Fahrenheit 451, Ramin Bahrani

Classique de la littérature et de la science-fiction dystopique, Fahrenheit 451 avait déjà bénéficié d’un traitement cinématographique devant les caméras de François Truffaut. Mais c’était il y a plus de cinquante ans, et l’idée d’adapter à nouveau le roman de Ray Bradbury, dans une version cinématographique modernisée, pouvait avoir du sens. Le projet est en développement depuis plusieurs années et c’est finalement HBO qui le diffuse sans passer par la case cinéma. Pour autant, Ramin Bahrani a eu à sa disposition tous les moyens nécessaires, si bien que son Fahrenheit 451 prend des allures de blockbuster, avec des décors futuristes assez classiques, mais qui font l’affaire et des effets spéciaux à la hauteur. Malheureusement, le nouveau Fahrenheit 451 a soigné son apparence au détriment du fond. Les grandes lignes du roman sont bien présentes, tout comme les principales idées, mais le long-métrage les traite avec désinvolture, de loin, comme des moyens de mettre en scène l’action et non comme des remises en cause de notre société. Trop peu politique, le film déçoit in fine.

Même si vous n’avez jamais lu le roman, ou vu la première adaptation cinématographique, l’univers de Fahrenheit 451 vous sera probablement déjà très familier, tant il a été utilisé. Quand Ray Bradbury a publié son œuvre, son imagination fertile a produit une œuvre radicale qui a marqué les esprits dès sa sortie dans les années 1950 et qui reste encore aujourd’hui un classique qui mérite d’être lu. Un demi-siècle plus tard, on ne compte plus les dystopies qui ont pioché dans cet univers, à tel point qu’il est devenu familier, voire cliché. C’est pourquoi cette nouvelle adaptation semble manquer d’originalité dès le départ, on a l’impression d’avoir déjà vu cette histoire des centaines de fois par ailleurs. Ce n’est pas nécessairement la faute de la nouvelle production, même si Ramin Bahrani aurait aussi pu trouver des idées nouvelles plutôt que de se contenter de ce qui se retrouve ailleurs. À défaut d’être original donc, ce monde futuriste où tous les livres ont été bannis au nom du bonheur lié à la simplicité des idées fonctionne plutôt bien. Certaines idées du roman, comme les murs vidéo, ont été reprises telles que. D’autres éléments ont été introduits pour mieux coller avec notre présent : les assistants vocaux et surtout les réseaux sociaux, au cœur du monde créé pour les besoins du film. On n’est pas surpris, mais c’est ce que l’on attendait d’une adaptation en 2018. Fahrenheit 451 fait un boulot correct pour exposer la situation et l’environnement général, ainsi que ses deux personnages principaux, Guy Montag et son capitaine Beatty. L’intrigue a été simplifiée et assez largement modifiée par rapport au roman, le héros n’est pas marié, Clarisse a une place beaucoup plus importante en contrepartie et toute la fin est assez largement différente. Certains choix sont logiques, il faut résumer un roman en une heure et demie, d’autres semblent plus gratuits et surtout, rapprochent le long-métrage de n’importe quel blockbuster.

Ce n’est pas le plus gros problème du film de Ramin Bahrani toutefois et on pardonnerait ces choix si le reste était à la hauteur. Hélas, ce n’est pas le cas. On sent bien que le projet a été mené en ayant conscience des enjeux politiques et surtout des parallèles que l’on peut établir avec nos sociétés modernes. La recherche de bonheur qui prend le pas sur tout, quitte à conduire à des choix absurdes où toute liberté est supprimée. La prédominance de l’image et de l’affect, de l’immédiateté renforcée par les votes en direct, ce sont autant de sujets qui n’ont rien de futuristes. De même, les réactions du monde politique face à l’inconnu, un simple mot en l’occurrence, sont très proches de celles qu’ont souvent les gouvernements modernes. Tout ceci est intéressant, mais jamais vraiment exploité. C’est au spectateur de faire les liens, le film ne les fait jamais et se contente au mieux de sous-entendre un rapprochement. Pareil pour les personnages d’ailleurs : le capitaine Beatty, interprété par un Michael Shannon qui ne fait pas beaucoup d’effort pour changer son jeu habituel, a un comportement très tendancieux. Ramin Bahrani ouvre des dizaines de pistes intéressants à ce sujet, mais là encore, il n’en fait rien. Au lieu de se concentrer sur une énième romance sans grand intérêt, pourquoi ne pas creuser davantage la relation entre le héros et son supérieur ? En revanche, notons que Michael B. Jordan est à l’aise dans le rôle de Montag, son interprétation est soigné et solide. Son personnage reste psychologiquement assez transparent, ce qui l’empêche de déployer un jeu plus intéressant, mais il reste crédible dans son évolution.

À l’arrivée, Fahrenheit 451 reste une exploration glaçante de notre propre société et des évolutions qu’elle pourrait suivre. Le matériau original de Ray Bradbury n’a pas perdu de sa force au fil des années et il est plus que jamais d’actualité, son adaptation en bénéficie logiquement. Pour le reste, c’est une déception : Ramin Bahrani semble davantage intéressé par la forme et les flammes que le fond, et tout le message politique reste implicite et marginal. L’adaptation ressemble à n’importe quel blockbuster dystopique sorti depuis dix ans et elle a largement perdu du mordant de l’œuvre originale. Dommage.