagement dans ce genre de projet. Et puis, comment ne pas savourer l’ironie de cet immense parc d’attractions totalement détruit par les héros ?

Transformer Dumbo en un blockbuster de près de deux heures, voilà qui ressemblait à la recette parfaite pour un désastre, mais Tim Burton prouve que ce n’était pas nécessairement le cas. Sa relecture du classique Disney s’éloigne suffisamment de la trame simpliste originale pour rester intéressante d’un bout à l’autre, et il intègre une dose de réalisme sans perdre de vue le côté attachant et touchant de l’original. On aurait pu apprécier une intrigue moins téléphonée par certains aspects, la bande-originale de Danny Elfman aurait gagné à être moins lourde par endroits, mais dans l’ensemble, Dumbo reste un spectacle agréable. On n’en attendait pas autant…