L’affiche affiche fièrement : « La réponse allemande à Brokeback Mountain », rangeant ainsi le premier film de Stephan Lacant dans une catégorie. De fait, Free Fall ne manque pas de points communs avec le long-métrage d’Ang Lee, du moins sur le papier. Comme dans Le secret de Brokeback Mountain, ce film raconte l’amour interdit de deux hommes dans un milieu homophobe. Pourtant, la comparaison s’arrête vite : espace géographique et temporel différent, personnages qui réagissent et agissent de façon opposée… les deux récits sont finalement si différents que l’on oublie sans mal l’ombre de l’excellente réalisation d’Ang Lee. Et c’est très bien ainsi : beaucoup plus modeste, Free Fall évoque certes l’amour entre deux hommes, mais Stephan Lacant dépasse finalement ce sujet pour une idée plus générale. Une réussite, à ne pas rater.
Difficile d’y échapper : Free Fall évoque une histoire d’amour entre deux hommes. Marc est un jeune CRS en formation qui attend un enfant avec sa femme. Il mène une vie a priori épanouie et sans histoire avec sa famille, où les hommes sont tous policiers, d’une génération à l’autre. Sa rencontre avec Kay, un autre CRS en formation, bouleverse toutefois son horizon. Sans qu’il puisse très bien s’expliquer pourquoi, le personnage principal de Stephan Lacant se sent attiré par le beau jeune homme qui partage sa chambre pendant la formation. Persuadé d’être strictement hétérosexuel, il ne voit pas tout se suite l’évidence : il tombe amoureux de cet homme. Face à lui, et c’est, au passage, la première différence avec Le secret de Brokeback Mountain, Kay ne le montre pas forcément, mais il assume son homosexualité et lui est tombé sous le charme de Marc qu’il compte bien séduire. À cet égard, Free Fall n’est pas très original et on sait d’emblée qu’il va se passer quelque chose entre ces deux hommes. Même si Marc fait mine de résister, il ne résiste pas longtemps et accepte toutes les invitations de Kay, d’abord chastes et puis très vite, plus concrètes. On n’est pas surpris par l’issue, mais il faut noter que Stephan Lacant sait parfaitement mener son récit et offre une vision très réaliste de cette histoire d’amour. Pour Marc qui s’ignore homosexuel, au moins en partie, il s’agit d’abord de se l’avouer avant même d’envisager l’avouer aux autres, à sa famille, à sa femme qui ne va pas tarder à accoucher. Ses hésitations entre le confort du modèle social et son appréhension légitime à abandonner femme et enfant qui vient de naître, et puis cet amour irrésistible qu’il découvre sur le tard, ne sont pas nouvelles et d’aucuns pourraient reprocher au long-métrage son côté déjà vu. Il faut reconnaître toutefois que le scénario est très bien écrit et l’ensemble bien mené.
Plus encore que chez Ang Lee, Free Fall pose la question du coming-out et de l’acceptation de l’homosexualité. À cet égard, le choix de deux CRS en guise de personnages principaux n’a, évidemment, rien d’anodin. Ce milieu encore quasiment uniquement masculin est un univers machiste où l’on rigole des seins d’une femme dans la douche, où l’on se moque ouvertement et grassement de l’homosexualité dans les vestiaires. Stephan Lacant n’est pas toujours très subtil sur ce point, mais il faut avouer qu’il frappe juste avec la description de ce milieu homophobe où nait pourtant une histoire d’amour homosexuelle. Le long-métrage est plus subtil avec la famille et, c’est la deuxième différence majeure avec Le secret de Brokeback Mountain, la femme de Marc joue ici un rôle central. Loin de se taire et de laisser faire, Bettina voit que quelque chose ne va pas et elle fait tout pour comprendre, confrontant son mari en de multiples occasions. Quand elle finit enfin par apprendre la nouvelle, elle ne l’accepte pas sagement, mais se révolte logiquement en essayant de comprendre comment son époux pouvait aimer un homme. Free Fall est plein d’une homophobie ordinaire, celle de l’incompréhension, des questions apparemment innocentes de la mère qui pense que l’éducation de son fils s’est mal passée, de la hiérarchie qui préfère fermer les yeux… Stephan Lacant manque peut-être parfois d’un peu de subtilité et son film aurait peut-être gagné à être moins systématique — les séquences de sexe qui viennent systématiquement après un conflit —, mais le cinéaste s’en sort remarquablement bien en élevant le débat au-dessus de l’homosexualité. Certes, le fait que ce soient deux hommes qui tombent amoureux et non un homme et une femme est important, mais ce n’est pas l’essentiel au fond. L’essentiel, c’est le dilemme d’un être humain partagé entre deux amours sincères, dans une forme de triangle amoureux qui s’ignore. L’essentiel, c’est aussi la noirceur finale et cette solitude qui touche tous les personnages et qui semble indépassable. Free Fall n’est pas toujours très gai, mais c’est sans doute, in fine, ce qui le sauve.
La comparaison avec Ang Lee ne tient pas longtemps et Free Fall évoquerait plutôt Week-end, cet autre excellent film d’amour entre deux hommes. Même là, la comparaison s’efface vite et on pourrait aussi considérer le premier long-métrage de Stephan Lacant pour lui-même et non toujours par rapport à une autre œuvre. Porté par deux acteurs vraiment excellents — Hanno Kofler et Max Riemelt —, le film n’est pas une œuvre homosexuelle, c’est d’abord une très belle histoire d’amour qui touche à l’universel, mais aussi une illustration assez sombre de la solitude de l’homme. On disait en préambule que Free Fall était moins ambitieux, mais en un sens ce n’est pas vrai. Outre le soin apporté à la réalisation, Stephan Lacant fait preuve ici d’une maturité surprenante et passionnante. À voir…