La Chine devient le plus gros marché du cinéma, devant les États-Unis qui occupait jusque-là la première place. Hollywood a senti le vent tourner depuis longtemps, mais La Grande Muraille est sans doute le premier projet où cela se voit autant. Sur l’affiche, on ne voit que Matt Damon, star américaine par excellence, et rien ne laisse à penser qu’il s’agirait d’un film chinois, si ce n’est par la présence de quelques sinnogrames à côté du titre. Et pourtant, même si le financement et la production viennent en partie des États-Unis, il s’agit davantage d’un film chinois : le réalisateur, Zhang Yimou, l’est, tout comme la majorité du casting et surtout le style. Loin du réalisme souvent sombre très tendance à Hollywood, La Grande Muraille opte pour un festival de couleurs vives et un kitsch assumé qui a du mal à passer pour nos yeux habitués aux photographies plus nuancées. Le problème, c’est qu’au-delà du style, le scénario est stupide et déploie même un discours un peu rétrograde sur le rôle de l’occidental en Chine. Heureusement que le film est assez court, parce qu’il est vraiment pénible.
Si, comme l’auteur de ces lignes, vous commencez à regarder La Grande Muraille sans rien avoir lu, ni vu, à son sujet, vous pensez probablement qu’il s’agit d’une reconstitution plus ou moins historique, ou au moins une évocation de cet immense mur liée plus ou moins solidement à la réalité. Le long-métrage n’est rien de tout cela, il déploie au contraire une intrigue fantastique qui n’a aucun lien avec aucune réalité historique ou géographique. Zhang Yimou imagine que l’empire chinois a érigé cet imposant édifice pour repousser des vagues de créatures vertes qui essaient d’envahir le pays tous les 60 ans pour punir l’homme de sa cupidité. Vous avez bien lu, la grande muraille chinoise n’est pas le sujet de l’histoire, elle est un prétexte pour de grandes batailles dans l’esprit du Seigneur des Anneaux, le kitsch coloré en plus. Il faut le voir pour le croire, le réalisateur reprend l’idée des couleurs très vives qu’il avait déjà déployée dans Hero et il l’applique à un combat gigantesque entre des millions de bêtes féroces vertes et des soldats de toutes les couleurs. Les archers sont en rouge, les fantassins en noir, il y a des femmes qui sautent du mur en bleu et des soldats spécialisés dans le combat rapproché en violet. Ne vous attendez pas à une coloration subtile, non, il faut plutôt envisager les scènes de combat comme un affrontement de couleurs fluo : du vert d’un côté et ce patchwork hideux de l’autre. Tous les goûts sont dans la nature, certes, mais on est loin de l’élégance de Hero et encore plus loin des si belles couleurs d’un Wong Kar-wai, par exemple. Ici, on a l’impression de se retrouver au milieu d’un (mauvais) jeu de stratégie, moche et idiot, les combats n’ayant aucune raison d’être, si ce n’est pour faire joli. Les ralentis sont multipliés jusqu’à la caricature, le mur s’ouvre de partout au grès des envies du scénario et les bestioles sont si grossières qu’elles deviennent ridicules. Bref, on s’ennuierait ferme si l’action n’était pas aussi explosive et si La Grande Muraille n’avait pas la bonne idée de ne pas atteindre les deux heures.
Les choix esthétiques sont peut-être taillés spécifiquement pour le marché chinois et après tout, un réalisateur est libre de faire ce qu’il veut. Zhang Yimou est impardonnable en revanche sur la vacuité du scénario et même sa bêtise très souvent. On se contrefiche de ces personnages, tout comme on ne croit pas une seule seconde à cette marrée d’envahisseurs si énorme qu’elle en devient grotesque. Pour finir, La Grande Muraille offre une place de choix à Matt Damon1 et en fait le sauveur de toute la Chine, avec plusieurs réflexions qui mettent bien en avant sa supériorité technique et son intelligence supérieure. Un choix difficile à comprendre pour un projet conçu pour plaire en Chine et une morale tout de même douteuse. Bref, La Grande Muraille est intéressant parce qu’il met en valeur les rapports de force changeants dans le monde du cinéma, mais c’est à peu près tout. À éviter.
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- Mais qu’est-ce que l’acteur est allé faire dans cette galère ? Avait-il à ce point besoin du cachet ? Même lui n’y croit jamais vraiment et il a beau être un excellent acteur, il ne peut pas sauver le film avec un rôle aussi médiocre. ↩