Euphoria raconte le quotidien d’une bande de lycéens, quelque part aux États-Unis. Si vous vous arrêtez à cette description, vous aurez certainement le sentiment qu’il s’agit d’une série déjà vue et revue mille fois. C’est en partie vrai, mais cette adaptation d’une mini-série israélienne proposée par HBO s’éloigne vite des clichés du genre. En adoptant le point de vue de Rue, une lycéenne qui a fait un séjour dans un centre de désintoxication après une overdose, la série créée par Sam Levinson dynamite le genre et offre une plongée extrêmement adulte dans cet univers normalement encore marqué par l’enfance. Euphoria ressemble à un coup de poing et certains épisodes ne sont pas faciles à regarder, mais ce qui frappe surtout, c’est le réalisme des personnages, parfaitement écrits et admirablement interprétés. Une vraie réussite !
À peine sortie de son centre de désintoxication et alors qu’elle retourne au lycée en théorie sobre, Rue se rend chez son fournisseur pour acheter de la drogue. Cette lycéenne en consomme depuis quelques années, depuis que son père est mort des suites d’une longue maladie et que des médicaments étaient disponibles en large quantité dans la maison. Euphoria adopte le point de vue de cette jeune fille, c’est elle qui est narratrice de l’histoire et on ne quitte jamais sa vision des choses. Elle se dépeint sans détour comme une addict, évoque rapidement ses difficultés psychologiques apparues dès l’enfance et sa vision du monde assez sombre. Dès le pilote, l’ambiance n’est pas à la fête et Sam Levinson impose un ton plutôt noir, inhabituel dans cet environnement lycéen. Ce qui n’empêche pas cette première saison d’évoquer les thématiques habituelles dans un lycée : les relations entre les jeunes, les premières histoires amoureuses ou encore les conflits par réseaux sociaux interposés. Mais HBO conserve sa réputation en la matière, avec une vision toujours très adulte. Il y a bien des histoires d’amour et la relation entre Rue et Jules, une nouvelle qui débarque dans le lycée au début de la série, est évidemment amoureuse, mais il y a surtout des histoires de sexe. Ces adolescents n’arrêtent pas de baiser, entre eux, voire avec des inconnus rencontrés sur internet, ou bien par webcams interposées. La drogue se trouve aussi facilement que l’alcool coule à flot, chaque soirée est quasiment une orgie… on pourrait dire que c’est une vision caricaturale, mais Euphoria semble au contraire toujours parfaitement réaliste.
Ce réalisme, la série le doit beaucoup à ses personnages et ses interprètes. Tous ces lycéens sont écrits avec énormément de précision et leur épaisseur psychologique est indéniable, que ce soit pour Rue bien sûr, mais aussi pour Jules, avec un personnage transsexuel admirablement géré par le scénario. Il est mention à un moment donné de sa transition, certains personnages y font des allusions discrètes, mais la série ne demande jamais à la principale intéressée de se justifier. Pas plus que la question de sa sexualité n’est vraiment posée : elle commence par coucher avec un homme rencontré sur internet et elle semble plutôt attirer par le sexe masculin, mais elle tombe amoureuse de femmes par la suite. Il n’y a aucune règle, Euphoria traite ces questions avec énormément de souplesses et c’est bienvenu. C’est le cas pour tous les personnages, même pour Nate, caricature du capitaine de l’équipe de football baraqué qui a une sexualité nettement plus complexe que ne le voudrait l’archétype habituel. Le travail d’écriture est à saluer, mais la série de Sam Levinson ne tiendrait pas la route sans un casting à la hauteur. Et sur ce point, c’est un sans faute. Zendaya, autrefois actrice Disney, est bluffante dans le rôle de Rue, elle parvient à trouver l’équilibre entre le trash adulte de la junkie et le côté encore juvénile de l’adolescente. Toutes ses émotions sont parfaitement rendues, que ce soit son amour naissant pour Jules, ou bien sa gestion difficile de l’adolescence et ses troubles psychologies. Hunter Schaffer, véritable trans dans la vie, est parfaite dans le rôle de la meilleure amie de Rules, elle assume pleinement son excentricité tout en laissant paraître sa fragilité. On pourrait égrener la liste longtemps, mais tout le casting est très bien et c’est indéniablement un point fort pour Euphoria. Ajoutez à cela une mise en scène très colorée et parfois impressionnante — le final plein de mystères en met plein la vue —, ou encore une bande originale très réussie — Drake produit la série, on sent son influence dans le domaine — et vous obtenez une série qui marque.
HBO qui revisite la série de lycéens avec son ton trash, voilà qui aurait pu être un autre cliché facile. La première saison d’Euphoria ne se résume pas à cela toutefois, ces huit épisodes sont intenses et bien éloignés de la caricature. Bien au contraire, la création de Sam Levinson respire la sincérité et c’est bien cela qui est si intense et forte. Vous aurez peut-être envie de l’ignorer pour le manque d’originalité de son sujet, mais vous auriez tort : Euphoria est une excellente série qui mérite le détour. On a hâte de découvrir la suite dans la deuxième saison !