Friends, Marta Kauffman et David Crane (NBC)

Friends n’est pas une série comme les autres. Plus que sa longévité — dix saisons et 236 épisodes d’une vingtaine de minutes chacun —, c’est peut-être son succès qui est hors-norme et surtout le fait que son succès ne s’est jamais démenti. Pendant toute sa diffusion originale, de 1994 à 2004, elle a réussi à maintenir d’excellents scores aux États-Unis, avec des moyennes supérieures à 20 millions de téléspectateurs et un final qui a rassemblé pas moins de 50 millions d’Américains. Mais plus de vingt ans après la diffusion du pilote, Friends impressionne encore par son actualité. Dans sa version restaurée que l’on peut découvrir avec de superbes couleurs éclatantes et une image large adaptée aux téléviseurs modernes, la sitcom fait toujours autant de l’effet. Marta Kauffman et David Crane ont incontestablement trouvé la bonne formule et les scénaristes ont trouvé le ton juste, du premier au dernier épisode. Une série culte, à voir et à revoir !

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Le point de départ de Friends, son « pitch » est volontairement très simple : c’est l’histoire d’un groupe de jeunes adultes new-yorkais qui sont colocataires et deviennent amis. Toute la série se déploie autour de six personnages principaux, tous bien différenciés par quelques traits de caractère assez simples. Au cœur du noyau, on trouve Ross et sa sœur, Monica. Lui est fan de dinosaures depuis la tendre enfance et désormais un paléontologue que l’on qualifierait aujourd’hui de geek, un peu timide et pas toujours à l’aise avec les femmes. Elle est chef de restaurant et surtout une femme obsédée par le rangement et la propreté. Rachel est la meilleure amie de Monica et cette fille à papa n’a jamais vraiment travaillé et quand la série commence, elle n’a jamais travaillé et refuse le mariage qui devait lui assurer la vie toute tracée. À ce trio s’ajoutent Chandler, le blagueur maladroit, et son colocataire Joey, séducteur pas très malin et aussi mauvais acteur, les deux voisins de pallier de Monica. Pour compléter le tableau, il manque encore Phoebe, colocataire de Monica au début de Friends et elle est l’excentrique du groupe, celle qui chante sur des chats qui puent et qui fait toujours des réflexions bizarres. Ces personnages doivent d’abord être drôles et c’est une réussite, chacun à leur manière. La série joue sur tous les types d’humour et on a autant des gags visuels (la dinde et Joey), que du comique de répétition (« Oh. My. God. »), que de multiples quiproquos qui rappellent souvent le théâtre de boulevard ou encore des dizaines et des dizaines de blagues et clins d’œil culturels. Les six héros de Friends sont assez caricaturaux, c’est une évidence, mais à partir de cette base simple, pour ne pas dire simpliste, les scénaristes ont réussi à créer de vrais personnages. Au fil des épisodes et des saisons, on apprend à les connaître et ils gagnent tous une épaisseur psychologique aussi indéniable que surprenante, quand on pense au postulat de base pour chacun d’eux.

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Six personnages bien définis et on suit leur quotidien : difficile de croire qu’il y avait là de quoi faire dix saisons, et pourtant. Dès le départ, la série impressionne par la qualité de son écriture. Les scénaristes qui ont travaillé sur Friends ont incontestablement le sens de la répartie, mais aussi l’imagination fertile nécessaire pour créer les situations les plus folles. Ce n’est pas pour rien que tant de lignes de dialogue et tant de scènes sont devenues cultes au fil des années : il y a des dizaines d’échanges à mourir de rire dans cette série. Le scénario est très bien écrit, mais il faut évidemment saluer le travail des acteurs, sans qui la série n’aurait jamais tenu aussi longtemps. Seule Jennifer Aniston, qui incarne Rachel, a été vraiment capable de prolonger sa carrière d’actrice au-delà de la série, mais cela n’enlève rien aux autres acteurs, qui sont tous très bons, chacun dans son registre. Les six sont excellents en fait, mais ce qui est le plus étonnant, c’est leur complicité qui explose à l’écran. On sent qu’ils ont tissé des liens qui dépassent largement le cadre strictement professionnel et on croit sincèrement à leur amitié, leurs disputes et leurs histoires d’amour. On finit par avoir la sensation de les connaître comme s’ils étaient nos amis, voire notre famille, une sensation assez rare dans les séries, et encore plus rare dans celles qui reposent essentiellement sur l’humour. Il faut dire qu’au-delà des gags et des répliques cinglantes des uns et des autres, Friends parvient à construire une histoire qui a du sens. Avec ses épisodes brefs et nombreux, et surtout avec les impératifs commerciaux de la télévision, on pourrait croire que la série resterait décousue, mais ce n’est pas du tout le cas. L’histoire de fond s’impose d’elle-même et même si on peut regarder et apprécier un épisode pris seul, on passe en fait à côté de beaucoup. La fin de la série est baignée par l’émotion et on comprend sans peine pourquoi tant de téléspectateurs étaient devant leur poste. Les blagues, c’est une chose, mais le scénario est plus profond que cela et s’autorise des scènes où l’émotion surpasse l’humour.

