The End of the F***inck World, Charlie Covell (Channel 4)

Adaptée d’un roman graphique, cette série frappe d’entrée de jeu par son titre gonflé qui se pose presque comme une déclaration d’intention. De fait, The End of the F***ing World n’est pas une série conventionnelle, elle emprunte des chemins de traverse que l’on n’a pas vraiment l’habitude de voir à la télévision et s’impose comme une œuvre coup de poing. Sa première saison s’étale sur huit épisodes d’une vingtaine de minutes seulement, l’équivalent d’un long film donc, et elle pourrait très bien se suffire à elle-même ou être le prélude à une série plus ample. En attendant d’en savoir plus, Charlie Covell a brillamment su mettre en image ses deux adolescents en fuite pour former un road-trip criminel qui serait très classique s’il n’était pas dynamité par l’excellent duo de jeunes acteurs. The End of the F***ing World surprend par son ton très brutal et c’est une excellente surprise, radicale et plaisante à la fois.

The End of the F***ing World utilise ses deux personnages principaux en guise de narrateur pour raccourcir les présentations. Dès les premières minutes, on apprend ainsi que James se considère comme un psychopathe qui, après avoir passé son enfance à tuer des animaux, envisage maintenant une proie plus sérieuse. Alyssa, 17 ans également, est une adolescente rebelle dans la même classe qui déteste les autres filles autour d’elle et qui décide de demander à James de sortir avec elle. Ce dernier jette son dévolue sur sa camarade et accepte de fuir avec elle, avec derrière la tête l’idée d’en faire sa première victime. Tout ceci se déroule en quelques minutes à peine et le spectateur n’a aucun répit pour assimiler tout ça que Charlie Covell embraye directement sur le départ des deux jeunes et leurs premières aventures. Ils volent la voiture du père de James et roulent dans la forêt jusqu’au moment où ils l’emboutissent dans un arbre. Ils rencontrent ensuite un type louche qui finit par faire des avances sexuelles à James, puis ils tombent sur une maison vide occupée par un prédateur sexuel. The End of the F***ing World foisonne d’idées et ne perd pas une minute, on passe d’un rebondissement à l’autre très rapidement jusqu’au final qui ne conclut rien… mais on n’en dira pas plus. Tout va très vite, ce qui donne à la série un ton léger assez étrange en regard de son message, très noir. On retrouve bien là une marque de fabrique de la télévision britannique et en particulier de la chaîne Channel 4 qui a commandé la série à l’origine. On ne peut pas dire que les huit premiers épisodes soient drôles, mais ils sont empreints d’un humour noir permanent qui allège la situation souvent très lourde. Au fond, on est bien plus dans la fugue de deux adolescents qui n’acceptent pas le rôle que la société veut leur donner, que dans la fuite de deux dangereux meurtriers. La réaction policière est totalement en décalage en prenant la menace avec le plus grand des sérieux, mais Charlie Covell parvient très bien à montrer à quel point c’est ridicule. De fait, même si l’ensemble pourrait sembler particulièrement noir et pénible à regarder, ce n’est pas le cas et la série est plus plaisante qu’on pourrait le croire initialement. Ce n’est pas une comédie légère, naturellement, mais ce n’est pas une œuvre totalement plombante comme on pouvait le craindre.

Belle réussite que cette première saison, et il convient aussi de saluer le travail des deux jeunes acteurs principaux. Alex Lawther et Jessica Barden sont excellents dans leurs rôles, ils sont parfaitement crédibles en adolescents difficiles1 et leur couple s’impose comme une évidence face aux caméras. Le succès de The End of the F***ing World leur doit beaucoup, même si la série de Charlie Covell a d’autres atouts à faire valoir. L’origine graphique de l’œuvre se retrouve notamment dans les crédits affichés pendant chaque épisode et de manière générale, la forme est très réussie, tant sur la photographie et les cadrages soignés, que sur la bande-originale pleine de pépites. C’est une belle réussite qui se suffit à elle-même, mais on est curieux de voir ce qu’une suite pourrait donner.


The End of the F***ing World, saison 2

(11 décembre 2019)

La première saison de The End of the F***ing World se terminait sur un coup de théâtre et une potentielle tragédie : James, tombé à terre à cause d’une balle de la police. La suite reprend quelques années après, alors que les deux adolescents sont devenus des adultes. Lui a passé plusieurs mois à l’hôpital, à purger sa peine et à récupérer de ses blessures. Quant à Alyssa, elle a refait sa vie avec sa mère et bientôt un jeune qu’elle demande en mariage. Jusqu’au jour où Bonnie se met en quête de les chercher pour les tuer pour venger l’amour de sa vie, le pervers qui avait essayé de violer Alyssa et que James avait tué dans la première saison. Que l’on se rassure, la noirceur est toujours au programme dans The End of the F***ing World !

Le ton a un petit peu changé avec cette suite. La simplicité de la première saison, le côté très franc et tranché de ces deux adolescents à la marge de la société n’est plus vraiment au rendez-vous et Charlie Covell introduit plus de complexité avec quasiment un troisième personnage principal. L’arrivée de Bonnie bouscule les choses, et les deux personnages ont grandi, ils sont plus matures sans pour autant être tout à fait des adultes raisonnables pour autant. C’est différent, plus sérieux par moments sans abandonner le sens de l’absurde si typique des productions britanniques. La vengeance de Bonnie ne se déroule pas comme prévu, rien ne se passe comme prévu en fait et le scénario contient encore de nombreuses surprises. The End of the F***ing World est moins étonnant en ce sens, le coup de poing de la première saison est un petit peu passé. Ce n’est pas forcément décevant pour autant, et la série diffusée par Netflix trouve d’autres voies pour faire avancer ses personnages et son récit. Mais en même temps, pourquoi avoir totalement laissé tomber le côté psychopathe de James ? Où est passée son envie de meurtre ? Même si on peut comprendre les évolutions des personnages, la série déçoit un petit peu et semble oublier ses débuts tranchés.

La série a apparemment trouvé sa conclusion naturelle. En tout cas, Charlie Covell a indiqué qu’elle était satisfaite de son récit et qu’elle n’envisageait pas de lui donner une suite. Et c’est vrai qu’on a du mal à envisager ce qui pourrait permettre de maintenir l’intérêt sans dénaturer les personnages ou l’ambiance si particulière. The End of the F***ing World en restera peut-être à ses deux saisons, l’une vraiment brillante et noire, l’autre un petit peu moins réussie, mais plaisante malgré tout. Dans l’ensemble, la série reste très originale et mérite d’être vue.


  1. Par leur jeu, mais aussi par leur physique, alors qu’ils sont nettement plus vieux que leurs personnages. Lui a 22 ans, mais elle en a 25 : pour une fois, on croirait le contraire !