Certains films sont des échecs commerciaux cuisants à leur époque, certains ont même complètement ruiné un studio ou cassé la carrière d’un réalisateur, et ils sont devenus cultes et reconnus par la suite pour leur qualité. Dune a été un immense échec à sa sortie et il est peut-être devenu culte dans certains cercles, mais plus de 35 ans après sa sortie, il a aussi très mal vieilli et s’avère encore plus difficile à apprécier aujourd’hui. Quelle drôle d’idée à la base de confier l’adaptation du roman de Frank Herbert à David Lynch ? Le cinéaste était en vogue au début des années 1980 grâce au succès d’Elephant Man et on lui propose plusieurs projets assez éloignés de son domaine. Il a refusé la proposition de George Lucas pour réaliser Le Retour du Jedi, mais pas celle d’adapter pour le cinéma Dune, le premier roman de l’une des plus célèbres sagas de science-fiction. Comme le réalisateur l’a reconnu lui-même par la suite, il n’aurait pas dû accepter cette offre et sa vision souvent très bizarre mêlée aux coupes et modifications imposées par le studio contre sa volonté créent un résultat étrange, qui oscille entre gêne et ennui.
L’histoire de Dune se déroule dans un futur très lointain, plus de dix mille ans selon un calendrier imaginé par le romancier, plus de vingt-mille ans après JC selon notre propre calendrier. On sent que le romancier a voulu s’éloigner au maximum de notre société pour éviter le phénomène de bon nombre d’œuvres de science-fiction, trop vite rattrapées et désavouées par la réalité, à l’image de Blade Runner sorti à la même époque, dont l’intrigue se déroule en 2019. Au lieu d’offrir une vision du futur pleine d’ordinateurs et de machines spectaculaires, cette distanciation permet au contraire à Frank Herbert de partir sur d’autres idées, en imaginant d’ailleurs un bannissement complet des intelligences artificielles et des ordinateurs. Chez David Lynch, cette opportunité est l’occasion d’imaginer un univers baroque, absolument pas futuriste. Il y a bien des vaisseaux spatiaux pour relier les planètes et quelques armes qui se rapprochent des fusils laser de Star Wars, mais il y a bien plus d’emprunts à notre passé. L’empereur qui dirige l’univers ressemble à un roi de la Renaissance. La Maison Atréides vit dans un manoir quasiment médiéval, tandis que les Harkonnens sont dans une ambiance industrielle dans la même veine du Brazil de Terry Gilliam, sorti l’année suivante. C’est tantôt rétro-industriel, tantôt une monarchie grotesque avec une abondance d’or ridicule. Cette lecture de Dune a énormément de défauts, mais on peut au minimum lui reconnaître une vision très originale et certainement la patte du réalisateur. David Lynch a bénéficié d’un budget conséquent, ce qui lui permet de créer des décors immenses et de multiplier les idées les plus folles pour insérer son grain de folie dans ce qui est par ailleurs un blockbuster. Dommage toutefois que ce long-métrage sorti en 1984 soit aussi moche et visuellement en retrait sur tant de séquences. Ces boucliers numériques sont hideux et grossiers, si bien qu’ils contrastent avec le foisonnement de détails dans les décors et accessoires. Mais alors que la première trilogie Star Wars vient de se terminer, alors que Ridley Scott a repoussé les limites de ce que l’on pouvait faire en matière de science-fiction, comment peut-on encore créer des maquettes aussi simplistes et se contenter de fonds statiques pour l’espace ? Dune peut être aussi spectaculaire par endroits qu’il peut ressembler à une réalisation sans budget des années 1960 à d’autres et dans l’ensemble, il a visuellement très mal vieilli.
On pardonnerait aisément ces écarts visuels, si tout le reste était réussi, mais c’est hélas loin d’être le cas. En fait, cette vision baroque du futur sortie de l’imagination fertile de David Lynch est peut-être ce qui est le plus convaincant sur Dune, ce qui en dit long pour tout le reste. Il y a de nombreux défauts à noter, certains sont effectivement liés aux décisions du studio à l’insu de son créateur, mais beaucoup auraient pu être évités par le cinéaste. Le studio est responsable pour le montage final, deux fois plus court que la première version créée par le réalisateur. De quatre heures, on est donc passé à un film d’un peu plus de deux heures, parfaitement calibré pour les salles obscures. Sauf que la présentation de l’univers à elle seule demande une bonne demi-heure, et que l’intrigue imaginée par Frank Herbert est d’une complexité folle. Pour tout caser, il faut couper large, si bien que des pans entiers du roman ont sauté. En particulier, toute la phase d’apprentissage du héros, essentielle sur le papier, est réduite ici à une série d’ellipses sans intérêt. Paul Atréide devient un dieu en un claquement de doigts, sans que l’on ne comprenne vraiment pourquoi. Pour compenser et ne pas perdre totalement les spectateurs, Dune abuse constamment des voix off et c’est une grossière erreur, surtout quand la majorité se contente de souligner l’évidence, que le spectateur avait déjà compris. À l’inverse, il manque des explications sur de nombreux aspects et seul les lecteurs peuvent vraiment apprécier les subtilités de ce qui est présenté. Cette transformation caricaturale de Dune en un film d’action hollywoodien sans intérêt et même ennuyeux — tout le combat final est hideux et longuet — n’est peut-être pas entièrement du fait de David Lynch, soit. Mais que dire alors de l’homophobie odieuse ? Le baron Harkonnen et ses pustules dégoûtantes prend du plaisir à violenter de jeunes hommes dénudés. C’est intemporellement de mauvais goût, mais c’est encore pire pour une œuvre qui sort en pleine crise du SIDA. La vision des femmes est aussi assez lamentable, ce qui est avant tout la faute du roman original, certes, mais il y avait certainement des manières de ne pas la renforcer à l’écran. Dans le même registre, des cheveux roux ou des pupilles bleues sont-ils vraiment les seuls attributs qui peut distinguer les hommes dans une période aussi éloignée ? Sur tous ces aspects, le film a aussi très mal vieilli.
Il n’y a pas grand-chose à sauver de ce Dune, même si l’histoire de base reste toujours aussi intéressante. David Lynch avait peut-être une vision aussi riche que le roman, mais cela ne se voit pas du tout à l’écran. Le résultat est un film brouillon, où l’on ne comprend pas grand-chose à une histoire qui semble à l’arrivée assez banale et sans grand intérêt. Ajoutez à cela un rendu visuel original, mais souvent raté, et des positions sociales gênantes et vous obtenez un long-métrage difficile à regarder aujourd’hui. Regarder le Dune de 1984 est à la limite surtout intriguant en attendant celui de 2020. Est-ce que Denis Villeneuve parviendra à transmettre la profondeur des romans de Frank Herbert tout en modernisant certains aspects mal considérés à notre époque ? Réponse dans quelques mois !
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