Et maintenant on va où ?, deuxième long-métrage de la réalisatrice Nadine Labaki, est un film étonnant. Traitant de sujets on ne peut plus graves, les guerres de religion au sein d’un village, il parvient à maintenir un ton léger inattendu face à un tel sujet. Loin de se morfondre dans une « histoire vraie » larmoyante et moralisatrice, Nadine Labaki propose une vision enjouée d’une guerre pas comme les autres. Un coup de cœur, à ne pas rater.
Quand s’ouvre Et maintenant on va où ?, une procession de femmes endeuillées avance vers un cimetière. On le comprend vite, certaines sont musulmanes, d’autres chrétiennes, mais dans ce deuil commun, la religion n’a aucune importance. Au moins jusqu’au moment d’arriver sur le cimetière, séparé en deux parties égales en fonction de la religion, ces femmes sont unies, mieux même, elles sont parfaitement soudées. On les découvrira par la suite dans leur quotidien au sein de ce village mi-chrétien, mi-musulman, mais surtout extrêmement retiré. Il ne reste plus que des bouts de ponts pour le relier au reste du monde et seuls deux jeunes du village le traversent tous les jours pour vendre les produits locaux et acheter tout ce que l’on ne trouve qu’en ville. Une vie réglée et apaisée, loin du monde et de ses guerres, jusqu’au jour où une télévision fait son apparition. Le village tout entier se réunit autour d’elle et apprend ainsi qu’à l’extérieur, un incident entre chrétiens et musulmans relance la guerre entre les deux religions. Cette brutale ouverture au monde extérieur rouvre les plaies à peine cicatrisées et les tensions montent parmi les villageois. Une guerre fratricide semble sur le point d’éclater et ces femmes s’unissent, prêtes à tout pour protéger leurs fils et leurs maris du désastre.
Nadine Labaki a la bonne idée d’éviter absolument le phénomène de l’histoire vraie. Et maintenant on va où ? n’a pas été écrit directement à partir de faits réels, même si la réalisatrice, libanaise, s’est largement inspirée de ce qu’elle a vécu. Le film n’est néanmoins ni situé géographiquement, ni daté. Le contexte est évident, on est dans un pays arabe avec deux communautés musulmane et chrétienne importantes : le Liban est un bon candidat, mais Et maintenant on va où ? entend rester le plus universel possible. Le thème de la guerre des religions est, il est vrai, très courant et la même histoire aurait tout aussi bien fonctionner, moyennant quelques aménagements, dans la France des guerres de religion au XVIe siècle. La question reste toujours la même : comment cohabiter entre religions opposées ? Les hommes et les femmes de ce village ont choisi l’autarcie : c’est par leur isolation totale du reste du monde qu’ils parviennent à vivre ensemble. Sitôt la fenêtre ouverte sur les conflits extérieurs et la paix entre religions révèle toute sa précarité et commence à défaillir. Dès qu’il se passe quelque chose de négatif d’un côté, l’autre côté est accusé d’en être responsable. L’escalade verbale conduit rapidement aux gestes, puis aux armes.
Face à cette escalade de violence, le rétablissement de la paix passe par les femmes dans Et maintenant on va où ?. De fait, Nadine Labaki signe un film sur les conflits religieux, certes, mais aussi et d’abord un film sur les femmes. Et quelles femmes : la brochette proposée par Et maintenant on va où ? est vraiment époustouflante, surtout quand on pense qu’elles ne sont pas des actrices professionnelles. Dans l’histoire, les femmes s’en sortent bien mieux que les hommes : la religion compte évidemment pour elles, comme en témoignent les scènes d’adoration de la statue de la vierge. Mais, contrairement aux hommes, la religion n’est pas tout et elle ne justifie en aucun cas de vouloir s’en prendre au camp d’en face. À tous les égards, elles sont bien plus tolérantes : elles respectent les préceptes religieux, mais pas quand ils vont à l’encontre de leur nature et de leur féminité. Exemple insignifiant, peut-être, mais significatif : même voilées, elles veulent se teindre les cheveux. Contrairement à leurs maris et enfants, elles sont en tout cas capables de dépasser leurs différends pour s’allier dans un but commun. Le but est simple en l’occurrence : les hommes ne doivent pas s’entretuer. Pour l’atteindre, elles sont prêtes à tout, même à embaucher des danseuses ukrainiennes fort peu vêtues qui vont distraire efficacement les hommes, même à les droguer, même à inverser les rôles. L’inversion des rôles entre hommes et femmes est d’ailleurs ici complète : face aux femmes fortes et soudées, la gent masculine se comporte comme des gamins gâtés et bornés, qui ne semblent bons à rien, si ce n’est à se battre entre eux.
La grande force de Et maintenant on va où ? est certainement son traitement léger. Le sujet est grave et bon nombre de réalisateurs l’auraient pris au sérieux pour proposer un long-métrage tout aussi grave. Pas Nadine Labaki : la cinéaste choisit au contraire un ton léger, à tel point que son drame tend régulièrement vers la comédie. L’humour y est presque toujours présent, noir, certes, mais très efficace. La scène de dialogue avec Marie est un bon exemple de cet humour, tandis que la comédie nait aussi de la confrontation avec les danseuses ukrainiennes. Et maintenant on va où ? se transforme aussi à trois reprises en comédie musicale. Même si les trois chansons sont inégales, on apprécie la scène de cuisine collective, beaucoup moins les chansons amoureuses, elles participent toutes à l’allégement bienvenu du récit. Cette légèreté est, in fine, la force de Et maintenant on va où ? qui s’éloigne ainsi de toute morale lénifiante. Le résultat est réjouissant, même si la noirceur du récit reste, malgré tout, permanente.
Et maintenant on va où ? est un film réjouissant et léger sur un sujet extrêmement grave et c’est justement cette apparente contradiction qui fait tout le charme et la réussite du deuxième film de Nadine Labaki. Évitant les lourdeurs de l’histoire vraie à visée moralisante, Et maintenant on va où ? se suit sans effort et avec un réel plaisir. Un véritable coup de cœur, à voir de toute urgence…