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Le succès de Friends a été tel que la série est devenu un véritable phénomène culturel. Tournée en Californie, elle met pourtant en valeur New York et surtout une certaine vision de la culture américaine. Si elle parle toujours autant aujourd’hui, c’est sans doute parce que cette sitcom a profondément modelé notre vision des États-Unis, et au-delà de notre culture occidentale. L’action se déroule essentiellement dans deux ou trois lieux, dont les appartements de Monica et Chandler de part et d’autre d’un couloir, mais le lieu le plus mythique est sans aucun doute le Central Perk, un café où nos héros passent une bonne partie de leur temps. Ce lieu, avec son canapé confortable au milieu, est devenu si représentatif de la série et partant, d’une certaine idée de société, qu’il est devenu une chaîne de cafés dans la réalité. C’est un bon symbole de l’importance de Friends, mais ce n’est pas le seul. Dans chaque saison, on a systématiquement un Thanksgiving, avec la fameuse dinde qui est l’occasion de quelques scènes cocasses. Les « baby showers » et autres enterrements de vies de garçon ou de jeune fille , sont encore des exemples de cette culture anglo-saxonne largement diffusée par la série qui est parfois devenue une base d’apprentissage pour tous ceux qui veulent la connaître. Consciemment ou pas, Marta Kauffman et David Crane ont imposé une forme d’intemporalité à leur histoire et on n’a pas vraiment l’impression que dix ans s’écoulent entre le premier et le dernier épisode. Les acteurs vieillissent, on voit quelques objets modernes s’installer, mais Friends est au fond très neutre sur ce plan. Même les ordinateurs ou les téléphones portables se font discrets, pour prendre un exemple concret, ce qui participe à installer la série dans une forme d’intemporalité qui explique aussi sa longévité. On a en quelque sorte un concentré de la culture occidentale moderne et le fait que l’action se déroule dans les années 1990 et 2000 à New York n’a pas vraiment d’importance. D’ailleurs, les scénaristes ont consciemment évité l’actualité : on voit dans les plans généraux de la ville que le 11 septembre est passé par là, mais ce n’est jamais un sujet de conversation entre les personnages.

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Vingt ans après, Friends n’a pas pris une ride. Techniquement, la restauration effectuée sur les images originales est époustouflante et si vous avez l’opportunité de regarder l’intégrale en Blu-ray1, vous découvrirez une série qui semble avoir été tournée aujourd’hui (si l’on oublie les vêtements ou les coupes qui rappellent forcément les années 1990, bien sûr). Le son n’a pas été oublié, avec un joli travail sur la scène sonore, en particulier pour les rires : les réactions du public, face auquel la série était jouée en direct, comptent énormément et elles sont bien rendues. Mais la technique n’aurait aucun intérêt si le scénario ne suivait pas et sur ce point, Friends prouve qu’elle reste toujours d’actualité. Marta Kauffman et David Crane n’ont pas eu l’idée la plus originale qui soit, mais ils ont su transformer des personnages caricaturaux en un quotidien crédible et passionnant. Dans ces conditions, on comprend aisément le succès de cette sitcom, un succès qui ne se dément pas aujourd’hui. On ne s’en lasse pas…


  1. Malheureusement, seule l’intégrale en Blu-ray mérite vraiment les applaudissements. La version disponible sur Netflix, par exemple, est bien plus terne, sans les couleurs éclatantes de la série sur support physique.