Son affiche laisse à penser qu’il ne s’agit que d’une histoire d’amour, mais Grand Central traite d’un sujet rare au cinéma, pour ne pas dire méconnu. Rebecca Zlotowski pose ses caméras au cœur d’une centrale nucléaire, au milieu des ouvriers qui y font les basses œuvres. On ne le sait peut-être pas, mais ces centrales potentiellement si dangereuses sont gérées par des hommes au statut si précaire qu’ils ne vivent guère mieux que des mineurs au XIXe siècle. C’est dans ce contexte original que Grand Central développe une histoire d’amour touchante. Un long-métrage pertinent, passionnant et émouvant à la fois, à voir…
La première scène de Grand Central résume bien le sujet du film. Gary, le personnage principal, passe un entretien d’embauche dans une centrale nucléaire. Le jeune homme est manifestement passé de petits boulots en petits boulots et il va où l’on veut bien de lui. Soucieux d’être embauché, il explique qu’il a une formation de chaudronnier, mais la personne qui lui fait passer l’entretien s’en fiche assez, pas plus qu’elle ne s’intéresse au fait qu’il s’est contenté de commencer ses études, sans dépasser le premier semestre. Il ne parle pas un mot d’anglais, ni aucune langue étrangère ? Peu importe, c’est toujours parfait. Rebecca Zlotowski a eu l’excellente idée de construire son deuxième long-métrage avec ce cadre original et largement méconnu. La France repose essentiellement sur le nucléaire pour fournir son électricité et on sait à quel point cette énergie propre et très efficace peut devenir dangereuse en cas de problème. L’entretien est donc essentiel, mais comme la cinéaste le montre bien, il n’est pas assuré directement par EDF. L’entreprise publique sous-traite cette fonction et embauche qui veut bien pour faire le sale boulot. Ce travail est bien payé — environ 1000 € la semaine, plus que Gary en rêverait —, mais il est extrêmement dangereux. Pis, c’est un travail qui vous condamne quasiment systématiquement : chaque employé a un capteur qui mesure « la dose », c’est-à-dire la quantité de radiations absorbées. Au-dessus d’un certain niveau, les ouvriers doivent arrêter, mais la carotte est telle que la majorité triche. Exposé trop longtemps, Gary met de côté son capteur avant le travail pour ne pas augmenter sa dose et franchir la ligne jaune. Grand Central montre bien la précarité de ces employés totalement ignorés par les employés d’EDF et qui font les pires boulots. Qu’il s’agisse de récupérer une pièce tombée à quelques mètres du noyau ou de laver des zones totalement irradiées, ce sont eux qui enfilent des tenues à la sécurité douteuse et qui risquent leur vie. Leur situation est si précaire qu’ils vivent dans des mobile-home à proximité de la centrale où ils sont affectés, avant d’être envoyés sans sommation à une autre usine, quelque part en France. On pourrait encore parler longtemps de ces mineurs de nouvelle génération, mais Rebecca Zlotowski le fait très bien et son film mérite d’être vu ne serait-ce que pour les découvrir.
Grand Central n’est absolument pas un film à thèse pour autant. Même s’il est porté par un sujet et même si le scénario tend à présenter des arguments contre le nucléaire, Rebecca Zlotowski ne cherche pas à attaquer à tout prix ce mode de production d’électricité. De fait, elle exploite ce cadre atypique pour développer une histoire d’amour entre Gary et Karole. Travaillant aussi dans les centrales, elle vit avec Tony avec qui elle va se marier. On s’en doute, cet amour interdit va alimenter une bonne partie du long-métrage qui se construit autour de leur relation secrète. Difficile de ne pas trop en dire sous peine de dévoiler des moments importants, disons simplement que la cinéaste rassemble deux amoureux sincères et touchants. Leur relation n’est sans doute pas très originale, mais elle est parfaitement crédible et notamment les doutes de Karole, qui hésite à abandonner Tony pour un homme qu’elle aime mieux. Cette réussite, Grand Central le doit évidemment à son duo d’acteurs principaux : Léa Seydoux conserve son côté mystérieux et renfermé, tout en tombant instantanément sous les charmes de Gary. Ce dernier est incarné par un Tahar Rahim qui retrouve son côté boule de nerfs que l’on avait déjà eu l’occasion de voir dans d’autres films. Son amour casse un peu cet aspect et permet à l’acteur de sortir de ses rôles précédents, pour un résultat vraiment convaincant. On apprécie aussi comme toujours la présence d’Olivier Gourmet, excellent ici dans un rôle de responsable qui ressemble parfois à celui d’un mac. Voilà qui en dit long sur les conditions de travail de ces hommes et ces femmes…
Exploiter un contexte peu connu pour évoquer une belle histoire d’amour. La démarche adoptée par Rebecca Zlotowski est assez originale, en plus d’offrir un coup de projecteur très intéressant sur les travailleurs de seconde zone indispensables aux centrales nucléaires. Sans tomber dans le pamphlet, Grand Central dresse un constat sans appel, tout en déroulant non sans une certaine émotion, un amour impossible. Un beau film, à découvrir…
Sortie en salles le 28 août