Eternal Sunshine of the Spotless Mind appartient à cette catégorie de films qui s’apprécient à la première vision, mais peuvent s’embellir à chaque fois que vous y revenez. Si vous ne l’avez jamais vu, arrêtez votre lecture immédiatement, voyez-le et revenez ensuite. Sinon, vous savez déjà que le deuxième long-métrage de Michel Gondry est une comédie romantique dynamitée par cette idée piochée dans la science-fiction que l’on sait effacer des souvenirs. Deux personnes qui se sont aimées peuvent-elles vraiment s’oublier ? Peut-on réellement effacer le grand amour sur un coup de tête ? Eternal Sunshine of the Spotless Mind y répond par l’intermédiaire d’un puzzle qui bouleverse la chronologie pour mieux bouleverser ses spectateurs. Une pépite, qui n’a pas pris une ride quinze ans après sa sortie.
Un beau matin, Joel décide de ne pas aller travailler. Lui qui est si régulier et prévisible normalement quitte le quai du train qui va à New-York et court vers l’autre quai, pour monter in extremis dans le train de Montauk. Comme le personnage lui-même, on ne sait pas exactement pourquoi il prend cette décision un peu dingue, mais il se retrouve bientôt sur les plages de la côte new-yorkaise, en plein mois de février. Pendant cette escapade, Clementine, une étrange jeune femme aux cheveux bleus l’aborde et ne veut pas le lâcher, mais il ne cherche pas non plus à la repousser. Eternal Sunshine of the Spotless Mind commence comme une comédie romantique très banale, même si le personnage principal est affecté par une dépression manifestement puissante. Mais cette base presque caricaturale est bien vite dynamitée quand on réalise que la chronologie n’est pas respectée. On ne peut pas le savoir à la première vision, mais le scénario commence en fait par la fin et reconstruit petit à petit leur histoire. Le processus mis en place par Michel Gondry rappelle certains films de Christopher Nolan, entre autres, par cette manière de jouer sur le temps de manière implicite. Rien n’est dit vraiment, mais on comprend progressivement que la première scène n’est pas vraiment le début. Il y a d’abord des choses étranges, comme ce récit de sa rencontre avec Clementine par Joel qui ne correspond pas à la première scène. Puis la réalisation qu’une vie ensemble a déjà eu lieu, ce qui ne peut pas vraiment coller avec l’introduction. C’est subtil, sans être trop compliqué et on s’y retrouve assez facilement, surtout quand l’idée au cœur du film est dévoilée, avec la découverte de ce docteur qui peut effacer la mémoire.
Michel Gondry emprunte cette idée à la science-fiction, mais il ne signe pas un film de SF au sens traditionnel du terme. L’époque est d’ailleurs contemporaine à la sortie en salle et l’environnement identique à celui de notre monde en 2004. Eternal Sunshine of the Spotless Mind n’essaie même pas de justifier l’existence de cette technologie, mais le scénario l’intègre comme une évidence et avec juste ce qu’il faut pour justifier son existence. L’idée est que n’importe qui peut effacer n’importe quelle connaissance de sa mémoire, histoire de faire son deuil plus rapidement, ou d’avancer immédiatement et libre de tous souvenirs après une séparation difficile. Pour cela, une carte mentale des souvenirs du patient est élaborée au cabinet, puis des techniciens viennent effacer chaque souvenir pendant la nuit, alors que le patient est sous sédatif. Et cela fonctionne très bien, comme peut le constater Joel quand il retrouve Clementine et qu’elle ne le connaît absolument plus. C’est efficace et terrifiant, surtout quand la décision est prise sur un coup de tête et que l’autre n’est au courant de rien. Puisque sa bien aimée a choisi de l’oublier, Joel veut faire la même chose, mais c’est au cours de l’opération qu’il est pris de remords et fait tout pour revenir en arrière. Par petites touches, Eternal Sunshine of the Spotless Mind révèle que ce processus est loin d’être parfait et qu’il reste des traces de la personne oubliée chez les patients. Des sentiments fugaces, des bribes de souvenirs et parfois aussi des tiers qui exploitent les anciens souvenirs à leurs avantages. Cette idée est parfaitement intégrée au scénario et Michel Gondry ne recule pas face aux implications qu’elle peut avoir. À cet égard, son film se rapproche parfois presque d’un thriller, sans toutefois s’éloigner de son ambiance de comédie romantique mélancolique. Un mélange des genres original et réussi, notamment parce que le casting est impeccable. Jim Carrey prouve à nouveau, si c’était nécessaire, qu’il peut très bien jouer un rôle sérieux et être parfaitement juste, et Kate Winslet est impeccable dans le rôle un petit peu fou de Clementine.
On pourrait encore évoquer la bande-originale discrète et très juste composée par Jon Brion et naturellement la mise en scène de Michel Gondry, inventive et également très discrète. Le cinéaste a limité les effets numériques au minimum, mais il joue avec toute la palette traditionnelle du cinéma. Petits bricolages et effets spéciaux sur le tournage, improvisation, montage audacieux… tout est bon pour mélanger les époques et perdre le spectateur dans un labyrinthe. Bien des années après sa sortie, Eternal Sunshine of the Spotless Mind prouve qu’il tient dans la durée et le film se voit et se revoit avec toujours de plaisir. Une très belle œuvre, à ne pas rater… il n’est jamais trop tard.