Considéré assez largement comme un chef d’œuvre de l’animation japonaise, peut-être même son meilleur représentant, Ghost in the Shell est aussi une œuvre de science-fiction brillante par sa noirceur et sa clairvoyance. Une vingtaine d’années après sa sortie, sa vision d’un monde où l’informatique est omniprésente et où elle contrôle les hommes frappe plus que jamais par son acuité et le long-métrage en est d’autant plus glaçant. Loin de la relecture hollywoodienne annoncée dans quelques mois, Ghost in the Shell est au contraire une œuvre méditative, presque métaphysique, où les questions sur l’humanité sont au cœur des enjeux. Mamoru Oshii réalise aussi un travail visuel splendide et qui n’a pas pris une ride. Bref, un classique à (re)découvrir !
Ghost in the Shell est assez court — environ une heure vingt au compteur — et son rythme n’est pas très intense. Plusieurs scènes sont ainsi quasiment vides et ne font pas avancer l’action, notamment quand Mamoru Oshii nous laisse tout loisir d’admirer sa mégalopole futuriste. Même si ce n’est pas le sujet principal, cette immense ville où les gratte-ciels modernes contrastent avec les anciens bâtiments délabrés est peut-être la star du long-métrage. Les dessins sont extrêmement précis et denses, avec quelques plans ahurissants quand on pense qu’ils ont été entièrement dessinés à la main. À l’heure du tout numérique, ce travail de fourmi force encore davantage le respect et ces dessins en deux dimensions conservent toute leur force. Comme pour le prouver, la version retravaillée proposée en 2008 avec une partie des dessins qui ont été remplacés par des plans numériques perd de cette force et devient presque… banale. On pense davantage à un jeu vidéo et le côté sale de cette vision futuriste, renforcée notamment par le flou de l’animation à l’ancienne, disparaît totalement. Mamoru Oshii va piocher du côté de Blade Runner pour imaginer une ville immense, sombre et humide et c’est une vraie réussite, que Ghost in the Shell laisse longuement admirer. L’intrigue elle-même est ainsi d’autant plus réduite et au fond, elle n’est pas très importante. Le film suit l’enquête de la Section 9, un groupe composé essentiellement de cyborgs, alors qu’un mystérieux pirate accède au « Ghost » de plusieurs habitants pour leur voler leur mémoire et les faire agir à sa guise. Ils découvrent dans l’affaire un complot venant de la Section 6, mais encore une fois, tout ceci est presque secondaire.
Le cœur de Ghost in the Shell, c’est bien plus le personnage du Major Motoko Kusanagi. Composée presque uniquement de pièces cybernétiques, cette femme extrêmement efficace pour mener à bien ses missions comme le montre la séquence d’introduction est aussi en plein doute. Elle est tellement mécanisée qu’elle remet en cause sa propre humanité, son existence même. À partir de quel point un homme robotisé devient une pure machine ? Ce qui revient à poser la question de la vie elle-même. Qu’est-ce qui fonde l’existence ? Si une machine ou une intelligence artificielle a conscience d’elle-même, n’est-elle pas aussi humaine qu’un homme ? Toutes ces questions traversent la science-fiction, mais Mamoru Oshii les place au centre et leur accorde une importance toute particulière. C’est à la fois au cœur de l’intrigue et en permanence à l’écran, souvent de façon très belle, comme cette scène où le personnage principal voit son propre reflet sous l’eau. Ce n’est pas qu’une facilité de scénario, c’est fondamentalement le moteur du film et c’est probablement pourquoi Ghost in the Shell est si particulier. Il faut dire aussi que, même si l’intrigue est assez secondaire, cette œuvre est d’une densité rare, avec énormément de choses en permanence à analyser à l’écran. Le scénario préfère souvent compter sur l’intelligence des spectateurs, si bien qu’il ne dit pas tout et il reste quelques zones d’ombres. Qui est cette femme cyborg ? D’où vient-elle ? Pourquoi est-elle si proche du pirate virtuel ? On sent qu’il y a bien plus que ce que l’on nous montre et la version animée donne envie d’en savoir plus. Pour cela, il faudra certainement revenir à la série de mangas qui a été adaptée, mais même sans cela, on apprécie la richesse déployée ici par Mamoru Oshii.
Mamoru Oshii n’évite pas la violence, souvent frontale et sanglante, mais Ghost in the Shell ne reste pas en mémoire comme un film d’action. Bien au contraire, c’est sa subtilité qui marque, à la fois par son rythme assez lent, par ses séquences contemplatives et aussi par la très belle bande originale composée par Kenji Kawai, mélancolique et inattendue avec ses chœurs de lamentation. Le résultat est surprenant, à contre-courant de ce que l’on attendrait en lisant le synopsis et c’est très bien ainsi. Si Ghost in the Shell reste aujourd’hui encore une référence, c’est bien pour son traitement plus proche de la philosophie que de l’action. Un grand film.