Imperturbable, Wes Anderson poursuit sa filmographie barrée avec son long-métrage sans doute le plus fou à ce jour. Difficile en effet de résumer en quelques mots The Grand Budapest Hotel, film étrange partagé entre plusieurs époques et autant de styles différents1, le tout racontant une histoire loufoque à base d’héritage, de courses-poursuites, de tableau volé, de gâteaux et de prison. Fidèle à sa réputation, le cinéaste plonge ses spectateurs dans un univers totalement barré où l’on peut s’abandonner totalement et se laisser porter avec beaucoup de délice. Assez bref et bien rythmé, The Grand Budapest Hotel ressemble assez aux pâtisseries qui jouent un grand rôle dans le scénario : le film est une gourmandise pour cinéphiles qui se déguste avec énormément de plaisir. À ne rater sous aucun prétexte.
Contrairement à ce que son titre pourrait laisser entendre, le vrai héros du film n’est pas l’hôtel Grand Budapest, même si l’essentiel du récit tourne autour de cette immense bâtisse rose construite comme une maison de poupées. The Grand Budapest Hotel commence à une époque contemporaine et, un peu à la manière d’un Inception pop et déjanté, remonte ensuite dans le temps à plusieurs reprises. On atteint d’abord les années 1980, où l’on découvre un auteur vieillissant qui écrit sur un hôtel. Puis les années 1960, avec ce même auteur, mais plus jeune cette fois, qui mène son enquête sur l’hôtel et le propriétaire de ce dernier qui vient raconter son histoire. Cette dernière partie occupe le plus de place dans le long-métrage et elle se déroule dans les années 1930. Wes Anderson a imaginé un pays fictif au cœur d’une Europe à la veille de la guerre, mais on pourrait être quelque part entre l’Allemagne, la République tchèque ou la Pologne. Que ce soit dans ce Zubrowska sorti de l’imagination du cinéaste ou dans les pays évoqués, on retrouve les mêmes évolutions historiques, la même montée du fascisme et le même essor du communisme après la guerre. Ne croyez pas que The Grand Budapest Hotel soit un film historique toutefois : ce contexte défile en guise de décor, mais il n’est absolument pas important pour suivre et comprendre le récit. De fait, le personnage principal du long-métrage est hors du temps et, comme le dit un autre personnage à la fin, son époque était sans doute déjà révolue de son vivant. Gustave H., concierge renommé de l’établissement, est le héros de cette histoire et c’est un homme très distingué, d’une classe toute britannique. Il se prend d’amitié pour Zero, le nouveau « lobby boy » de l’hôtel et ce dernier l’aide en retour quand il est pris dans une histoire d’héritage impliquant l’une de ses plus fidèles clientes. Car Gustave H. est aussi un homme à femmes et chaque saison, il séduit ses clientes âgées et riches ; quand la plus riche et la plus vieille d’entre elles meurt en lui laissant tout son héritage, sa famille ne l’entend pas de cette manière…
The Grand Budapest Hotel est un long-métrage relativement bref, mais dense et touffu. Wes Anderson n’est pas le genre de réalisateur qui se focalise sur une idée ou deux, il privilégie plutôt le foisonnement et son dernier film part dans tous les sens, littéralement le plus souvent. Il suffit de consulter le casting et de voir l’impressionnante liste d’acteurs — tous plus célèbres les uns que les autres d’ailleurs — pour comprendre que l’on a affaire à ce genre de films qui multiplient les seconds rôles. Difficile de tous les lister ici, mais ce foisonnement n’est absolument pas un problème. Bien au contraire même, c’est à cet aspect du long-métrage que l’on doit le succès de l’ensemble, d’autant que le scénario, très bien écrit, réussit l’exploit de ne perdre aucun spectateur dans l’aventure. On pourrait s’inquiéter des résumés confus que The Grand Budapest Hotel engendre nécessairement, mais il n’y a pas lieu d’être : on suit Gustave H., Zero et tous les autres protagonistes avec grand plaisir, dans cet univers qui rappelle souvent les films d’animation. Au-delà du récit à proprement parler qui est pourtant, et une fois n’est pas coutume, prenant et intéressant, on est frappé par le rythme énervé du film. Du début à la fin, l’action avance à grands pas, portée par une bande originale extrêmement réussie signée Alexandre Desplat. Composée essentiellement d’instruments d’Europe de l’Est, elle est enlevée et apporte une note joyeuse tout au long du film, tout en donnant le rythme à l’action. Mieux vaut garder la surprise et découvrir The Grand Budapest Hotel sans trop en savoir, mais certaines séquences sont extrêmement réussies, à l’image de cette descente à ski filmée à vive allure et qui est incontestablement très réjouissante. Dans cette ambiance survoltée qui n’est pas si courante chez Wes Anderson, les personnages courent, traversent des régions en train et l’ensemble donne un peu le tournis, ce qui est bien la preuve de la réussite du film.
On pourrait encore en dire beaucoup sur The Grand Budapest Hotel, évoquer la réussite de son style très coloré, mais dans des tons souvent pastels qui évoquent plus les maisons de poupées, parler aussi de son humour très proche d’une bande dessinée, avec des doigts qui tombent et bon nombre de situations invraisemblables ou encore mentionner le talent de tous les acteurs réunis ici, Ralph Fiennes en tête, mais le mieux est peut-être de recommander, à nouveau, cette œuvre si singulière. Wes Anderson s’est lâché et ce qui n’était souvent qu’un grain de folie dans ses précédentes réalisations devient ici le principal moteur du film. À condition d’apprécier les idées un peu folles et un cinéma où l’on ne doit pas chercher à tout comprendre, mais simplement accepter de se laisser porter, The Grand Budapest Hotel est le film à ne surtout pas rater en ce moment !
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- Et même de formats d’image différents, le film passant constamment d’un carré à deux formats allongés en fonction des époques. Le sens du détail, jusqu’au bout… ↩