Girl, Lukas Dhont

Premier long-métrage d’un jeune réalisateur belge, Girl est inspiré d’une histoire vraie, celle d’une danseuse étoile qui était née garçon. Lukas Dhont s’empare de cette histoire pour composer un film frontal sur la transsexualité et ses défis, surtout pour une adolescente qui rêve de danser et qui doit lutter encore plus contre son corps. Un film intense et qui mérite d’être vu, même si on peut lui reprocher une vision réductrice de ce changement de sexe, et même si l’histoire n’évite pas quelques facilités scénaristiques. Girl reste une œuvre poignante, que l’on aurait tort de bouder.

Si vous commencez à regarder Girl sans rien avoir lu sur le film, vous ne devinerez pas immédiatement son sujet. Pendant quelques minutes, on voit une fille, avec son petite frère et son père, et c’est tout. Lukas Dhont ne présente jamais la transsexualité de son personnage principal, ce n’est pas un problème qui demande une exposition, c’est juste un fait qui s’impose de lui-même. Lara est une fille, il n’y a aucun doute là dessus de la part du scénario ou du réalisateur, pas plus que des personnages. Le fait que Lara est né avec des organes génitaux masculins n’est qu’une erreur qui est en train d’être corrigée, ce n’est pas le sujet, du moins pas au départ. Cette manière de présenter le genre de son personnage principal est très forte autant qu’elle est plaisante et on sent que le cinéaste prend soin de bien traiter son sujet. Savoir que le personnage de Lara est incarné par un homme, Victor Polster, force le respect et ce jeune acteur au visage androgyne a probablement une belle carrière qui l’attend. Dans ce premier passage devant les caméras en tout cas, il est vraiment excellent, avec un jeu subtil et sobre qui évite les clichés facile sur la féminité. Il est lui-même danseur, ce qui a certainement contribué à la réussite de sa prestation, mais il est aussi excellent dans les scènes où la sexualité de son personnage est remise en cause. Et on oublie très vite que c’est un garçon, on ne voit qu’une adolescente, ce qui est une belle performance.

Il est danseur, mais il n’est pas transsexuel lui-même. Il n’y a aucun mal à cela en soi, un acteur ne doit évidemment pas être lui-même dans la vie identique à ses personnages, sinon le cinéma serait bien limité. Mais en faisant ce choix, Girl s’est sans doute privé de l’avis d’une véritable transsexuelle et le film aurait sans doute évité d’entretenir quelques clichés sur la transition et le genre. Le travail de Lukas Dhont est respectueux et méticuleux, on sent que le cinéaste s’est impliqué et qu’il veut bien faire. Néanmoins, pourquoi est-ce que sa caméra se focalise autant sur le corps de la jeune femme ? Le changement physique est certes essentiel, mais le long-métrage peut donner le sentiment que ce n’est qu’affaire d’organes génitaux, alors que le changement est beaucoup plus que cela. Il y a de bonnes choses malgré tout, notamment lorsque le père demande à sa fille comment sont les garçons de sa classe et qu’elle répond qu’elle ne sait pas encore si elle aime les garçons ou les filles. Ne pas résumer l’identité sexuelle sur un mode binaire, c’est bien, focaliser toute l’intrigue sur le phallus, c’est perpétuer des clichés sur le changement de sexe. D’ailleurs, la scène finale est très efficace par son intensité, impossible de le nier, mais Girl aurait peut-être gagné à offrir une vision moins dramatique et effrayante de la transsexualité. Il ne s’agit pas de minimaliser la difficulté de la transition, ou de masquer les remarques déplacées de l’entourage1, mais Girl montre que c’est extrêmement difficile, systématiquement douloureux et même dangereux. Cela fait beaucoup.

Même si Girl n’est pas parfait et même si on peut critiquer certains aspects de sa vision de la transsexualité, il ne faut pas pour autant dédaigner le film dans son ensemble. Malgré ces défauts, Lukas Dhont signe une histoire personnelle très forte et il offre une visibilité trop rare à un personnage transsexuel. Sans compter que la prestation époustouflante de Victor Polster justifierait à elle la séance. Girl a peut-être des défauts, mais c’est un très bon film malgré tout et vous ne regretterez pas de le voir.


  1. La scène lors de l’anniversaire de la camarade de Lara est à cet égard brillante… le malaise que l’on ressent pour le personnage, face à ces filles inquisitrices et insensibles est d’une intensité rare.