Forrest Gump, Robert Zemeckis

Récompensé à de multiples reprises à sa sortie et énorme succès public dans les salles obscures, Forrest Gump est entré instantanément au statut de film culte. Tout le monde connaît le long-métrage de Robert Zemeckis et au minimum son célèbre « Cours, Forrest, cours ! », mais il fait aussi partie de ces œuvres que l’on connaît sans les avoir forcément vues soi-même. Vingt-cinq ans après sa sortie, Forrest Gump reste une comédie dramatique généreuse et pleine d’émotions, quitte à en faire trop et tomber dans la caricature. Porté par des messages ambivalents sur le passé américain, la politique ou le handicap, le film mérite toujours le détour pour la prestation impeccable de Tom Hanks.

Forrest Gump est construit autour du récit de son personnage principal, alors qu’il attend un bus sur un banc. Il commence à raconter son histoire à une femme qui s’assied à côté de lui et même si elle ne s’intéresse pas vraiment à ce qu’il dit, Forrest continue malgré tout et nous raconte sa vie. On commence ainsi avec sa naissance et son nom, donné par sa mère d’après le fondateur du Ku Klux Klan : sachant qu’il est issu d’une vieille famille de l’Alabama, c’est vraiment tout un programme. Mais pour ce descendant de riches propriétaires blancs, la vie n’est pas simple malgré tout. Forrest a un léger handicap mental, un QI trop bas en théorie pour entrer à l’école publique, une diction assez lente et même une difficulté à marcher quand il est jeune. Les autres enfants s’en prennent à lui, sauf Jenny, une petite fille avec qui il devient vite ami. C’est elle la première qui l’incite à courir pour échapper à une bande de brutes et c’est à cette occasion que le garçon découvre qu’il est un excellent coureur. Si bon, qu’il est accepté à l’université du coin pour alimenter l’équipe de football américain, première étape d’une carrière fulgurante. Adapté d’un roman, Forrest Gump imagine en effet une traversée de l’histoire des États-Unis, des années 1950 aux années 1980, à travers le regard de ce personnage. Et pour évoquer le maximum d’éléments, le héros se retrouve par hasard au bon moment au bon endroit très souvent. Il rencontre Kennedy à la Maison-Blanche peu de temps avant son assassinat, il fait la guerre du Vietnam, devient un héros de guerre célébré par Johnson, avant de participer un peu à son insu aux mouvements contestataires. Le principe est bien connu, mais un peu facile et le film va régulièrement un peu trop loin, même si c’est le livre qui est en tort avant tout. Le mouvement de jambes d’Elvis ? C’est Forrest. Les smileys ? C’est Forrest. Le Watergate ? Il n’aurait jamais eu lieu sans lui, vous pensez bien. Et même Apple a été financé en partie grâce à son argent, tant qu’à faire.

On pourrait dire qu’il est injuste de critiquer le film de Robert Zemeckis et que c’est le roman original, écrit par Winston Groom qui être critiqué. Sauf que le réalisateur a choisi d’adapter le roman et surtout, le Forrest Gump qui est sorti en 1994 sur les écrans blancs du monde entier est largement différent du roman sorti en 1986. Le scénario prend ses libertés, non seulement en éliminant une bonne partie de l’histoire à la fin, mais aussi en modifiant des éléments clés en profondeur. L’idée assez dingue de la course de trois ans a été totalement inventée dans la version filmée, tout comme la difficulté physique supplémentaire pour Forrest au début. Le personnage est aussi très différent dans la version originale, où il est nettement plus intelligent et ressemble plus à un génie autiste qu’à l’homme aux capacités limitées interprété par Tom Hanks. Toute la partie plus fantastique du roman a aussi disparu et Robert Zemeckis s’est concentré davantage sur l’histoire d’amour, sa version frôlant parfois la comédie romantique. En conséquence, le personnage principal devrait être un observateur plus neutre de l’histoire américaine, notamment sur le plan politique. Et c’est vrai que Forrest ne s’intéresse pas à la politique, pas plus qu’il ne remet en cause la guerre au Vietnam, trop content d’avoir trouvé un cadre où on lui dit en permanence ce qu’il doit faire. Pour autant, est-ce que Forrest Gump est une œuvre aussi neutre qu’on voudrait nous le faire croire ? C’est loin d’être aussi simple. La mère du héros est évidemment conservatrice et la vie menée par son fils n’est guère plus progressiste. Après tout, Forrest est l’archétype du self made-man, qui va même jusqu’à s’arranger avec la réalité pour gagner l’argent qui lui permettra de faire fortune. En face, le personnage de Jenny est proche des mouvements contestataires des années 1970, mais le scénario la présente comme une ratée dont la vie se termine avec un virus « mystérieux »1 qui semble presque présenté comme une punition divine. Et au-delà du message politique, la représentation du handicap du personnage est principal pose problème. Il est souvent montré comme quelqu’un de stupide, alors que ce n’est évidemment pas le cas, mais surtout, le scénario amuse avec ses gaffes et on a trop souvent le sentiment de rire de ses problèmes, à son insu. Tom Hanks est impeccable dans le rôle, mais c’est plus l’écriture du personnage qui est gênante.

Malgré tout, Forrest Gump se regarde avec plaisir et Robert Zemeckis a signé un long-métrage long, mais fluide et facile à suivre. On comprend sans peine l’énorme succès à sa sortie et l’attrait qu’il peut encore avoir, surtout si vous aimez les comédies romantiques. Les effets spéciaux utilisés pour intégrer le personnage à des scènes historiques ont très bien vieilli, on n’en dira pas autant de la musique assez lourdingue d’Alan Silvestri. Forrest Gump mérite d’être vu pour enfin comprendre les références et surtout pour la prestation de son interprète principal, mais sa générosité ne compense pas un fond parfois limite.


  1. Bizarrement, le SIDA n’est jamais évoqué, alors que cela semblait assez évident…