Ghost in the Shell, Rupert Sanders

Sorti il y a plus de vingt ans, Ghost in the Shell reste encore un classique de l’animation japonaise. Mamoru Oshii a signé une œuvre dystopique d’une noirceur rare, une réflexion métaphysique davantage qu’un film d’action et une œuvre culte qui conserve toute sa puissance bien des années après. Comme souvent, le cinéma américain est allé chercher cette réussite japonaise pour en signer un remake à la sauce hollywoodienne. Le projet a suscité bien des craintes et le résultat est enfin visible sur les écrans. La relecture de Rupert Sanders, illustre1 réalisateur du très médiocre Blanche-Neige et le Chasseur, a finalement plus de points communs avec l’original qu’on pouvait le penser. Le Ghost in the Shell de 2017 est parfois si proche de celui de 1995 que l’on pourrait croire à un simple traduction de l’animation aux images réelles. En apparence, l’esprit insufflé par Mamoru Oshii est bien là, mais ce n’est qu’une apparence. Ce remake prend les spectateurs par la main plutôt que de faire confiance à leur intelligence et il évite consciencieusement les vraies questions pour ne conserver que de l’action basique. Le long-métrage de Rupert Sanders conviendra davantage à ceux qui n’ont pas vu l’original, mais le mieux est encore d’éviter cette pâle copie et de (re)voir le film d’animation.

Si vous ne connaissez pas l’histoire originale issue d’un manga, Ghost in the Shell se déroule dans un univers futuriste, où les progrès technologiques ont permis aux êtres humains d’être « améliorés », en tout cas réparés et enrichis par l’informatique et la robotisation. Tout le monde peut installer des implants pour améliorer la vue ou bien pour réparer un organe défectueux. Le Major est l’étape de plus : un cerveau humain greffé sur un corps féminin entièrement robotisé, un cyborg donc. Comme dans le film d’animation, Rupert Sanders présente la conception de son personnage principal au cours du générique, avant de montrer ses capacités sur le terrain, lors d’une opération de la Section 9, l’organe de police pour laquelle elle travaille. C’est une copie presque parfaite des images animées de Mamoru Oshii, un homme appuyé que l’on peut alors comprendre comme un simple relai d’une époque à l’autre. Sauf qu’en fait, tout le film est composé de scènes copiées à l’identique, à commencer par les plus connues, celles qui restent dans les mémoires. Il y a cette attaque au tout début où Major se jette du toit. Il y a cette course-poursuite dans la partie pauvre de la ville et qui se termine en affrontement sur l’eau. Il y a cette séquence sous l’eau bien sûr, et puis toute la partie avec l’espèce de robot araignée vers la fin. Ghost in the Shell ne cherche manifestement pas à surprendre et au contraire, l’ambition de Rupert Sanders semble clairement de rendre hommage à l’original, mais à force de reprendre les mêmes scènes, on s’ennuie un petit peu. C’est d’ailleurs pour cette raison que les spectateurs qui ne connaissent rien à l’histoire ont plus de chance d’apprécier ce remake. Les autres devront se contenter de voir enchaîner les mêmes scènes, mais avec le visage très familier de Scarlett Johansson en guise d’héroïne.

Ne soyons pas injustes : Rupert Sanders a le bon sens de ne pas trop tirer sa relecture en longueur et le divertissement est au rendez-vous malgré tout. En matière de dystopie, la ville du futur est très bien rendue ici avec une version alourdie par rapport à la précédente, mais qui conserve malgré tout les mêmes idées fortes et notamment l’opposition sociale très nette. L’actrice principale est plutôt bonne dans le rôle de Major, elle parvient bien à laisser transparaître quelques émotions sur un visage par ailleurs totalement robotique. Ghost in the Shell est indéniablement beaucoup plus un film d’action, mais c’est l’ère du temps et le réalisateur évite de tomber dans la surenchère permanente, il laisse même suffisamment de place à quelques scènes plus tranquilles. Au total, on obtient un film de science-fiction à grand spectacle très classique, pas vraiment inspiré, mais qui cherche avant tout à divertir et qui le fait dans l’ensemble assez bien. Impossible néanmoins de ne pas être déçu quand on a vu le travail de Mamoru Oshii. Comment ne pas regretter que cette relecture, parfois identique à l’image près, puisse être aussi stupide en comparaison ? Car c’est là, la plus grosse différence entre les deux films. Le premier Ghost in the Shell n’expliquait quasiment rien et il est déroutant au premier abord, il jette son spectateur dans un univers sans rien lui expliquer et c’est lui qui doit ensuite patiemment recomposer l’histoire et comprendre ce qui se passe. À l’inverse, on est ici pris par la main par les scénaristes, tout est surligné et longuement expliqué pour être sûr de ne perdre quelqu’un, la main plongée dans un seau de pop-corn. C’est le cas d’entrée de jeu, quand la créatrice de Major explique sa nature, alors qu’il restait un doute dans la version japonaise, en tout cas aux yeux du personnage lui-même. Plus gênant encore, l’intrigue originale est en grande partie gâchée par des ajouts typiquement américains et qui tombent à l’eau : la mère, l’histoire d’amour et même la relation entre le cyborg et sa créatrice… on voit bien que les scénaristes ont cherché à normaliser l’histoire de Ghost in the Shell, à en faire un énième blockbuster plutôt que de respecter l’œuvre de départ. Mais alors, pourquoi copier autant de scènes ?

Ghost in the Shell n’est pas un mauvais blockbuster, mais il souffre au fond d’un mal trop commun dans le cinéma : il veut plaire à tout le monde. Les hommages appuyés au classique d’animation, la bande-originale de Clint Mansell et Lorne Balfe qui va volontiers emprunter à celle de Kenji Kawai, la touche asiatique indispensable pour plaire au marché chinois sur une base américaine inévitable à Hollywood, le tout dans une vision futuriste sombre, mais malgré tout beaucoup plus légère pour toucher le public le plus large possible. Sauf qu’à essayer de plaire à tout le monde, Rupert Sanders échoue inévitablement à convaincre qui que ce soit. Les fans de Mamoru Oshii sont les plus déçus et pas sûr que le grand public y trouve vraiment son compte. C’est une œuvre moyenne et un remake qui est soit trop proche de l’œuvre qu’il reprend, soit trop éloigné. Une histoire différente dans le même univers aurait été plus intéressante. Ou alors un remake dans le même esprit, mais alors se poserait une autre question : à quoi bon ? Ghost in the Shell se laisse regarder sans déplaisir, mais on en sort en se disant que c’était un long-métrage bien inutile…


  1. Non.