Les Figures de l’ombre, Theodore Melfi

On sait tout de la course à l’espace des années 1960, des premiers vols spatiaux de la NASA, de John Glen et des missions qui ont succédé vers la Lune. On sait moins que l’agence spatiale américaine a commencé avant l’ère de l’informatique et que tous les calculs extrêmement complexes étaient effectués à la main avant l’arrivée des premiers ordinateurs. Et on ignore parmi les calculatrices embauchées pour faire ce travail indigne des ingénieurs, tous des hommes, trois femmes afro-américaines ont réussi à faire bouger les lignes au cœur de la Ségrégation. Tel est le sujet de Theodore Melfi et Les Figures de l’ombre ne cache pas son inspiration du réel, pas plus qu’il n’essaie de masquer son côté feel good movie sur cette page plutôt positive de l’histoire américaine. Ce long-métrage très classique n’en est pas moins divertissant et intéressant, et de très bonne facture. Porté par un trio d’actrices convaincant, Les Figures de l’ombre est un long-métrage qui mérite d’être vu.

Après une brève introduction qui force sur le sépia pour présenter le génie de Katherine Johnson, capable de résoudre des équations complètes dès son plus jeune âge, Les Figures de l’ombre se posent en 1961, alors que la guerre de l’espace bat son plein entre les deux puissances de la Guerre froide. Même si les États-Unis a fini par remporter la victoire en posant deux hommes sur la Lune en 1969, le pays était à la traîne à cette époque, alors que l’URSS était bien en tête. La NASA n’avait rien envoyé au-delà de l’atmosphère quand Youri Gagarine revient vivant du premier voyage dans l’espace occupé par un homme. Et quand le film commence, la situation est loin d’être optimale pour l’agence, qui ne parvient toujours pas à obtenir des résultats fiables sans homme, et qui peine à rattraper son retard sur son concurrent soviétique. Le long-métrage de Theodore Melfi reste dans un cadre temporel assez court, puisqu’il se déroule en gros entre le vol orbital de Youri Gagarine et celui de John Glen, soit moins d’un an. Il se concentre uniquement sur les problèmes de calculs de trajectoire et même si l’on voit parfois d’autres éléments qui posent problème, il occulte largement la complexité d’une telle mission, car au fond, ce n’est pas son sujet. Les Figures de l’ombre ne traite pas directement de la conquête spatiale, même si elle est toujours en tâche de fond. Son sujet est plutôt l’histoire de ces trois femmes afro-américaines qui étaient meilleures que tous les ingénieurs blancs et qui ont dû se battre pour trouver une place.

Sans trop en faire, Theodore Melfi rappelle par quelques images clés et un fait ou deux l’état de la ségrégation raciale aux États-Unis. En ce début des années 1960, elle bat encore son plein, surtout dans un état comme la Virginie, où la séparation des blancs et des gens de couleur est omniprésente. Dans le bus, dans la bibliothèque, dans les écoles, dans les églises… et bien sûr, au travail : la NASA a dédié un bâtiment spécifique pour ses personnels de couleur, essentiellement des calculatrices, c’est-à-dire des femmes qui font les calculs à partir des travaux des ingénieurs, tous des hommes, tous des blancs. Les Figures de l’ombre montre comment la ségrégation est vécue dans cet établissement où tout le monde devrait travailler à un but commun, mais où certaines règles bloquent une partie du personnel. Il y a une cantine pour les gens de couleur et il y a des toilettes pour eux, ce qui oblige Katherine a traversé tout le campus pour aller aux toilettes, plusieurs fois par jour. Cela semble absurde, mais tout le monde trouvait ces règles normales, surtout les ingénieurs qui voient d’un mauvais œil cette femme, noire qui plus est, produire un meilleur travail que le leur. Il n’y a rien de très original ici, mais Theodore Melfi réalise un travail solide et on le sent passionné par son sujet, suffisamment pour le rendre vraiment intéressant. Au-delà du racisme ambiant qui est bien connu, il s’intéresse à ces trois femmes méconnues et à leur parcours étonnant. Les trois actrices sont très bonnes, à commencer par Taraji P. Henson qui trouve le ton juste dans le rôle principal. Le film n’évite pas les clichés du genre, mais il faut aussi reconnaître que c’est une belle histoire et qu’elle est bien racontée.

Si vous n’aimez pas les films hollywoodiens très classiques et qui n’évitent pas les lieux communs, vous détesterez probablement Les Figures de l’ombre. Si vous pouvez tolérer les quelques facilités déployées par Theodore Melfi toutefois, vous pourrez apprécier une histoire méconnue, passionnante et bien racontée. Les trois actrices sont très bien et on découvre une facette moins courante de l’exploration spatiale. Sans être un grand film, Les Figures de l’ombre est un divertissement simple et qui se regarde avec plaisir.